Franchitude

Avant de se faire fracasser par la télé au Standard, ce médian très complet croulait sous les éloges. A raison.

Tout est chaos

A côté

(…)

Je suis d’une génération désenchantée.

Mylène Farmer aurait pu inspirer Benjamin Nicaise (26 ans), qui fait le beau temps dans l’entrejeu de Mons depuis janvier. Sa France semble lui laisser des souvenirs amers, et pas seulement sur le plan du foot. Il sait qu’il est un privilégié mais pense à ceux qui n’ont pas eu sa chance.  » Ce n’est pas envers moi que la vie a été la plus cruelle. Je me suis retrouvé dans un centre de formation à 17 ans, j’ai vite gagné de l’argent, j’ai pu me payer un appartement, une voiture, des soirées au ciné ou au resto, des vacances, etc. Mais je fais clairement partie de la génération désenchantée. Dans la tranche d’âge 22-30 ans, il y en a beaucoup qui rament « .

Avez-vous voté au premier tour de la présidentielle ?

Benjamin Nicaise : Non. Je n’avais pas fait les formalités pour m’inscrire. Mais je le regrette parce qu’on doit saisir les occasions de voter.

Comment voyez-vous l’avenir politique de la France ?

Si Nicolas Sarkozy passe, la France d’en bas va faire la révolution. Il a prouvé de quoi il était capable quand il était ministre de l’Intérieur.

On entend beaucoup ce genre de commentaire, mais plus de 10 millions de Français lui ont fait confiance au premier tour.

Sa stratégie de campagne était extraordinaire. Ce n’était plus une campagne mais un combat, presque une guerre avec des déclarations très musclées. Il sait que pour arriver au poste de président, il faut afficher une soif de pouvoir gigantesque. Il ne s’en est pas privé. Il s’est bien entouré et ne s’est pas préoccupé de la jeunesse car il savait que les jeunes ne passeraient de toute façon pas de son côté. Il s’est plus focalisé sur la récupération d’électeurs du Front National. Tout cela me fait peur.

Pas de place pour les dégonflés

Vous avez déclaré au journal Le Soir :  » Dans le foot, il y a deux catégories de joueurs. Ceux qui encaissent les coups et ceux qui en donnent. Moi, j’en donne « . Point de vue déclarations fortes, vous êtes aussi un bon client !

Dans ce métier, il faut savoir donner des coups et accepter d’en recevoir. C’est un sport de duels, de contacts virils. Pour gagner un match, il faut remporter le maximum de duels. Et pour cela, il faut soit arriver sur le ballon avant son adversaire, soit être plus dur que lui dans l’affrontement. Regardez la Ligue des Champions : ces gars-là n’ont pas peur d’aller au feu.

Mais le foot n’est pas un sport de combat au départ !

Je ne dis pas ça. J’ai un poster d’Eric Cantona qui dit : -Tu joues pour te battre. Ça, pour moi, c’est exagéré. Monter sur le terrain avec cet état d’esprit, c’est le meilleur moyen pour passer à côté de son match. Et je n’ai surtout pas envie qu’on me colle une étiquette de bagarreur. Je suis un médian capable de faire de bonnes choses balle au pied. Mais j’ai intégré les notions d’agressivité et de souffrance dans mon jeu. J’ai lutté pour le maintien avec Nancy : dans l’Est de la France, les gens sont des besogneux et on avait intérêt à mettre le pied. J’ai aussi joué pour ne pas descendre avec Metz et Amiens : des expériences pareilles vous marquent. J’ai appris qu’il fallait monter sur la pelouse avec la bite et le couteau, sans quoi on risquait de se faire bouffer. Pour avoir sa place dans ces équipes menacées, il fallait prouver qu’on n’était pas des dégonflés.

 » Je ne fais pas mon métier pour les gens  »

Vous l’avez prouvé au Standard en descendant Steven Defour. Il y a eu l’exclusion puis votre coup de sang quand vous êtes retourné vers le joueur couché au sol, ensuite la rébellion dans la tribune…

C’était la période des premières chaleurs… (Il se marre). Non, les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, me juger comme ils l’entendent : moi, je sais que j’étais sûr à 200 % d’avoir le ballon. On me croira ou pas mais j’ai autre chose à faire que chercher des explications bidons. Malheureusement, mon pied est passé à travers au dernier moment et j’ai tout arraché. Defour a fait son cinéma. Je ne lui en veux même pas, c’est le foot mais je suis allé lui dire ma façon de penser : -Relève-toi, tu n’as rien. Et il a fini le match, hein ! J’ai été stupide mais c’était de la frustration. On perdait en jouant bien et j’étais frustré par rapport à l’arbitrage. José Riga m’avait pourtant dit que le referee me tenait à l’£il. Mais bon, si les gens veulent me juger sur cette phase-là, qu’ils s’amusent. Je ne fais pas mon métier pour les gens mais pour prendre du plaisir et gagner des matches. Avant le Standard, ça ne dérangeait personne que j’aborde tous les duels avec la gnaque qui fait ma force.

