Fréquence Nord

Pierre Bilic

Comment perçoit-on l’aventure belge de Tivolix en France?

La Belgique a souvent été une terre d’exil pour pas mal de personnalités françaises chassées de chez elles par de grands événements politiques, les soucis de la vie ou carrément une forme d’indifférence ou de jalousie. A la fin du dix-neuvième siècle, le célèbre général Georges Boulanger, qui faillit marcher sur l’Elysée, se retira en Belgique et se suicida sur la tombe de sa maîtresse au cimetière d’Ixelles où une main mystérieuse déposa régulièrement un bouquet de fleurs durant des années.

Victor Hugo s’exila aussi chez nous, vint à Bruxelles, continua son immense oeuvre littéraire. Ses ennemis contestèrent son talent, estimèrent qu’il était loin d’être l’égal de Gustave Flaubert et d’autres grands romanciers. Les critiques n’entravèrent pas l’immense succès commercial des Misérables, le best seller par excellence de cette époque.

Il y a du Boulanger et du Hugo dans le destin de Daniel Leclercq. Il se bat pour ses idées, ne renonce pas à ses valeurs et son idéal (le jeu d’abord) dans un foot de plus en plus nappé de sauce business. Son roman à lui, entraîneur sensible, c’est le Racing Club de Lens, les Chtimis, la houille, les corons, le titre, la Ligue des Champions, la Coupe de la Ligue. Certains ont oublié, d’autres pas du tout et son inspiration retrouvée, en Belgique, interpelle les amateurs de foot en France.

Joël Muller, l’ancien entraîneur à succès de Metz, connaît très bien Daniel Leclercq. L’un incarnait l’Alsace, l’autre tout le Nord de la France et, avec Metz et Lens, ils se sont disputés un titre (que Lens gagna grâce à une meilleure différence de buts) en 1998 et une Coupe de la Ligue qui prit également le chemin du stade Félix Bollaert un an plus tard. C’est dire si Joël Muller, le successeur de Guy Roux à la présidence de l’UNECATEF, le syndicat des entraîneurs français, connaît bien le Druide du Tivoli : « L’homme véhicule des valeurs de base du football : la fidélité, le respect au pied de la lettre de l’idéal qui fut déjà le sien en tant que joueur, éducateur et formateur. Dans un monde où il y a des dérives, c’est important et il ne faut que cet idéal noble ne soit plus de mise. Daniel Leclercq a misé sur son travail, c’est tout à fait normal, logique, sportif et compréhensible mais, hélas, il y a tout le relationnel qui dans le sport-business actuel devient de plus en plus important. Je suis certain que Daniel Leclercq préfère, comme d’autres, le terrain aux salons où l’on cause mais où le foot pur et dur n’est pas toujours au centre des conversations. Quand il a été écarté à Lens, sa place fut vite prise. Il y a de la concurrence en France avec beaucoup de bons coaches. Comme il n’y a que dix-huit clubs en D1, ils sont obligés de s’expatrier.

Je ne crois pas qu’il soit victime d’un quelconque ostracisme en France. Il est un des consultants de Canal + France et a été cité dans plusieurs clubs français, notamment à Marseille avant l’arrivée de Javier Clemente. C’est dire s’il est bien perçu dans la famille du football. Non, je crois davantage que c’est simplement un problème de concurrence et de places libres en D1. La réussite de Daniel Leclercq, sans oublier celle de Patrick Remy à Gand, ne m’étonne pas du tout. Le bagage de ces techniciens est sérieux.

Après sa traversée du désert, Daniel Leclercq était en manque. Le tout alors est d’hériter d’un groupe en attente d’une nouvelle ambition. Leclercq avait beaucoup à apporter et le vestiaire était certainement réceptif. Quant c’est comme cela, et que les premiers résultats sont souriants, la notion de plaisir a grande importance. L’oeil de l’expert a ensuite fait la différence avec des joueurs en demande de certitudes. Même si la messe n’est pas dite, il a réussi à relever un défi. Cela intéresse les vrais amateurs de football en France. En tant que président de l’UNECATEF, je suis ravi car cela souligne les qualités de nos entraîneurs. Je crois que cela le relancera en France. Je sais qu’il a été cité dans deux ou trois clubs. C’est mérité eu égard à ses qualités d’homme qui a le football dans le sang ».

La carrière de Daniel Leclercq n’est pas encore très longue. Il n’a dirigé qu’un club de D1, Lens, avant de se retrouver sans travail. Sa mauvaise passe lui sera peut-être utile. A Lens, il a surtout laissé de bons souvenirs. Sa mise à l’écart correspond cependant à un fameux changement de cap commercial des Lensois. Dirigé avec fermeté par le président Gervais Martel, Lens a acquis plus de dimension médiatique et surfe avec succès sur la vague du marketing, de produits dérivés, de la nouvelle économie, etc. Il n’est pas certain que tout cela soit la tasse de thé de Daniel Leclercq qui a des côtés soixante-huitard qui ne doivent pas plaire aux fils de pub.

