FORZA JUVE

Favorite pour remporter son quatrième scudetto d’affiliée, la Juventus domine outrageusement la Serie A depuis quelques saisons. Un retour définitif en haut de l’affiche qui est le fruit d’une gestion minutieuse. Décryptage.

Humiliée, bafouée, spoliée de deux titres et reléguée en Serie B suite au Calciopoli de 2006. Qui aurait pensé que la Juventus allait reconquérir son trône en l’espace de quelques années ? Six ans plus tard, elle récupérait un sceptre de champion qu’elle ne lâche plus depuis. Mais là encore, on était prêt à parier que l’été 2014 signifiait l’épilogue de ce retour en grâce, lorsqu’AntonioConte s’en est allé en prenant tout le monde de court. Il était l’homme des records et le leader incontesté du peuple blanc et noir. Celui qui a redonné un sens à la juventinità après des années de souffrance.

Alors quand MassimoAllegri est arrivé pour le remplacer, le contraste fut saisissant. Un homme sans lien avec la Juventus et venant d’un des ennemis jurés, le Milan AC. Sa cote de popularité était très basse et les contestations n’ont pas manqué. Mais le temps et les résultats lui ont pleinement donné raison. C’était le choix le plus judicieux pour l’après Conte. Celui de la rupture avec une personnalité à l’opposé de son prédécesseur. La Juve sortait de trois saisons vécues dans un environnement tendu afin de maintenir ses troupes constamment en alerte. Les joueurs étaient à bout de forces mentalement. Le profil d’un gestionnaire aux méthodes plus douces était recherché et le capitaine GigiBuffon en est très satisfait :

 » Allegri a eu l’humilité de s’insérer, de se faire accepter du groupe et la patience de ne pas tout changer. Il n’est pas arrivé avec la volonté d’imposer son credo. Il s’est adapté et a amené chaque joueur à croire en son football. Il a démontré être une personne extrêmement intelligente.  » Reparti avec le 3-5-2 ultra-huilé, le natif de Livourne n’avait pas l’intention de  » tuer le père  » et a attendu deux mois avant de passer à son 4-3-1-2 fétiche et plus souple. La transition a été parfaitement assurée. Allegri a déjà prouvé au Milan qu’il sait mener à la victoire un effectif construit pour.

Expérience et jeunesse

A Turin, il a trouvé à sa disposition un groupe qui a très peu changé depuis le début du cycle victorieux en 2011. Evra remplaçant Asamoah est le seul changement notable cette saison dans le onze-type bianconero. Mieux encore, grâce au système de jeu d’Allegri, tous les milieux de terrain sont alignés ensemble, même Pirlo, qui avait justement quitté le Milan à cause d’une incompatibilité avec lui. Individuellement, la Juve a souvent eu les meilleurs joueurs à leur poste en Serie A. Et surtout, elle les conserve malgré les avances de cadors européens prêts à les couvrir d’or. Le tout sans pour autant faire exploser la masse salariale qui reste raisonnable (118 millions cette saison).

De plus, la direction a déjà mis le grappin sur quelques-uns des meilleurs espoirs du championnat, le duo d’attaquants ZazaBerardi de Sassuolo, le défenseur central Rugani d’Empoli, ou encore le gardien Leali de Cesena. Ils pourront être rapatriés ou vendus à bon marché comme Gabbiadini et Immobile. Enfin, cet effectif a été monté sans dépenses excessives. Cet été, pour la première fois, un joueur a coûté 20 millions, en la personne de Morata. Suivent Asamoah à 18,5, Tevez a 9, alors que Pirlo et Pogba sont arrivés gratuit. Ce dernier en vaut plus de 100 désormais.