Avez-vous l’impression que les commentaires ont été si durs ?

La presse écrite m’a épargné mais la télé m’a tué. On m’a fracassé sur Belgacom TV. Un commentateur a dit qu’un terroriste pareil devait quitter le championnat de Belgique.

Pourquoi en avoir rajouté dans la tribune après votre expulsion ?

Un steward a mis le feu, tout cela parce que je m’étais trompé d’escalier. Désolé, je ne connaissais pas Sclessin, c’était la première fois que j’y allais ! Une semaine plus tôt, Marco Ingrao avait été exclu lors de Mons-Lierse mais il avait pu rester dans la zone neutre après sa carte rouge, personne ne l’avait fait chier. Pourquoi chercher des poux aux gens qui ne font rien de mal ? S’il n’y avait pas eu Hocine Ragued, Alain Lommers et Pierre François pour calmer le steward, il m’en aurait mis une. Mais il l’aurait regretté, le gars !

Cette soirée est votre plus mauvais souvenir avec Mons ?

Certainement. J’étais bon depuis trois gros mois mais j’ai eu l’impression qu’on me jugeait subitement sur une seule phase.

 » Les centres de formation cassent les personnalités  »

Vous n’entrez pas dans le moule des joueurs français sortis des centres de formation : ils sont généralement très calmes et pondérés dans leur discours.

J’ai eu la chance d’intégrer un centre assez tard, ce qui m’a permis d’avoir mes idées, de ne pas être lobotomisé. Que fait un gamin qui arrive dans un centre à 12 ou 13 ans et y reste jusqu’à 18 ans ? Il étudie et joue au foot, il ne connaît rien d’autre, ne côtoie personne en dehors de ce milieu. Comment voulez-vous qu’il ait des idées à 18 ans ? Il est perdu, le mec !

Vous remettez en cause l’écolage qu’on reçoit dans les centres de formation français ! C’est rare.

C’est un des meilleurs systèmes d’Europe, les Français l’ont compris avant tout le monde. Mais il a ses limites. Il ne développe pas du tout la personnalité des joueurs. Si un gars est hyper doué mais difficile à gérer, on le met à l’écart. On préfère prendre un autre qui a moins de talent mais ne dit rien. Trouvez-vous normal qu’un Fadel Brahami, qu’un Wilfried Dalmat, qu’un Frédéric Jay soient à Mons ? Ils ont joué en Ligue 1, ils ont le niveau : on les a mis de côté parce qu’ils ont une personnalité qui dérange. Je ne suis pas un fouteur de merde. Mais les entraîneurs français veulent des moutons car ça leur permet de masquer leur incompétence. C’est quand même plus facile de travailler avec des joueurs qui ne se rebellent jamais.

Chez nous, on vante aussi la formation des entraîneurs français !

C’est quoi, un bon entraîneur, aujourd’hui ? D’abord un bon manager, un gars capable de gérer des personnalités. Si je vais sur internet, je trouve directement des milliers d’exercices. Ce n’est pas compliqué de faire travailler des footballeurs sur le terrain. Par contre, il faut de grandes qualités pour fédérer un groupe. L’entraîneur doit pouvoir trouver les mots justes avec le blessé qui revient, avec le joueur qui a perdu sa place, avec celui qui pète la forme et dont il faut entretenir le niveau. Aujourd’hui, un entraîneur n’entraîne plus que 10 % de son temps. Tout le reste, c’est de la gestion humaine. Pourquoi José Mourinho réussit-il ? Parce qu’il trouve les mots justes, pas parce qu’il impose des exercices spécifiques. Je serais curieux de voir ce qu’il fait à l’entraînement. De toute façon, ses joueurs savent déjà tout faire balle au pied. Par contre, des entraîneurs qui dirigent des footballeurs sachant tout faire, se plantent parce qu’ils n’ont pas le bon feeling.

 » Je sais qu’on va me traiter de tête de con  »

Vous êtes un rebelle, quand même !

