« Frank n’a pas su choisir ses amis »

Le clan VDB a tout donné au cyclisme. Le vélo lui reprendra-t-il ses rêves?

Toute la famille Vandenbroucke ne vivait que par et pour le cyclisme. Cet empire s’est écroulé: Jean-Luc n’a que des soucis depuis 1997 (contrôle positif d’ Abdoudjaparov sur les routes du Tour de France), Frank passe d’un problème à l’autre, la famille est secouée.

« Pourtant, je sais que nous en sortirons », dit Jean Luc. « J’espère mais ce sera dur. Le vélo, c’est notre vie ».

Même si elle a connu de très grands succès, la famille VDB n’a pas toujours pédalé dans la facilité. Avant les succès de l’Excelsior de Mouscron, elle incarna le Hainaut et si on parlait des Hurlus à l’étranger, c’était grâce à Jean-Luc Vandenbroucke. Chacun de ses exploits était une campagne de publicité pour Mouscron.

Un papa autoritaire

Le père des VDB était plombier-zingueur et avait son affaire, son magasin, etc. Il ne supportait pas du tout que ses fils s’intéressent au vélo.

« En fait, nous sommes trois frères », explique Jean-Luc. « Jean-Jacques a sept ans de plus que moi. J’ai un frère-jumeau, Jean-Paul, qui est libraire et ne s’est pas beaucoup intérésse à tout ce qui touchait au sport cycliste. Il était plus lourd que moi et ça l’a éloigné de la compétition. Je suis venu au monde coiffé de la membrane amniotique. Pour les sages-femmes, c’était un signe de chance pour le bébe. Verni pour la vie… »

En fait, la poche des eaux ne s’est pas déchirée et, souvent, dans ce cas, l’enfant laisse sa vie à la naissance. Le petit Jean-Luc a eu plus de veine. Le destin ne tarde pas à être moins clément avec Jean-Luc et ses frères. Leur père est de plus en plus autoritaire. Jean-Jacques ne supporte pas du tout cette atmosphère assez pesante dans la famille. A la fin 1970, l’équipe professionnelle Novy le suit, s’intéresse de très près à ses qualités exprimées dans toutes les catégories de jeunes. Jean-Jacques signe finalement un contrat mais quitte la maison.

« Nous adorions le sport cycliste mais je suppose que mon père estimait qu’il y avait beaucoup mieux à faire », affirme Jean-Luc. « Il y avait du travail à la maison. En 1969, je m’étais rendu au départ du Tour de France, à Roubaix, tout près de chez nous. C’était la première Grande Boucle d’ Eddy Merckx: un fameux événement. Rudy Altig remporta le prologue. J’étais aux anges car le spectacle fut assez fabuleux. Rudy Altig en jaune, l’étape du lendemain allait se terminer chez Eddy Merckx, à Woluwé: je vivais comme dans un rêve et j’avais déjà envie d’exercer ce métier. Mon frère m’avait transmis le virus et le spectacle de la Grande Boucle m’avait conforté dans ce désir de devenir coureur. Nous rentrions de Roubaix quand on nous annonça que notre mère avait eu une embolie. J’avais 14 ans quand elle rendit son dernier souffle.

Après cela, mon père devint de plus en plus colérique à la maison. Pas facile à vivre. Jean-Jacques était parti mais nous le voyions souvent pour parler de vélo. Deux ans après la mort de ma mère, l’état de santé de mon père s’aggrava. Après une crise, Jean-Paul et moi, nous lui avons demandé de consulter un spécialiste des problèmes cardio-vasculaires. Il l’a fait. Mon père a préparé ses papiers et autres dossiers à la maison. Avant de partir, il m’a dit, et je m’en souviendrai toujours: -Tu diras à Jean-Jacques de venir chercher la voiture à l’hôpital. Moi, c’est la dernière fois que je vois notre maison. Le lendemain, mon père fut terrassé par une crise cardiaque foudroyante à l’hôpital. Nous étions seuls: Jean-Jacques devint évidemment notre tuteur. Il s’occupa du magasin avec nous durant quelques mois avant de remettre les affaires. Normal: il avait d’autres projets, je voulais devenir coureur, le sport m’aida à surmonter tout mon chagrin ».

