FORT de café

Après deux saisons sans titre, le Real Madrid a faim. L’arrière gauche brésilien a, lui aussi, soif de revanche.

Dès le départ, il avertit :  » Je dois être au centre de Madrid à 13 heures « . Il regarde sa montre, qui lui indique 12 h 25. Une montre spectaculaire, soit dit en passant, tellement spectaculaire qu’elle lui vaudra quelques désagréments une semaine plus tard, avec des voyous qui la trouvaient également très attrayante. Malgré cet avertissement, Roberto Carlos répondit calmement à chaque question, prenant même le temps de la réflexion. Jusqu’à 12 h 55, alors que le photographe aurait encore souhaité le faire poser çà et là.  » C’est bon, c’est bon, vous avez déjà suffisamment de photos de moi…  »

Roberto Carlos est déjà un vétéran du Real Madrid. Il s’apprête à entamer sa dixième saison au stade Santiago Bernabeu (après une saison à l’Inter Milan, en 95-96). Il ne déchaîne plus autant les passions qu’à son arrivée : l’attrait de la nouveauté s’est un peu estompé et les aficionados sont, logiquement, plus attirés par les récents transfuges. Mais il reste un joueur spectaculaire. Un joueur qui, alors que le Real Madrid prend de plus en plus une coloration brésilienne, vient d’obtenir son passeport espagnol.

 » Les tournées asiatiques valorisent l’image du joueur  »

Cette fois, vous avez pu éviter le tour préliminaire de la Ligue des Champions. Vous avez donc été soumis à une tournée estivale pas piquée des vers.

Roberto Carlos : Oui, c’est bien. Mais la tournée estivale est une chose et la période de préparation en est une autre…

C’est-à-dire ?

Que nous avons passé 15 ou 20 jours à parcourir l’Asie et les Etats-Unis, mais que la préparation, c’est-à-dire les entraînements plus poussés, ont eu lieu en Espagne.

Ces longs périples sur d’autres continents vous plaisent ?

Oui, pourquoi pas ? Ils sont tout profit pour le club, d’un point de vue financier, et valorisent également l’image des joueurs. Le Real Madrid est une équipe différente des autres. Elle compte de nombreux joueurs de très haut niveau, provenant de nombreux pays différents, et pour cette raison, elle intéresse les amateurs de football du monde entier. Dans quelques années, ce club sera celui qui récoltera le plus d’argent grâce au marketing. Pour les joueurs, ces voyages dans des pays lointains constituent une manière de découvrir d’autres cultures, d’autres mentalités, d’autres formes d’éducation.

Il faut promouvoir la marque Real Madrid et, dans cette optique, des joueurs comme vous représentent des arguments idéaux.

Pour nous, c’est un motif de fierté de savoir que des amateurs de football qui habitent très loin, en Chine par exemple, se passionnent pour le Real Madrid parce qu’on y joue. Nous, on ne fait rien d’autre que s’amuser en jouant au football, mais lorsqu’on réfléchit et qu’on s’imagine que notre simple présence suffit à déchaîner les passions à l’autre bout de la planète, c’est très excitant. Les Chinois sont fous de nous. Du Real Madrid, mais aussi de l’équipe nationale brésilienne. J’ai joué là-bas avec les deux maillots, et cette admiration que j’ai ressentie de la part des gens m’a rendu très heureux.

L’Asie constitue un marché de plus en plus prisé pour le business du football. En 2002, la FIFA avait confié l’organisation de la Coupe du Monde à la Corée du Sud et au Japon. Que pensez-vous de cette évolution ?

C’est positif. Personnellement, ce Mondial asiatique m’a beaucoup plu. Les stades et les hôtels étaient de grande qualité. Sportivement, le football de ces pays progresse à pas de géants. La Corée du Sud avait une très bonne équipe, moins technique que d’autres, mais très rapide.

Envisagez-vous de prendre une préretraite dorée en Asie, au crépuscule de votre carrière ?

Non. Je jouerai au Real Madrid tant que j’aurai le niveau requis, puis je rentrerai dans mon pays afin d’y goûter à une retraite bien méritée.

 » Encore deux ou trois saisons, puis j’arrête  »

Comment concevez-vous cette retraite ? Prendrez-vous la vie du bon côté ?

Sans doute, oui. Voilà dix ans que je joue sous une énorme pression. Plus que cela, même : que je m’entraîne sous une énorme pression. Il arrive un moment où l’on est fatigué de tous ces voyages, de tous ces gens qu’il faut écouter, de toutes les autres contraintes du métier. C’est pour cela que, lorsque j’arrêterai, je le ferai pour de bon.

Avez-vous fixé la date de votre retraite ?

