FRENCH icône

Victime de l’échec bleu à l’EURO, Zizou n’a pas détrôné le joueur le plus prestigieux et l’homme le plus influent du foot français.

Au Musée du Louvre, pas loin des bureaux de Michel Platini, une rumeur inquiéta récemment les amateurs de chefs-d’£uvre artistiques : le plus célèbre tableau du monde, La Joconde, réalisée entre 1503 et 1504 par Léonard de Vinci, devait être restaurée. Fausse alerte, Mona Lisa est bien là et continue à attirer des millions de visiteurs chaque année.

Le football français affiche, lui, un sourire de plus en plus énigmatique. Cette grande puissance a exposé deux de ses £uvres, Marseille et Monaco, en Coupe de l’UEFA et en Ligue des Champions. Ces vernissages n’eurent pas le succès espéré pour leurs supporters mais ce ne fut évidemment rien en comparaison du four vécu par les Bleus au Portugal. Il faudra décrocher des cadres, rafraîchir des paysages, retoucher des couleurs craquelées par le temps qui ne fait de cadeaux à personne.

Les dégâts sont probablement plus profonds qu’il ne semble au premier coup d’£il. Est-la fin d’une époque, des belles récoltes de la formation à la française. Zinédine Zidane a-t-il atteint et dépassé son zénith ? Que ce soit à l’occasion du virage permettant de passer du 20e au 21e siècle, ou lors du centenaire du premier match international des Bleus (1er mai 1905, Belgique-France, au Vivier d’Oie à Bruxelles), les médias tricolores dressèrent le hit-parade du football français. Le joueur du siècle fut toujours le même : Michel Platini, suivi de peu par Zinédine Zidane et Raymond Kopa.

L’actuel capitaine des Bleus aurait pris, pour toujours, la tête de ce hit-parade en cas de grand EURO 2004. Ce ne fut pas le cas et Michel Platini demeure l’icône numéro 1 du football français tout en précisant :  » Zinédine Zidane est actuellement le meilleur joueur au monde « . Son palmarès de joueur se lit comme un menu de grand restaurant cinq étoiles. Il n’y manque qu’un titre de champion du monde et le numéro 10 du football français a toujours affirmé à ce propos :  » Ce n’est pas une injustice pour moi mais bien pour les Bleus de 1986 : ce groupe-là avait les moyens, et méritait, d’être champion du monde « .

Après sa carrière de footballeur en 1987, il fut sélectionneur national de novembre 1988 à juin 1992. Un virage dû au hasard après un France-Hongrie. Consultant pour Canal +, Platini perd du temps à la suite d’une panne d’ascenseur et passe devant la chambre de Claude Bez, l’ex-président de Bordeaux, qui lui demande si la direction des Bleus l’intéresse. Plus tard, il se joint au regretté Fernand Sastre afin de participer à l’organisation de la Coupe du Monde 1998. Après avoir été joueur et entraîneur, il aborde alors le troisième volet de sa trajectoire est désormais vice-président de la Fédération française de football et membre du Comité exécutif de la FIFA. Si on le lui demande, il sera un jour le patron du football mondial…

Ne pas oublier les vraies valeurs

Mais il ne renoncera jamais à une de ses phrases préférées :  » Le football ne peut pas oublier les vraies valeurs « . Platini raisonne en footballeur :  » Le football, c’est d’abord le plaisir et le partage. Il faut préserver ces trésors face à tous les dangers « .

Les trois plus grands joueurs français de tous les temps sont issus de l’immigration. Raymond Kopa, de son vrai nom Kopaszewski, héros des années 50 et 60, était d’origine polonaise. Michel Platini est de descendance italienne. Zinédine Zidane a des parents algériens. Les Tricolores sont en fait déjà multiculturels avant la vague blacks-blancs-beurs : le football a-t-il favorisé cette intégration ?