Gervais Martel : « Je suis heureux pour lui. C’est un homme du Nord qui a trouvé à La Louvière une ambiance sous certains aspects comparable à la nôtre. Chez nous, il a participé totalement avec son coeur, sa science, et sa force de travail, à une très belle aventure. Personne n’a oublié cette odyssée mais tout le monde sait que le temps de passage d’un entraîneur à la tête d’un club n’est pas éternel. Il y a la courbe des résultats, l’usure du pouvoir qui vient plus vite que dans d’autres secteurs car on exige tout des joueurs, c’est la loi du sport, donc de l’ambition, et on doit se ressourcer ailleurs. Leclercq fait partie pour toujours de la légende de notre club. Son personnage un peu unique, parfois anachronique, mais riche et intéressant, étonnne au premier abord.

Moi, je ne crois pas que cette facette de sa personnalité puisse inciter des clubs à ne pas l’engager. Non, la concurrence est énorme car il y a beaucoup d’entraîneurs sur le marché. Il est certain que d’autres se profilent mieux qu’eux. La fonction de coach devient de plus en plus complexe. L’entraîneur est l’ambassadeur d’un club, d’une entreprise où il s’agit de multiplier sans cesse les axes de diverses politiques commerciales pour affronter l’avenir. Dans ce contexte-là, seulement, sa vision du football ne collait pas toujours à la réalité des choses. L’entraîneur est très important mais il n’est plus seul comme avant. Il y a désormais une équipe à côté de l’équipe et c’est le tout qui fait un club de haut niveau. Mais cela dit, ses valeurs sportives m’ont toujours plu et cela ne changera pas ».

Lens a cédé la vedette à Lille dans le nord de la France. Le coach du Stade Grimonprez-Jooris, Vahid Halilhodzic, est un grand ami de Daniel Leclercq. Si le technicien bosniaque venait à partir (ce qui est moins probable qu’il y a peu), le LOSC s’intéressera sûrement à Tivolix.

Stéphane Pauwels, un ancien de l’Excelsior de Mouscron, est délégué de l’équipe première de Lille : « Je suis assez révolté par la vitesse à laquelle on oublie les mérites de quelqu’un. Le Druide, pour les gens, c’est un monument dans le Nord. Il est possible que les Parisiens l’aient rangé dans le tiroir aux souvenirs, pas nous. Ici, on suit tout ce qu’il fait à La Louvière de très près. Vahid Halilhodzic me demande régulièrement ce que les Loups ont fait en championnat. Je suis tout à fait persuadé que Vahid restera à Lille où il a réalisé des miracles : montée en D2, lutte pour le titre, plus que probable qualification pour une coupe d’Europe, etc. Quand Vahid décidera de prendre du recul par rapport à cette réussite, il ne faudra pas se tromper pour la succession. Leclercq a le profil idéal. Je suis certain qu’on doit se mordre les doigts à Lens. Depuis qu’il est parti, Lens n’est plus Lens.

Ce club s’est pris pour le PSG, l’OM ou Lyon en se coupant un peu de son vivier, le Mord. C’est un club populaire où le franc-parler est très important. Ce sont des ouvriers, le Druide était un des leurs. N’était-il pas assez moderne? Mais cela ne veut rien dire. Rolland Courbis est-il moderne? On l’a cru mais il fit long feu à Lens. Je crois savoir que ce club est sur le point d’effectuer une manoeuvre rentrante afin d’être à nouveau en phase avec ses supporters. Cela signifie bien que Leclercq était totalement à la page. C’est un fils du Nord-Pas-de-Calais. Il lui sera toujours plus facile de réussir chez lui. Leclercq n’est pas un coach superficiel. Il n’a pas le charisme de Halilhodzic mais sa noblesse étonne dans ce milieu. Je le connais bien, c’est un honneur. Quand il a quelque chose à dire, il ne joue pas au diplomate et va droit au but. On sait tout de suite à quoi s’en tenir ».

La presse française s’est manifestée à La Louvière quand le Druide y fit son apparition. Intérêt poli des reporters venus de Paris, mais soutenu des journalistes du nord de la France. A Paris, le Nord, c’est sympa mais on préfère de loin tourner le regard vers le PSG, l’OM, Lyon, Nantes, Bordeaux, etc. On imagine que la lutte entre Lens et Metz, en 1998, n’a pas dû emballer les discussions lors des réunions de rédaction à l’ombre de la Tour Eiffel. A France-Football, c’est évidemment différent.

