FRANCE, TERRE D’ÉCUEIL

Michy Batshuayi est bien l’arbre qui cache la forêt. Car pour notre maigre contingent d’exilés en France, ça ne rigole pas tous les jours…

Sur la seule saison en cours, ils sont 50 joueurs tricolores à fouler nos pelouses de Jupiler League. À échelle plus globale, 170 joueurs français – seuls la Suisse (280) et le Luxembourg (205) se montrent plus accueillants avec nos voisins – se dépatouillent dans les différentes divisions du football belge. Des chiffres monstrueux qui placent le football hexagonal comme principal fournisseur de talent du royaume. L’inverse n’est évidemment pas vrai. Cette saison, la Belgique ne compte ainsi que quatre (Michy Batshuayi, Baptiste Guillaume, Nill de Pauw et Julien Vercauteren) porte-drapeaux présents au plus haut niveau du foot français. De quoi faire de la Belgique le 17e importateur de footeux de l’Hexagone, derrière Haïti ou la Serbie pour ne citer qu’eux. À titre de comparaison, ils étaient neuf compatriotes présents en Ligue 1 la saison dernière.

Aujourd’hui et excepté les jeunes loups – Baptiste Guillaume (20 ans, Lille), Isaac Mbenza (19 ans, Valenciennes) et Célestin Djim (20 ans, Metz) – encore en rodage, les noms ronflants ne sont plus vraiment légion. Et les récents choix de carrière effectués par Nill de Pauw, Olivier Werner, Julien Vercauteren ou Gianni Bruno ont de quoi intriguer. Pour bien comprendre les motivations de chacun, le meilleur moyen était encore de partir à leur rencontre. De Nice à Guingamp en passant par Evian et Sochaux, plongé dans un road trip hexagonal.

NILL DE PAUW (GUINGAMP) :  » MAINTENANT QUE J’Y SUIS, JE NE VAIS PAS M’ENFUIR  »

 » La première fois, j’ai trouvé ça très bizarre comme ville. Rien n’est vraiment loin, rien n’est vraiment près et finalement je trouve que Guingamp a un cachet spécial. Tout le monde se connait là-bas et je considère ça comme un vrai plus pour mon adaptation.  » Nill de Pauw nous l’avouera sans fard, ce n’est pas parce qu’on ne raffole pas de la galette saucisse qu’on n’est pas bien en Bretagne. Fut-ce à Guingamp et dans un bled de 7000 habitants. Positif, serein et décontracté, le déménagement de Nill de Pauw vers les Côtes-d’Armor n’a pas changé le bonhomme. Peut-être bien parce que l’ancienne révélation de l’Euro U17 2007, aux côtés de Hazard ou Benteke, avait besoin de voir autre chose après une enfance passée dans le pays de Waes :  » Cela faisait 9 ans que j’étais à Lokeren. J’avais tout vu là-bas. Je voulais apprendre de nouvelles choses, relever de nouveaux défis.  »

Pour mieux comprendre ce choix de carrière bien éloigné de ceux de ses compagnons d’aventure lors de l’Euro U17, Nill De Pauw plaide le besoin de reconnaissance :  » L’année passée, j’étais en fin de contrat et j’aurais pu partir dans un grand club belge puisque j’étais libre et gratuit. Ou alors je resignais à Lokeren et j’attendais qu’un club réellement intéressé vienne me chercher. À ce moment-là, il n’y a plus eu aucun  » grand  » pour venir aux nouvelles et Guingamp s’est manifesté.  » Nill De Pauw aurait sans doute préféré devenir un pilier du Gand de Hein Vanhaezebrouck, mais a préféré la sécurité en acceptant l’une des premières offres concrètes arrivées sur son bureau début juillet.

Une décision plus familiale que sportive qui l’a rendu parfait bilingue en quelques semaines –  » Mais ne croyez pas qu’on ne me charrie plus sur mon accent pour autant !  » – mais qui ne lui offre pas pour l’instant le temps de jeu escompté :  » Maintenant que je suis là, je ne vais pas m’enfuir. Je sais que j’ai le niveau pour la Ligue 1, mais c’est un peu difficile pour l’instant avec le bébé et les nuits courtes qui vont avec. À l’entraînement, je donne tout pour revenir dans l’équipe. Et puis, je préfère être sur le banc dans une équipe qui gagne que dans une équipe qui perd.  »