Cette excellente gestion est le fruit d’un savant mélange d’expérience et de jeunesse. Pour beaucoup, le vrai virage a été le retour d’Agnelli à la présidence en 2010. Ancien joueur du club, Tacchinardi en est convaincu :  » Avec Andrea Agnelli, la Juventus a de nouveau la mentalité et la volonté d’être protagoniste comme quand j’y jouais. Un Agnelli de retour aux commandes, c’est une garantie pour la programmation et la croissance vers un futur radieux et lumineux.  » Fils de l’Avvocato, A. A. vient de fêter ses 40 ans et fait partie de cette génération de managers qui a étudié à l’étranger et possède une vision à 360° du football moderne.

Il se complète parfaitement avec son administrateur délégué, l’expérimenté BeppeMarotta, transfuge de la Sampdoria qu’il avait emmenée jusqu’aux barrages de la Champions League. Un dirigeant exemplaire et – miracle – sans aucune casserole aux fesses. Un certain PavelNedved complète le trio. Le ballon d’or 2003, officiellement conseiller, est l’âme de la Juve et le garant de la mentalité. Celle qui a la première place pour objectif et rien d’autre, balayant sur son chemin les geignements des adversaires qui n’ont rien trouvé de mieux que de ressortir les théories de complots des arbitres pour justifier leurs échecs.

Juventus Stadium

Bien évidemment, ces résultats facilitent la croissance économique du club. Selon le récent rapport Deloitte, qui classe chaque année les clubs les plus riches du monde, la Juventus est à la 10ème place avec 279 millions de revenus. Loin derrière le top 5 mais premier club italien. Avec un gros avantage sur la concurrence nationale : le Juventus Stadium. Inauguré en 2012, ce petit bijou d’architecture est la seule réelle enceinte moderne dans toute la botte. Forteresse imprenable, c’est la maison que le peuple bianconero attendait depuis longtemps. Surtout, elle appartient au club, lequel peut bénéficier directement des revenus.

Ainsi, malgré une affluence plus basse que les clubs milanais ou Naples (35000 contre 40000), la Juventus encaisse beaucoup plus (41 millions contre au mieux 25 pour le Milan). Élément important quand on sait que les clubs italiens sont extrêmement dépendants du pactole des droits télé et ont un mal fou à diversifier leurs revenus. Le trou de 100 millions dans les bilans financiers de 2011 n’est plus qu’un mauvais souvenir. Et ce n’est pas fini, un pôle Juve va être construit autour du stade. La ville de Turin y trouve aussi son compte.

Techniquement, économiquement et structurellement, la Vieille Dame a des années d’avance sur la concurrence grâce à un projet viable, contrairement à bon nombre de ses adversaires qui naviguent à vue et improvisent. Seulement voilà, la marge de progression n’est pas énorme, les 40000 places de son stade limitent les revenus qui y sont liés. Mais au-delà de ça, le sistema calcio, accompagné de ses polémiques et sa vétusté, risque de vite faire plafonner les ambitions turinoises. Andrea Agnelli en avait justement fait part récemment :

 » Pour acquérir une certaine dimension sportive et commerciale internationale, il y a plusieurs facteurs fondamentaux que nous ne pouvons malheureusement pas contrôler. Le football italien a besoin de grandes mesures et d’un nouvel élan vers les marchés internationaux.  » Des nouvelles infrastructures, de nouveaux investisseurs, de nouvelles politiques de recrutement. La Juve a beau montrer l’exemple, cela ne suffit pas. D’autant que politiquement, elle doit subir les décisions institutionnelles lancées par les éléphants.

Néanmoins, plusieurs clubs se réveillent : la Roma américaine et le projet de son nouveau stade, l’Inter indonésien et son assainissement des finances. Ce n’est qu’avec une réelle prise de conscience collective que le football italien sortira de sa torpeur, permettant à ses meilleurs représentants de combler le retard accumulé sur les top clubs européens durant la dernière décennie. Pour enfin mettre les querelles intestines et futiles de côté, afin d’entrer dans le 21ème siècle et que la Champions League redevienne un objectif réaliste.

PAR VALENTIN PAULUZZI – PHOTO: BELGAIMAGE

 » Un Agnelli de retour aux commandes, c’est la garantie d’un futur radieux et lumineux.  » Alessio Tacchinardi, ex-bianconero

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