Fred l’indestructible

Retour sur la carrière d’un gars qui tranche et qui aura 34 ans samedi.

Ce week-end sera spécial pour Frédéric Herpoel. Parce qu’il fête ses 34 ans samedi ? Parce qu’il entame son 16e championnat de D1 ? Ou parce qu’il retourne pour la première fois dans le stade de La Gantoise depuis son clash avec ce club, il y a un an ?  » Un peu de tout cela « , lâche le gardien de Mons.  » Un anniversaire, oui, c’est toujours un jour spécial. Le début du championnat, c’est un soulagement pour tout le monde parce qu’une préparation n’a rien d’agréable. On est obligé d’y passer mais ça ne m’amuse pas du tout. Et le retour à Gand… Oui, je serai ravi de retrouver les supporters. Les autres personnes, je ne veux plus en parler. Quand j’arrêterai de jouer, je sortirai un livre où j’expliquerai tout ce qui se passe dans ce club. « 

Je sens que tu as la ranc£ur tenace.

Frédéric Herpoel : Oui.

Tu n’as pas un pincement au c£ur quand tu vois les grands projets gantois ? Le nouveau stade, un entraîneur comme Michel Preud’homme ?

Je n’ai pas envie de donner un avis là-dessus. Tant mieux pour ces supporters fantastiques s’il y a de grandes ambitions à La Gantoise.

En janvier, tu as eu un gros coup de gueule dans la presse. Pour secouer Mons, tu as tiré sur tout ce qui bougeait. Il y a eu des effets concrets ?

Oui, puisque l’équipe s’est sauvée.

D’accord, ça, c’est le résultat sportif final. Mais est-ce que des choses ont vraiment bougé dans le club ?

J’ai eu ce que je réclamais : une bonne discussion avec le président, en compagnie de mon agent et de mon avocat.

Tu avais besoin d’un avocat et d’un agent pour discuter avec Dominique Leone ?

Je voulais des témoins. Soit certaines choses changeaient, soit j’arrêtais de jouer sur-le-champ.

Mais en quoi le club a-t-il évolué entre-temps ?

Pas de commentaire. Il ne faut plus me parler de tout cela. Je suis redevenu joueur à 100 %. Je me concentre sur mon boulot et rien d’autre. Je veux encore prendre du plaisir pendant deux ans, puis je stopperai probablement.

On t’a reproché de t’être lâché dans la presse ?

Personne ne m’a rien dit en face, en tout cas. Je n’ai fait que dire ce que tout le monde pensait tout bas. Et tout cela n’avait qu’un objectif : que tout le monde tire dans le même sens pour sauver Mons. Ne pas y arriver avec le noyau qu’il y avait ici, cela aurait été grave. Au bout du compte, ce qu’on a fait avec Albert Cartier était exceptionnel, compte tenu de tous les problèmes extra-sportifs.

Aujourd’hui, tout va bien ? La saison va bien se passer ?

Il y a encore beaucoup de choses qui m’ennuient énormément. Mais j’ai promis de ne plus rien dire. Je n’ai plus envie de m’énerver.

Comment expliques-tu le remue-ménage de la fin de saison passée ? On avait l’impression que tous les joueurs voulaient quitter Mons.

Il y en a plusieurs qui n’avaient plus la tête dans ce club. Les raisons n’étaient pas les mêmes chez tout le monde. Moi, je vois l’aspect uniquement sportif : nous avons perdu quelques très bons joueurs. Des gars qui devaient en tout cas partir parce qu’ils ont le niveau pour jouer plus haut. Adriano Duarte, Wilfried Dalmat, Benjamin Nicaise, ils méritaient un plus grand club. Idem pour Alessandro Cordaro. En tant que coéquipier, je serais content qu’il reste. Mais pour sa carrière, il doit partir. Il se déchaîne ici depuis plusieurs années, il va stagner s’il reste dans une équipe de bas de classement.

 » On doit terminer 14e : ce sera très, très, très dur « 

La campagne de préparation a rassuré.

Vu de l’extérieur, c’est rassurant, oui, puisque nous avons gagné presque tous nos matches.

Et vu de l’intérieur ?

Il faudra attendre les premiers matches de championnat pour se prononcer et ça me dérange. Nous avons battu Bruges et Lens mais ces clubs-là ont surtout fait tourner leur noyau contre nous et c’était en tout début de préparation. Donc, ce sont des victoires dont je ne conclus rien du tout. J’aurais préféré qu’on affronte du plus costaud plus tard dans la préparation et qu’on se prenne une ou deux bonnes claques, pour voir où il fallait réagir. On m’a toujours expliqué que le programme de l’été devait être progressif dans la difficulté : tu commences par des petits et tu termines par des gros. Ce ne fut pas le cas ici : après Bruges et Lens, nous n’avons eu que des petits sur notre route jusqu’au match de samedi passé contre l’Atalanta. Un seul test sérieux, une semaine avant les trois coups du championnat, c’est dangereux.