JULIEN VERCAUTEREN (NICE) :  » JE SAVAIS QUE CE SERAIT DIFFICILE POUR MOI CETTE SAISON « 

Nice, sa pyramide des âges inversée, son maire UMP, Christian Estrosi et son Allianz Riviera toute neuve. La cinquième ville de France ne fait pas toujours rêver, mais accueille Julien Vercauteren (22 ans) – aka  » Verko  » pour les intimes – depuis l’été 2014. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Julien Vercauteren n’est pas le fils de Francky, mais a quand même grandi à Bruxelles. Son exode à Nice à l’été 2014 a surpris, mais n’a pas non plus affolé tout ce que la Belgique compte de gratte-papiers. Principalement parce que le passage de Vercauteren au Lierse entre 2012 et 2014 manquait de liant et qu’un transfert vers un club du milieu de classement français paraissait être un bond en avant de taille.

Confirmation  » Verko  » joue peu ou prou depuis son exil niçois :  » Ça a été un choc en arrivant. D’autant que je n’avais que 20 ans et que c’était ma première expérience à l’étranger. Habiter seul n’a pas toujours été facile, c’était très dur par moments. Et puis Nice, c’est très différent de la Belgique, les gens surtout. Ils sont moins chaleureux, peut-être moins accueillants. C’est une autre culture et il a fallu que je m’adapte.  »

Sur le plan sportif aussi apparemment et la situation semble même s’être aggravée :  » Le coach (Claude Puel, ndlr) ne me parle plus trop. Je dois faire la différence en CFA2 si je veux espérer faire parler de moi. Aujourd’hui, le plus important pour moi, c’est de jouer. N’importe où.  » Le désarroi de Vercauteren n’est pas nouveau. Cet été déjà, après une première saison plus que mitigée – 3 titularisations, 6 entrées au jeu, 2 passes décisives – Julien Vercauteren avait tiré la sonnette d’alarme :  » Oui, j’aurais voulu partir. D’autant plus que je savais que je ne faisais pas partie des plans du coach et que la concurrence est encore plus grande cette saison.  »

Et de fait, ça l’est. En neuf journées, Vercauteren n’a pas encore connu les joies d’une sélection sur la feuille de match. Une absence des 18 catastrophiques sur le long terme qui s’explique par une blessure persistante et ce que Claude Puel qualifie lui-même  » d’absence de densité physique « . La campagne de transfert plus qu’agité de l’OGC Nice y est aussi pour quelque chose, car Puel l’affirme:  » Ses qualités techniques sont superbes, il a le talent pour évoluer en 10 et faire tourner l’équipe.  »

Les arrivées de joueurs confirmés comme Paul Baysse, Valère Germain et Hatem Ben Arfa ont compliqué la donne. Et si le phénomène Ben Arfa contribue au statut de plus en plus précaire de  » Verko  » sous les latitudes niçoises, le Bruxellois préfère relativiser :  » Avant je le regardais jouer, aujourd’hui je joue avec lui… Même si dans les faits, il joue à ma place.  »

OLIVIER WERNER (SOCHAUX) :  » À 30 ANS, JE SUIS TRÈS BIEN  »

Si le Cercle de Bruges a basculé en D2, Olivier Werner n’y est pour rien. Il y a joué une des meilleures saisons de sa vie. Juste après cette chute, il a négocié avec Mouscron et le Club Bruges aurait voulu l’attirer pour en faire son numéro 2. Il y eut également une approche de Genk où il serait devenu le back-up de Laszlo Köteles.

Quand Sochaux se présente, il est tout de suite chaud.  » A 30 ans, il s’est dit que c’était l’occasion de réaliser un vieux rêve : jouer à l’étranger « , dit son agent, Daniel Striani. Un accord est vite trouvé entre les clubs. Transfert définitif, contrat de deux ans et objectif clair pour ce club recordman du nombre de saisons passées en Ligue 1 : le Top 3 et la montée dès l’été 2016.