 » Sans aucun doute « , souligne Platini.  » La découverte des autres a facilité les choses, mais il faut souligner, aussi, que la société française, peut-être plus ou mieux que d’autres, a su intégrer les gens venus d’ailleurs afin de répondre à l’appel de son industrie « .

La France dut à deux reprises au moins, certainement après les deux conflits mondiaux, remettre la machine économique en route, trouver des bras, redresser la pyramide des âges ébranlée par la disparition de centaines de milliers de jeunes hommes.  » Le football est tout simplement le reflet de la société « , avance Platini.  » L’équipe de Raymond Kopa ressemblait à la France comme c’est le cas actuellement avec Zidane « .

Le football est devenu un des principaux phénomènes de société. Zizou et ses camarades mesurent bien ce qu’ils représentent. Ils ont fait fructifier les récoltes de 1982, de 1984, de 1986, etc. Dans les années 70, Platini n’imaginait pas qu’il serait à la base, avec Bernard Hinault et Yannick Noah, entre autres d’un changement d’attitude, de philosophie, à l’égard du sport.

 » Il y avait bien eu la fameuse génération de 1958, troisième du Mondial en Suède « , dit-il.  » Mais, en général, la France était la championne du monde des matches amicaux « . En 1983, Noah gagne Roland-Garros et déclara encore récemment à l’ EquipeMagazine :  » J’en avais marre du côté looser des Français « . Bernard Hinault avait déjà mis le grand braquet sur les routes du Tour de France.

 » La percée européenne de St-Etienne fut un premier signe pour le football « , confie Platini.  » Puis, il y eut la révélation de la Coupe du Monde 82 en Espagne. C’était une découverte, celle d’un nouvel esprit. Là, nous avons lancé la France vers l’EURO 84 « .

Avant cela, la France avait plus de sympathie pour les éternels battus, que les champions se donnant à fond pour un succès.  » Nous sommes sortis du néant « , rappelle Platini.  » C’était le fruit du travail et de l’ambition d’une génération spontanée. Les footballeurs issus des centres de formation ne sont arrivés que plus tard, après 1984. Le changement de mentalité était en route. Les footballeurs français se découvraient une mentalité et des capacités de compétiteurs « .

Cette nouvelle attitude face à la victoire aura un impact sur toute la société française. L’économie s’aligne sur le profil mental des champions sportifs, les nouveaux ambassadeurs de la France, et gagne de nouveaux marchés. Réconcilié avec elle-même, se reconnaissant dans le miroir du sport, la France n’est plus seulement le pays de la culture et du vin. D’autres disciplines suivent l’exemple du football. Les Français ne sont plus les Raymond Poulidor du sport, une image qui fut longtemps sympathique. Platini participe grandement à cette évolution. Après avoir fourbi ses armes à J£uf, en Meurthe-et-Moselle, ce fils d’un professeur de mathématiques et d’une maman tenant le Café des Sports, s’éclate à Nancy, confirme à St-Etienne avant de conquérir la Juventus et l’Italie. Il range ses premiers pas à l’AS Jovicienne, le club de son village, parmi les moments les plus agréables de sa trajectoire sportive. C’est son Cap Kennedy à lui. Il atteint la lune avec l’équipe de France.

 » Tout a démarré après un succès face aux Pays-Bas « , assure-t-il.  » Ce soir-là, je marque le premier but sur coup franc. A la fin du match, c’est 2-0 et la France se qualifie pour la Coupe du Monde en Espagne. Sans cela, il n’y aurait jamais eu 1982, 1984 et 1986 « . Puis comment ne pas se souvenir de l’extraordinaire France-Allemagne de Séville, en 1982 : demi-finales de Coupe du Monde, collision entre Harald Schumacher et Patrick Battiston, 3-3, succès germanique lors des tirs au but ?  » Ce fut très fort et la France s’est rangée comme un seul homme derrière son équipe nationale « , affirme Platini.