Le noyau n’est pas un peu court ?

Pfff… Impossible à dire, on n’a pas eu l’occasion de le juger.

Les quatre derniers sont concernés par la descente cette saison : ça risque d’être chaud pour un club comme Mons.

C’est clair et net. On ne peut pas se voiler la face : ce sera encore plus difficile que la saison dernière. Et quand on sait à quel point ça a été compliqué pour se sauver, on se rend compte de ce qui nous attend. Mons doit essayer de terminer 14e, point à la ligne. Mais ce sera très, très, très dur. J’espère me tromper mais je dois être correct dans mon analyse. Et si tu poses la même question à d’autres joueurs de Mons, ils te répondront la même chose.

Pour toi, le noyau est moins bon que celui de la saison dernière ?

Il est meilleur au niveau ambiance. Mais ce n’est pas uniquement avec une bonne ambiance qu’on fait des résultats. Il faut aussi de grosses qualités football, et à ce niveau-là, c’est toujours le point d’interrogation. Nous commençons le championnat contre Gand, Genk, le Cercle et Anderlecht. Imagine un zéro sur 12 et nous sommes obligés d’aller gagner à Courtrai lors de la cinquième journée. Si nous perdons encore là-bas, que se passe-t-il ? C’est à ce moment-là qu’on verra qui en a et qui n’en a pas…

Comment as-tu vécu la saga Cartier ? Il part, il reste peut-être, il part à nouveau,…

Je n’ai pas du tout suivi. Quand je suis en vacances, je suis HS : hors service. Pas de journaux, rien. De toute façon, à quoi cela aurait servi que je suive tout cela de près ? Qu’on nous mette X, Y ou Z comme entraîneur, nous sommes quand même obligés de travailler avec lui. J’ai appris à prendre beaucoup de détachement par rapport à des trucs pareils. Je suis plus proche de la ligne d’arrivée que du départ, c’est d’ailleurs très bien comme ça.

 » Plus ça va mal et plus on complique. Et ça va encore plus mal ! « 

As-tu l’impression de pratiquer encore le même sport qu’il y a dix ans ?

Il y a de plus en plus de trucs que je ne comprends pas dans le foot. L’équipe nationale n’en touche pas une, les Belges se prennent des casquettes en coupes d’Europe, mais on s’obstine à tout compliquer. Comme si personne ne voulait se souvenir que ça marchait beaucoup mieux quand on faisait dans la simplicité. On ne sait plus quoi inventer pour donner l’impression qu’on s’exprime bien, à la télé ou dans les journaux. C’est du bourrage de crâne, rien d’autre. Je prends l’exemple du team building. Avant, on improvisait des activités après avoir pris sa douche : -On fait quoi ce soir ? On va en ville ? Et c’était parti pour une virée. C’était naturel. Aujourd’hui, les coaches sont obligés de mettre du team building dans leur programme. On parle aussi de VMA : ça fait bien, très scientifique. Tu as un préparateur physique qui mesure ta VMA puis divise le noyau en plusieurs groupes. Mais ce n’est pas parce que tu as une bonne VMA que tu seras un meilleur footballeur. Si tu as les pieds carrés ou les mains de travers, tu n’as aucune chance. Tout est chronométré : 7 minutes d’échauffement, 5 minutes de ceci, 10 minutes de cela. Et le nouveau truc à la mode, c’est le fitness. Quand j’étais à Anderlecht avec Philippe Albert, Luc Nilis, Marc Degryse, Johnny Bosman, Bertrand Crasson, Johan Walem et les autres, personne ne faisait de fitness mais ça jouait au foot. Nous avons aussi les diététiciens qui calculent tout à la calorie près. -Oh la la… Tu as pris 500 grammes, c’est grave ! Avant, on se bourrait la gueule ensemble mais on était sur le terrain le lendemain matin et tout allait bien. Et le terme qui me fait le plus rire : box-to-box. Si je comprends bien, le box-to-box est le gars qui est dans son rectangle quand ça chauffe et qui se trouve dans le rectangle d’en face dès qu’il y a une occasion pour son équipe. Et il fait ça pendant 90, voire 120 minutes. Quel champion ! Mais non, il y a simplement toujours eu des footballeurs capables d’avoir une grosse activité : on les appelait les travailleurs. Wilfried Van Moer, Franky Van der Elst, Marc Wilmots. Aujourd’hui, ce seraient des box-to-box. Jan Polak est un exemple type de box-to-box ? Pour moi, c’est un travailleur comme Van Moer l’était autrefois. Mais parler de team building, de VMA ou de box-to-box, ça fait mieux. C’est surtout plus compliqué. Normal, on complique tout. Il y a aussi les diplômes qu’on impose aux entraîneurs. Johan Boskamp est contre et il a bien raison. Tu imagines ? Des gars ont joué 500 matches en D1, ils ont des dizaines de rencontres européennes, ils ont disputé des Euros et des Coupes du Monde, mais ils doivent aller à l’école pour que des profs inconnus leur expliquent comment échauffer leur noyau. Tout cela me fait bien rire. La formation d’entraîneur aborde aussi la biologie. Mais ce n’est quand même pas le coach qui devra monter sur le terrain si un de ses joueurs se blesse ? Il y a un médecin, un kiné et parfois un ostéopathe sur le banc : ils sont là pour ça, non ? On ne sait plus quoi inventer, en Belgique. Moins ça va et plus on imagine de nouveaux trucs. A l’étranger, on continue à croire dans ses propres méthodes même quand on traverse un passage à vide. On comprend que ce n’est pas en compliquant tout que ça ira mieux. Parce que là-bas, on est convaincu de ses compétences. Chez nous, malheureusement, on n’est convaincu de rien du tout.