De grands débuts pros

Jean-Luc et ses frères s’installent quelques mois à Ploegsteert. Jean-Jacques avait signé chez Novy mais il ne devint jamais professionnel.

« Il devait veiller sur ses deux frères », raconte Jean-Luc. « Jean-Jacques a estimé que j’étais plus doué que lui et il m’a donné son vélo ». La suite, ce sont des titres sur route et sur piste chez les amateurs, champion d’Europe de poursuite, 224 succès chez les jeunes. L’équipe Peugeot lui offre un contrat pro: c’est le début de la légende du clan VDB. En 1976, un an après ses débuts chez les pros, Jean-Luc se glisse dans la roue d’ Eddy Merckx et termine deuxième de Milan-Sanremo. Plus tard, il sera déclassé pour contrôle anti-dopage positif: amphétamines.

« Moi, je n’ai jamais compris et je n’ai jamais su ce qui s’était passé », dit-il. « J’avais fait confiance à mon équipe. Je ne faisais pas très attention: je mangeais et buvais ce qu’on me donnait. Dans le cas contraire, je n’aurais pas attaqué avec Eddy Merckx: je savais que j’allais passer au contrôle. Malgré cela, ce Milan-Sanremo reste un grand souvenir. Je n’ai plus eu de problème de dopage par la suite. C’est quand même tout dire ».

Après sa carrière de coureur, Jean-Luc se tourne vers le métier de directeur sportif. Il prend la succession de Walter Godefroot à la tête de l’équipe Lotto. Sa société VDB Promotion abat du bon boulot, avec des hauts et des bas, détecte beaucoup de jeunes talents, les forme, les lance. L’équipe Lotto occupe le haut du pavé en Belgique, a sa place dans la D1 du cyclisme mondial. Cela crée peut-être des jalousies. VDB représente sa région, le Hainaut Occidental et y est proche de Jean-Pierre Detremmerie, un des barons du PSC, comme l’ancien ministre des Finances, Philippe Maystadt, qui chapeaute la Loterie Nationale.

VDB donne du travail aux gens de sa région, relance Jef Braeckevelt au poste d’adjoint, recrute Claude Criquielion, sa femme, Carine, devient sa secrétaire, son frère est un des mécaniciens de l’équipe, etc. Il s’expose forcément à pas mal de jalousies. Tout le monde n’apprécie pas la réussite des autres dans le peloton. La roue tourne sans que VDB, très occupé, ne s’en rende bien compte. En fin 1993, son neveu, Frank est approché par les plus grandes équipes. Jean-Luc n’apprécie pas. Conseil de famille: Frank signe pour le compte de la formation Lotto.

« C’est quand même tout à fait normal », dit Jean-Luc. « Son père travaillait chez nous. C’est un VDB, on lui a appris quelque chose que je sache ».

Frank signe avec un sourire de circonstance. Un peu contraint et forcé. Peut-être et un jeune aussi têtu que lui n’apprécie pas. Il a toujours été très doué pour le sport, se distingue en athlétisme, y décroche un titre national en pupilles, avant d’opter pour le vélo et gagne comme il respire. Sa classe a-t-elle eu un impact négatif sur certaines facettes de son caractère flamboyant? Peut-être. Il est hyper-explosif, extroverti, alors que son oncle était discret en tant que coureur. Un duo avec pôle sud et pôle nord.

Frank avait tout pour arriver au sommet

« Un jour, il a été renversé par une voiture », raconte Jean-Luc. « Dans l’ambulance, Frank ne s’inquiète par pour sa santé et ses blessures: il désirait savoir si son vélo était réparable. Il ne voulait rien faire comme nous. Quand je roulais pour le compte de La Redoute, il était encore jeune mais disait: -Je ne ferai jamais partie de cette équipe. Je signerai chez Panasonic. Or, l’équipe de Peter Post était un de nos concurrents. Plus tard, Frank lança en suivant Tony Rominger à la télévision: -Il s’y prend mal sur les routes de Liège-Bastogne-Liège. Moi, je gagnerai tôt ou tard cette Doyenne. Frank a tenu parole ».

Bilingue, Frank devient une vedette hyper-populaire tant en Wallonie qu’en Flandre. Il rompt les ponts avec Lotto, signe chez Mapei et Patrick Lefevere. Le nouveau VDB plonge vite, change d’équipe, sombre dans les ennuis.