Pour aller plus loin, il fallait gagner comme lors de l’EURO 84. La France est au-dessus du lot. Il y a ce fameux coup franc qui, en finale, glisse sous le corps du gardien espagnol, Luis Arconada.  » La chance joue souvent un rôle important. « , dira plus tard ce maître du coup de pied arrêté.  » Lors de la Coupe du Monde 98, face à la Croatie, la France a remonté le courant grâce à deux buts de Lilian Thuram qui ne marquait jamais « .

Jamais revenu au Heysel

Avant le sacre européen de 1984 avec les Bleus, Michel Platini a déjà conquis l’Italie à la tête de la Juventus et a tout gagné que ce soit dans la cadre du Calcio ou sur les théâtres européens. C’est une vedette, une des premières stars foot de la presse people. Pourtant, il y a l’ombre du Heysel. En 1985, c’est le drame avant le coup d’envoi de la finale des Clubs champions, Juventus-Liverpool. Des moments que Platini n’oubliera jamais. Le lendemain, le quotidien français Libération affirme que Platini et ses équipiers ont dansé sur le ventre des morts. Michel Platini n’est plus jamais retourné au Heysel, devenu stade Roi Baudouin. Impossible pour lui de franchir ce pas comme Sergio Brio, lé défenseur turinois devenu coach à Mons , le fit récemment avec tant de dignité pour Sport-Foot Magazine. Trop dur, trop lourd.

 » Ce drame aurait pu se dérouler partout « , avance-t-il.  » Il y a eu d’autres catastrophes, comme à Bradford, entre autres, et, c’est triste à dire, on ne réagit qu’après de tels drames. Les stades furent enfin modernisés. Le Heysel m’a marqué à jamais. Nous avons bien fait de jouer ce match. Si les Italiens avaient appris qu’il y avait des dizaines de morts, je n’ose imaginer ce qui se serait passé. En tant que joueur, je n’ai jamais rien vécu d’aussi triste. C’est très lourd à porter. Des supporters sont venus au stade et ne sont plus jamais rentrés à la maison « .

En 1987, Platini prend du recul, range ses crampons, un an après avoir terminé troisième de la Coupe du Monde au Mexique. A 32 ans, il en assez des mises au vert, du stress, etc.  » J’avais perdu l’envie de jouer. J’étouffais, j’ai bien fait d’arrêter « .

Durant quatre ans, il coache les Bleus. Ils se qualifient sans problème pour l’EURO 92 de Suède avant de déposer son tablier.  » Sélectionneur national, c’était bien mais, plus globalement, je n’étais pas né pour être entraîneur « , avance-t-il.  » Je n’avais pas la vocation « .

Le président de la République, François Mitterrand, lui demande alors de rejoindre le comité d’organisation de la Coupe du Monde ’98 comme Jean-Claude Killy l’avait fait pour les Jeux Olympiques d’Hiver en 1992. Une initiative très importante. Platini joint alors ses efforts à ceux de Fernand Sastre.  » Ce ne fut pas facile car, à l’époque, pour un dirigeant, un footballeur restait un footballeur durant toute sa vie « , dit-il.  » Le terrain était à jamais son domaine. On n’imaginait pas facilement un ancien joueur dans un rôle d’administrateur. J’ai découvert un autre monde, celui des réunions, des élections, des conseils d’administration et Sastre, m’a beaucoup aidé « .

La Coupe du Monde 98 est une réussite sur toute la ligne. La France pèse à nouveau sur la scène internationale du football. Platini a plus de poids qu’il ne l’imagine. Sepp Blatter l’a compris. Platini devient son conseiller. Sa rampe de lancement vers le titre de président de la FIFA, où il succède à João Havelange ?

Suite à l’appel de Platini, le président Jacques Chirac demande le soutien des pays amis de la France à la candidature de Blatter. Ce sera… bingo. Mais Platini veut d’abord être la voix du football au plus haut niveau. Il s’élève contre le gigantisme, lutte contre la violence qui sévit sur les terrains, met en garde contre les masses salariales qui ne cessent de gonfler et incitent les clubs à d’abord faire des affaires.