Olivier Werner jubile le jour de sa présentation officielle :  » J’ai senti une grosse volonté de m’attirer ici, le discours est clair, la direction a mis les objectifs qu’il fallait. C’est une fierté de venir dans un club qui a du passé, un vécu. Je suis surpris par la qualité des installations, il y a tout pour bien travailler et le centre de formation est extraordinaire. J’avais d’autres possibilités à l’étranger mais c’était moins agréable. Sochaux, c’est un projet sportif très intéressant.  » Il ajoute que  » ça va être plus technique, moins physique qu’en Belgique « . Il signale que  » l’âge idéal pour un gardien est 28, 29 ans. A 30 ans, je suis très bien. Sochaux avait besoin de quelqu’un pour remplacer Yohann Pelé et son expérience. Ils m’ont choisi pour ça, j’aime tirer le groupe vers l’avant, je suis un leader.  »

Premier bilan ? Olivier Werner fait un bon début de saison mais son équipe est à la ramasse, tout dans le fond du classement. Pour la remontée en L1, sauf miracle, c’est déjà cuit.  » Il faudrait qu’on ait le brin de chance pour nous plutôt que contre nous.  » Mais c’est clair, il se plaît dans son nouvel environnement. Un peu/beaucoup révolutionné ces derniers mois ! Peugeot, qui avait fondé le club et en avait toujours été la force motrice, s’est retiré. Sochaux a été repris par un groupe chinois actif dans l’éclairage LED. C’est le premier club en Europe détenu par des Chinois.

GIANNI BRUNO (ÉVIAN) :  » PRISONNIER DE MON SALAIRE « 

À cheval entre la frontière suisse et française, Evian, c’est cette ville thermale qui a donné son nom à la célèbre marque d’eau minérale. C’est aussi le port d’attache de Gianni Bruno (24 ans) depuis l’été 2014.

Sept ans plus tôt, Bruno découvre avec de grand yeux les joies du foot pro et le gigantisme d’un Domaine de Luchin encore tout neuf. C’est là, entre ses trois premières minutes de jeu disputées contre Marseille en janvier 2012 pour faire ses débuts avec l’équipe A lilloise et un but inscrit lors de sa première apparition en Ligue des Champions à l’automne de la même année que Gianni Bruno va petit à petit perdre son accent liégeois pour devenir un vrai attaquant de Ligue 1. De ceux qui marquent, mais pas tant que ça.

Bruno apprend dans l’ombre et plante quelques roses (4 en 31 matchs). Suffisant pour se faire connaître. En juillet 2013, il opte finalement pour Bastia. Un club un rien plus modeste, mais qui a le mérite de croire réellement en lui. Là-bas, il continue son apprentissage du haut niveau avec Djibril Cissé, mais réalise surtout sa meilleure saison en inscrivant 8 buts en 31 matchs :  » C’est surtout là que j’ai le plus joué « ,insiste le principal intéressé. » J’avais demandé à Lille d’être prêté pour avoir du temps de jeu, mais j’ai aussi découvert une île magnifique avec énormément de ferveur autour du football, un peu comme au Standard.  » Et un peu comme au Standard – où il jouera tout de même 7 saisons entre ses 9 et ses 16 ans – Gianni ne s’éternisera pas.  » Partir de Bastia, cela reste mon plus gros regret, même si je n’avais pas trop mon mot à dire puisque j’étais prêté, je regrette de n’avoir pas plus insisté. « 

Ses regrets, Gianni Bruno les retire d’un double mauvais choix qui participera à son éloignement des pelouses de Ligue 1 en signant le 30 juillet 2014 pour Evian Thonon Gaillard d’un certain Pascal Dupraz :  » Dupraz, c’est un spécial. C’est un coach qui montre beaucoup ses sentiments, un peu impulsif et sanguin, bref, il a son caractère… Clairement, son style ne me convenait pas. C’est pour ça que j’ai préféré partir à Lorient en janvier.  » Une seconde arabesque. En quittant le 18e de Ligue 1 pour le 16e, l’enfant de Rocourt n’améliore pas son temps de jeu et doit même s’habituer au synthétique du Stade du Moustoir.  » Tout est différent sur synthé, les appuis, les rebonds.  » Il n’empêche que sur son synthétique, Lorient prend des points et parvient à se maintenir en Ligue 1. Dans le même temps, l’ETG acte sa descente en Ligue 2 et récupère son joueur. Une fausse bonne affaire pour tout le monde.

Une nouvelle situation ambiguë que la trêve estivale ne parviendra cette fois pas à résoudre :  » C’était un risque à prendre de rester en Ligue 2, mais on ne va pas se mentir, aujourd’hui, je suis un peu prisonnier de mon salaire. J’ai eu des touches cet été en Belgique et en D2 espagnole à Valladolid, mais j’attends la bonne offre. Ce serait un beau challenge de revenir en Belgique, mais j’ai l’avantage d’avoir le temps. Je n’ai que 24 ans et il me reste trois ans de contrat ici à Evian.  » Trois ans de trop manifestement.

PAR MARTIN GRIMBERGHS ET PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

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