« Il avait tout pour arriver et rester au sommet », affirme Jean-Luc. « Frank n’a pas voulu écouter son père et son oncle: qui auraient mieux pu l’aider et le conseiller que nous? Personne. C’est un gâchis car on n’avait plus eu un tel talent depuis Eddy Merckx. Je crois malgré tout qu’il peut revenir car sa classe intrinsèque est vraiment immense. Frank a commis l’erreur de mal choisir ses amis: or, c’est ultra-important pour un jeune coureur. Il ne s’est pas bien entouré et le paye cash. Il ne réfléchit pas. Je me suis rendu à son mariage. Frank avait garé sa Ferrari devant l’église: c’était maladroit, arrogant même mais passe encore. Ensuite, je n’ai pas tardé à voir le Docteur Mabuse , Bernard Sainz. Ce dernier parla même en public. Pour moi, c’était trop, je suis parti. N’avait-il pas encore compris que ce personnage était à la base de pas mal de ses ennuis? »

Une famille éclatée?

Frank devait être une bénédiction pour la famille. Il a contribué par ses frasques à en éloigner un peu les différentes parties. Pas facile à vivre quand on sait à quel point Jean-Luc est lié à son frère, Jean-Jacques. Après sa séparation avec Frank (papa de sa petite Cameron), Clothilde tomba amoureuse de Jean-Denis, le fils de Jean-Luc. Les tourtereaux se marièrent. Un événement-choc dans toute famille qui se respecte. Difficile à digérer. Pendant tout ce temps, Jean-Luc a de graves problèmes avec son équipe cycliste.

En 1999, Andrei Tchmil gagne Milan-Sanremo et la Coupe du Monde: exploit assez immense pour une petite équipe. Deux ans plus tôt, Djamolidine Abdoujaparov est exclu du Tour de France à Marennes: positif aux stéroïdes anabolisants. VDB nettoye son équipe car il avait trop fait confiance, selon lui, à des membres de son personnel. Abdou a des produits de son pays, l’Ouzbékistan, et un membre de l’équipe lui donne d’autres saloperies.

« Je serai innocenté », dit Jean-Luc. « Pas d’autres commentaires car cette affaire est instruite par la justice et je ne peux m’exprimer à ce propos. J’ai été roulé dans la farine par des gens que j’estimais ».

Sur cette lancée, les ennuis financiers se font jour. On parle d’argent noir: « Rien à dire non plus: j’ai tout dans ma comptabilité. Des coureurs ont été payés: ils prétendent le contraire. C’est leur parole contre la mienne. Je ne peux ajouter qu’un chose: je possède deux maisons, ce sont les seuls fruits de ma carrière et de mon travail. J’espère ne pas tout perdre. Andrei Tchmil, a 150 millions devant lui, moi pas… »

Sans sa femme, Carine, tout aurait encore été plus dur: « Quand je l’ai vue pour la première fois, j’avais 15 ans, je savais qu’elle serait un jour mon épouse. Elle ne veut plus entendre parler de sport cycliste. Quand mon fils, Jean-Denis, a vu combien elle souffrait, à cause du vélo, il a décidé d’arrêter sa carrière pro. Je le comprends ».

Pas laisser tomber

Jean-Luc n’est plus au Lotto, où le PSC a cédé sa place à l’influence libérale (le Premier Ministre Guy Verhofstadt adore le vélo) depuis plus de trois ans. Longue traversée du désert. Il y a 20 ans, le Tour planta l’arrivée d’une étape à Mouscron. Grâce à « VDB I » au top de sa gloire. Cette année-là, Jean-Luc gagna Blois-Chaville le jour des élections communales à Mouscron: il rapporta pas mal de voix au PSC Detremmerie. Ce dernier n’a pas oublié: Céline, la fille de Jean-Luc, travaille à l’Excelsior de Mouscron.

Unie dans le cyclisme puis désunie par le vélo: cette famille reviendra-t-elle le beau clan d’autrefois?

« Il le faut, c’est éprouvant, tout s’est écroulé en cinq ans, absolument tout, mais le cyclisme signifie trop pour nous: on ne laissera pas tomber ».

Pierre Bilic,

Dia 1

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