 » Le football ne peut pas perdre ses valeurs « , souligne-t-il.  » Quand je vois que Beveren, en Belgique, joue avec une équipe d’Ivoiriens, je dis que ce n’est pas normal. Le but n’y est pas d’identifier le club à sa région. Là, les jeunes du cru ne peuvent pas réaliser leurs rêves de footballeurs : leur ciel est bouché en raison d’autres calculs. Je ne suis pas d’accord. Une finale de Coupe de Belgique avec, sur le terrain, une équipe sans le moindre joueur belge. Est-ce normal ? Je pose la question. Le football a d’autres valeurs que l’argent. Jeune, je ne me suis pas tourné vers le football pour l’argent. J’en ai gagné mais ce n’est pas ce qui a guidé mes pas. J’aimerais changer cela ; sinon, cela ne vaut pas la peine de continuer. L’arrêt Bosman, je suis d’accord, a libéré les joueurs en fin de contrat. C’est une bonne chose mais les dérives sont catastrophiques. Les joueurs changent sans cesse de clubs, le but étant de générer de l’argent, rien que cela. Je suis paumé en suivant ces carrousels. Il y a des dérives, il faut recadrer tout cela. La formation doit être protégée. Il n’est pas normal que les grands clubs se servent sans se gêner. Le football doit bénéficier d’une clause de spécificité. L’Europe devrait l’accepter : le football n’est pas qu’une activité économique comme les autres « .

Pas favorable à la vidéo

Platini ne serait pas Platini s’il ne luttait pas de toutes ses forces afin de protéger les amoureux du beau jeu.  » Le football est moins violent qu’avant. Il y a 10 ou 20 ans, on assistait encore à de véritables attentats sur les terrains. Le football était dangereux. La Task Force 2000 a bien réagi après la Coupe du Monde 90 en Italie. Les joueurs sont mieux protégés. On a fait ce qu’il fallait faire au niveau des règles. Je ne suis pas favorable à l’apport de la vidéo pour juger les phases de jeu. On ne cesserait de hacher le jeu, d’hypothéquer l’arbitrage, sans avoir la certitude de détenir la vérité. Mais je suis pour quand elle montre les tricheurs ou les brutes, les casseurs. Les instances concernées peuvent réagir plus tard et les punir. Cela dit, elle ne doit pas s’emparer du football. Les grandes chaînes rêvent d’une pause de 20 minutes entre deux mi-temps. Là, on est dans la dérive. Pas pour le bien du football mais afin de passer plus de messages publicitaires. Il faut aussi tout faire afin d’améliorer la qualité de l’arbitrage. Dans ce contexte, il serait intéressant de placer un juge de ligne derrière chaque but. Il pourrait relever les fautes, comme les tirages de maillots, constater si la balle a franchi la ligne, etc. En ce qui concerne les hors-jeu, je fais confiance aux juges de ligne « .

Le football change et, quoi qu’on fasse, les artistes semblent de moins en moins nombreux. Les coaches remplacent facilement un inventeur de football par un marathonien. Or, la créativité doit être au centre de tout. Sans elle, pas de beau jeu, pas de Platoche, pas d’icônes dans les stades.  » C’est le domaine du joueur. Mais, c’est vrai, il y a actuellement moins de créateurs qu’avant « .

Est-ce le star system qui, comme ce fut probablement le cas au Portugal, mange les vedettes qui ont mille activités commerciales et promotionnelles venant alourdir leurs programmes ?  » A mon époque, je disputais autant de matches que les joueurs actuels « , conclut Michel Platini. Mais il pensait sans doute d’abord au football, la célébrité n’étant pas aussi éreintante qu’à l’époque actuelle.

Pierre Bilic, envoyé spécial à Paris.

 » Je n’étais pas né pour être COACH : je n’avais PAS LA VOCATION  »

 » Le football a D’AUTRES VALEURS QUE L’ARGENT  »

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