Non. (Il rigole). On est rebelle parce qu’on dit ce qu’on pense ? Je sais ce que certaines personnes vont penser après avoir lu cette interview : -Quelle tête de con, ce Nicaise. Je peux te faire une soupe pendant trois heures avec des banalités, tu auras le même article que celui que tu as fait la semaine passée ou celle d’avant avec un autre footballeur français. Un discours bien huilé et formaté qui n’intéresse personne. La version officielle. Ça passera comme une lettre à la poste, tout le monde trouvera que c’est très sage. Parfois, je me dis que je vais essayer de la jouer tranquille avec les journalistes, mais je n’y arrive pas. (Il rigole). Il faut que je me lâche, que je reste moi-même. Ça me désole par exemple de répéter que les arbitres belges ne sont pas bons et que Mons se fait enfiler. Mais je le dis parce que c’est vrai.

Venons-y… Pourquoi cette équipe prend-elle autant de cartes rouges ?

Parce qu’elle est jeune.

Il y a quand même de l’expérience dans le groupe.

Ce n’est pas un problème d’expérience mais de jeunesse du club. Mons est encore nouveau à ce niveau. Qui oserait dire que nous pratiquons un jeu violent ? Les médias sont unanimes pour dire que nous essayons chaque semaine de faire le jeu. Mais les arbitres ont vraiment décidé de ne pas être cléments avec nous. Mons n’a pas une influence énorme sur le corps arbitral. Ce n’est pas une équipe huppée qui joue le Top 5. On observe le même phénomène qu’en France, en Espagne, en Angleterre, partout. Quand Barcelone joue contre le dernier, ne me dites pas que le traitement est le même pour les deux équipes. Il faut arrêter d’être aveugle.

Cette équipe est parfois trop fougueuse, reconnaissez-le.

C’est vrai. L’envie de bien faire est de temps en temps trop forte. Le problème, c’est que ça passe pour de la violence alors que ça n’en est pas. Notre bonne volonté est mal interprétée. L’arbitrage belge me déçoit et je pense que je déçois les arbitres belges. (Il rit). Ce qui me frappe le plus, c’est la différence qu’il y a entre un arbitre wallon et un flamand. Ils n’ont pas la même perception. Les Flamands laissent plus jouer, les Wallons sifflent plus vite. Et quand l’arbitrage est aussi peu uniforme, c’est dur pour les joueurs de s’y retrouver.

Les arbitres flamands et wallons ont pourtant reçu la même formation.

Oui, mais ils n’ont pas la même mentalité à la base, ils ont reçu une éducation différente. En France, un Nordiste est différent d’un gars du Midi.

Pas conscients de la situation

Mons est sauvé : vous en avez parfois douté ?

Jamais. Quand je suis arrivé, début janvier, l’équipe était mal au classement mais j’ai tout de suite été marqué par les certitudes qu’il y avait dans ce groupe. Tout le monde savait que ça se passerait bien, on parlait d’un sauvetage tranquille, on disait que le fonds de jeu était là, qu’il ne manquait que la réussite. Dans un premier temps, je me suis posé des questions, j’ai eu l’impression que les gars n’étaient pas conscients de la situation. Mais après quelques matches, j’étais moi aussi rassuré. J’avais vu ce que valaient nos adversaires, je ne me faisais plus de soucis. Et la victoire contre Bruges a été le déclic définitif.

Vous êtes du style à croire qu’un match gagné suffit à provoquer un déclic ? Cela ne vous ressemble pas…

Ce n’est pas tellement la victoire qui a provoqué ce déclic, mais ce qui l’a précédée. Le mardi avant le match, nous sommes allés manger ensemble pour essayer de reformer le groupe. Nous avons été parfaitement solidaires contre Bruges, cela voulait dire que l’initiative avait bien marché. Si elle avait échoué, nous serions peut-être encore occupés à nous battre pour le maintien.

Le groupe était fissuré ?

L’entraîneur avait essayé de former un bloc mais il y a des éléments sur lesquels il n’a pas d’emprise. Il faut que les joueurs participent. Ce n’est pas le coach seul qui peut parvenir à installer une vraie solidarité dans une équipe. Nous avons compris ce qu’il nous restait à faire, Bruges l’a constaté puis Genk a aussi payé la note. Quand je pense que certains ont osé dire, après ces victoires, que nous avions profité de la faiblesse de nos adversaires… S’ils ont été mauvais, c’est à cause de nous, hein !

Ce 5-0 contre Genk, c’était votre plus beau moment à Mons ?