Xaxier Barret suit le football à l’étranger et sait bien sûr que la Louvière est un club belge : « Je ne connais pas bien Leclercq mais il a très vite laissé une trace avec ce titre de champion de France. Sans vouloir diminuer ses mérites, Daniel Leclercq s’est retrouvé au bon moment, au bon endroit. Quand Roger Lemerre quitta la fédération française de football durant quelques mois afin de redresser le tir à Lens, bien mal embarqué dans la lutte pour le maintien, il retrouva un de ses anciens équipiers : Daniel Leclercq. Ce dernier continua finalement sur cette lancée avec de beaux succès à la clef. Le personnage étonne et je m’attendais plus à le retrouver en Afrique où un grand nombre d’entraîneurs français travaillent dans des clubs ou à la tête de l’une ou l’autre équipe nationale. Pour le moment, il est d’ailleurs peut-être victime du succès des entraîneurs français dans de grands clubs étrangers. Sans que cela soit du tout péjoratif dans mon esprit, le fait de travailler en Belgique n’est pas un atout.

Le foot belge brille grâce à son équipe nationale mais, malgré l’excellente campagne d’Anderlecht en Ligue des Champions, vos clubs ne sont plus aussi performants qu’autrefois sur la scène européenne. Alors, nos regards se tournent logiquement plus vers Arsène Wenger (Arsenal) ou Gérard Houllier (Liverpool) qui se distinguent dans un championnnat très éprouvant et en coupes d’Europe. Par rapport à cela, La Louvière manque d’arguments. Cela explique que la presse nationale ne soit pas toujours présente à La Louvière. Mais on suit ses résultats, ceux de Gand et de Patrick Remy aussi ».

Romain Jacquot, de l’Est-Républicain, souligne les mérites du Druide et estime que Lens n’aurait jamais atteint la même dimension sans lui. Jean-Pierre Mortagne (radio Fréquence Nord) partage le même avis. Il a vécu au quotidien l’aventure du Druide à Lens. Pour lui, c’est d’abord un homme d’idées et de principes : « La greffe a bien pris à La Louvière et cela ne m’étonne pas. Quand on le fréquente au quotidien, on découvre une personnalité très attachante et qui connaît bien son métier, jusque dans les détails. Psychologiquement, Leclercq est fort et sait motiver ses joueurs. C’est dans la tête que les Lensois ont d’abord intégré la possibilité de devenir champions de France. Alors, je crois que cette approche mentale fait également la différence dans son club actuel. A Lens, il a hésité à un moment entre le fait de prolonger son expérience de coach ou devenir manager-général. Il a opté pour la première solution. Il a son avis et se battra sans cesse pour ses idées. Il peut faire grincer les dents. Daniel n’a pas été saqué par Gervais Martel qui l’aimait bien. A la fin d’un règne qui le mena loin, ce sont les joueurs qui ont eu sa peau. Il était exigeant car il savait que c’était la clef du succès et surtout de la confirmation. Leclercq n’a pas besoin de toute une cour autour de lui pour se sentir bien dans sa peau. Si La Louvière lui accorde de bonnes conditions de travail, il restera en Belgique. Il n’a pas la folie des grandeurs et essaye avant tout d’être heureux et d’aider d’autres de l’être aussi dans le football : ça suffit pour lui ».

En France, l’équipe du Variétés Club ne passe pas inaperçue. Elle regroupe d’anciens internationaux, des vedettes du show business, prend part à la Coupe de France, dispute surtout des matches de gala dont les bénéfices sont distribués au profit d’oeuvres sociales et de de bienfaisance. Le journaliste Jacques Vandroux est le secrétaire-général du Variétés. Cette équipe a évidemment des relations dans toutes les sphères du ballon rond grâce notamment à Michel Platini ou à Thierry Roland. Lors de son arrivée en Belgique, on a pu lire, entre les mots, que Daniel Leclercq estimait ne pas être dans les grâces du Variétés dont un des membres, Victor Zvunka, le grilla dans la course à la place de coach de Lausanne. Jacques Vandroux ne partage pas cet avis et exprime une grande considération à l’égard du Druide : « J’ai toujours estimé que Daniel Leclercq faisait partie de la catégorie des grands entraîneurs français. On ne devient pas champion national par hasard. Ce titre envié est l’objet de tous les duels. Le coach qui peut le noter à son palmarès a forcément des qualités. Je n’ai jamais compris pourquoi il avait quitté Lens, un club qu’il incarnait aussi bien. Lens, c’était Leclercq car c’est un homme de ce terroir. Il donne une bonne leçon de simplicité et de saine modestie en s’investissant totalement à La Louvière. Je ne suis pas étonné par sa décision de travailler dans un club moins huppé après avoir vécu de grands succès. Ce n’est pas important pour lui. Le plaisir passe avant tout mais, c’est vrai, le personnage est très introverti. Il l’est tellement d’ailleurs que cela voit. On lit alors toute l’émotion qui l’anime ».

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Pierre Bilic

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