On parle un peu de l’Union Belge ? De l’affaire Fellaini aux JO ? De Vandereycken qui a été prolongé ?

Pour que ça fonctionne bien en bas de la pyramide, il faudrait tout nettoyer au sommet. Mais personne ne s’y risque. Si tu essayes de faire bouger les choses, tu as contre toi toute l’équipe en place et c’est toi qui sautes. Donc, tu ne fais rien. Et rien ne change. Je constate quand même qu’autour de nous, c’est méchamment plus dynamique. Chez nous, Preud’homme s’est risqué au jeu, il a voulu du changement. Mais on a fait bouclier devant lui et il a compris. Les sauveurs du football belge savent où est le problème mais ils n’ont pas envie de l’attaquer. En attendant, je fais partie des joueurs qui prennent du galon tous les deux ans, chaque fois que les Diables ratent une qualification pour un tournoi. Avec les anciens qui étaient à l’EURO 2000 et au Mondial 2002, nous nous sommes déjà fait la réflexion que nous étions occupés à entrer dans l’histoire : les derniers Belges à avoir participé à des tournois ! J’espère qu’on va mettre fin bientôt à la misère ambiante, mais je ne promets rien. C’est incompréhensible qu’on n’arrive pas à former une équipe A valable avec les joueurs présents. Car il y a vraiment de très grands talents.

 » Jean-François de Sart a eu raison d’aller en Chine malgré tous les bâtons dans ses roues « 

Le maintien de Vandereycken, qu’est-ce que ça t’a inspiré sur le coup ?

Aucune réaction ?

Pas de surprise ?

Quand tu sais comment ça fonctionne là-bas, tu ne peux pas être surpris. On m’a toujours dit qu’un entraîneur était jugé sur ses résultats, que ce soit en Provinciales, en D1 ou en équipe nationale. Là, on est quand même loin de la logique.

A la place de Jean-François de Sart, tu serais parti aux Jeux avec l’équipe olympique ?

Oui. Parce que le rêve de tout sportif est d’aller aux JO. On n’a pas arrêté de lui mettre des bâtons dans les roues, mais il pourra maintenant dire qu’il a participé aux Jeux. Et ça n’a pas de prix. Moi, si j’avais joué au Real et que mon club m’avait interdit d’y aller, j’aurais quand même pris mon vélo et je serais parti. Je n’aurais pas eu peur du gros bras de fer. Quand tu joues dans un très grand club, tu peux te permettre d’aller au clash parce qu’il y aura toujours une autre grande équipe prête à te récupérer. Je comprends tout à fait les stars qui ont fait le forcing pour pouvoir partir en Chine.

Ton avis sur la situation de Silvio Proto ?

C’est dommage pour lui car il est bourré de qualités. Ce qu’il vit me rappelle ce que j’ai vécu à Anderlecht. Moi, j’avais l’avantage d’arriver en fin de contrat et je suis parti en profitant de l’arrêt Bosman qui était tombé peu de temps avant.

Tu auras joué grosso modo de 1990 à 2010. Tu n’aurais pas préféré être actif de 2010 à 2030 ?

Mon dieu non ! Ma période était finalement très bien. Et je suis content que ça se termine dans deux ans. Mon plaisir diminue d’année en année. J’aurais peut-être mieux gagné ma vie si j’avais commencé maintenant mais je ne me serais jamais amusé autant.

par pierre danvoye

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