Magnifique. Dans cinq ans, des supporters diront encore qu’ils étaient au stade le soir où Genk, premier du classement, s’en est pris cinq et a été ridicule. Toute la réussite qui nous tournait le dos depuis plusieurs semaines, elle s’est subitement offerte à nous. Je n’ai pas oublié mon premier match avec Mons, contre le Brussels. Nous avons frappé une vingtaine de fois au but. Déjà se mettre 20 fois en position de tir, c’est rarissime. Mais tirer 20 fois… Il aurait suffi de concrétiser 25 % de nos occasions pour leur en mettre cinq comme à Genk. Le problème, c’est que la réussite nous a complètement abandonnés et ça s’est terminé sur un nul 1-1.

 » Personne ne nous a baladés  »

Depuis que je suis ici, aucune équipe ne nous a baladés. Et quand je regarde notre noyau, je me dis que nous n’avons pas grand-chose à envier à certaines formations du top. Il faudrait seulement que nous apprenions à mieux voyager. Notre bilan à l’extérieur est catastrophique.

Comment expliquez-vous ces deux visages ?

Notre équipe a les défauts de ses qualités. Nous voulons jouer en déplacement comme nous le faisons à la maison. C’est bien pour le foot mais ça ne nous rapporte pas grand-chose.

Vous n’avez jamais été tentés d’être plus prudents en déplacement ?

Ce n’est pas dans la mentalité des joueurs, ce n’est pas la philosophie du coach. D’ailleurs, nous sommes peut-être carrément incapables d’être plus défensifs. Nous avons essayé de l’être à Mouscron et nous y avons joué notre plus mauvais match à l’extérieur.

Pourquoi là-bas et pas ailleurs ?

Parce que nous savions qu’ils allaient essayer d’emballer le match à un rythme fou. Et en première mi-temps, nous attaquions avec la montée. C’est impressionnant, la dénivellation là-bas. Je n’avais jamais vu cela ailleurs. Je ne comprends pas que ce soit toléré en D1. Il doit y avoir un mètre d’écart.

Comme les dépressifs

Vous êtes un cas rare dans le foot belge : un vrai médian défensif qui sait créer des actions.

J’ai été formé comme attaquant et numéro 10, ça vient de là. J’étais numéro 10 quand j’ai signé à Nancy, mais après deux mois là-bas, j’avais compris que je ne ferais jamais carrière à ce poste, à cause de mon manque de vitesse notamment. J’ai accepté de dépanner au back gauche en CFA, j’ai aussi joué libero. Je n’ai jamais refusé un poste. J’en connais qui l’ont fait et ne sont plus dans le foot depuis longtemps.

Votre intégration s’est faite à la vitesse grand V. Dès votre premier match, vous étiez un renfort.

L’envie était tellement forte… Pendant un an, à Amiens, on ne m’a plus parlé, on n’avait plus besoin de moi, je ne comptais plus. J’en avais soupé du foot français, de la Ligue 2 et de ses longs ballons qui me passaient au-dessus de la tête. Ici, on m’a donné une confiance énorme dès le premier jour. J’ai eu envie de m’arracher et je savais aussi que c’était mon dernier essai. Si je me plantais à Mons, ma carrière était finie. Mais il a fallu que je sois ici pour comprendre à quel point j’étais dans le trou à Amiens. C’est comme les dépressifs : ils ont l’impression qu’ils ne vont pas si mal que ça, ils sont les derniers à se rendre compte qu’ils sont très loin. Ils ne comprennent leur état qu’avec du recul.

On raconte que vous êtes le plus gros salaire de Mons.

Des conneries de journalistes ! (Il rigole). Je n’en sais rien, c’est un sujet tabou dans le vestiaire. Ça m’étonnerait, en tout cas. J’étais dans la cave de la Ligue 2 et on voudrait faire croire que j’ai le plus gros contrat de Mons. Sport/Foot Magazine a écrit ça mais a ajouté que je le méritais… J’avais encore six mois de contrat à Amiens, Mons me voulait, j’ai donné mes conditions, ils les ont acceptées. S’ils ont dû faire un effort pour m’avoir, j’espère qu’ils ne le regrettent pas. Mais je ne veux pas en dire plus, je trouve ça déplacé, je suis pudique de ce côté-là. En France, je touchais des primes de victoire qui correspondaient à la moitié du salaire mensuel de certains potes qui travaillaient dur. Cela me mettait mal à l’aise par rapport à eux.

par pierre danvoye – photos : reporters/ mossiat

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