Dans une ou deux années, je quitterai le Real Madrid. Je jouerai probablement encore une saison supplémentaire au Brésil, puis je raccrocherai les chaussures à crampons.

Qu’est-ce que cela signifie, s’entraîner sous pression ?

S’entraîner comme on le fait au Real Madrid. On ne peut jamais lever le pied, s’autoriser le moindre écart, le moindre relâchement. Il y a tellement de journalistes et de caméras que le moindre incident, le moindre pied de travers, est relaté. C’est une pression pour les joueurs, mais aussi pour l’entraîneur, qui ne peut jamais effectuer son travail technique ou tactique sereinement. Tout ce qui touche au Real Madrid engendre une tension.

Pour autant, jouer au Real Madrid est-il un sacrifice ?

Non, sûrement pas, mais ce stress nous rend la vie inconfortable. Si l’on a une petite discussion pendant l’entraînement, il y a 40 journalistes qui le voient et l’entendent. Moins d’une heure plus tard, cela devient la nouvelle du jour sur toutes les chaînes de radio. Si, lors d’une conférence de presse, on fait une petite allusion à quelqu’un ou à quelque chose, c’est pareil : cela devient la nouvelle de la semaine. La moindre erreur devient, à coup sûr, une source de problèmes.

La vie au Real Madrid est donc moins facile qu’on ne le pense ?

Elle procure des avantages, mais elle n’est pas facile, non.

L’un des avantages est qu’elle permet de gagner beaucoup d’argent ?

Pas autant qu’on le croit. Le football n’est que le cinquième ou sixième sport en matière de gains financiers pour les joueurs. Les basketteurs de NBA, les golfeurs, les pilotes de Formule 1, les joueurs de tennis gagnent plus que nous. En outre, seuls huit ou neuf footballeurs dans le monde gagnent énormément : ce sont ceux dont l’image se vend bien, qui tournent des spots publicitaires très rémunérateurs, etc.

Parmi eux, on trouve certains de vos équipiers, ceux qu’on appelle les galactiques…

C’est sûr, ce sont ces joueurs-là qui justifient les tournées mondiales dont on parlait en début d’interview. Si les Chinois ou les Japonais se déplacent en masse au stade, c’est pour voir les galactiques. Mais le club a travaillé pour conférer à ces joueurs l’image de galactiques. Le Real Madrid récolte simplement le fruit de son investissement.

 » Lorsque j’ai gagné de l’argent, les problèmes ont commencé  »

Savez-vous combien d’argent il y a sur votre compte en banque ?

Je ne pense pas à l’argent. J’ai commencé à en gagner en 1994 ou 1995, et depuis lors, les problèmes ont commencé.

Les problèmes ?

Oui, car tout change avec l’argent.

Par exemple ?

La famille vous demande beaucoup, et les enfants vous occasionnent beaucoup de frais.

Essayez-vous de contrôler vos dépenses ?

J’ai une personne de confiance qui gère ma vie et ma fortune, mais je pars du principe que lorsqu’on a de l’argent, il faut essayer d’en profiter au maximum au moment présent. Parce que le jour où l’on se retrouve au ciel, ceux qui en profiteront, de l’argent que vous aurez gagné, ce sont ceux qui resteront sur terre. L’argent est un plus que l’on veut bien m’accorder, mais je le répète, j’essaie surtout de m’amuser en jouant.

Amusez-vous, alors, car il ne vous reste plus beaucoup de temps…

C’est vrai. J’ai 32 ans et je compte jouer au maximum jusqu’à 35 ans, pas plus. Jadis, à mes débuts, j’avais émis l’intention de jouer jusqu’à 37 ans, mais j’ai changé d’avis. Il y a trop de choses qui m’incommodent, comme tous ces gens qui croient tout connaître en football.

C’est connu : tout le monde, en Espagne, prétend être spécialiste en médecine et en football.

Parfois, lorsque je me rends au restaurant, des gens viennent me parler. Ils oublient que le footballeur, c’est moi, et ils émettent des commentaires sur tout. Souvent, il vaut mieux les écouter, leur répondre qu’ils ont raison, même si vous n’êtes pas du tout d’accord avec ce qu’ils affirment ou si vous savez qu’ils sont complètement à côté de la plaque.

 » Etre réserviste, c’est arrivé à tout le monde  »

A propos de la démission inexpliquée de José Antonio Camacho, en début de saison passée, par exemple ?

Oui. Les gens aiment parler de football, discuter avec vous, et bien souvent, ils ne connaissent pas du tout la vérité.

Et quelle est la vérité dans la démission de Camacho ?

Personnellement, je crois qu’il a pris la décision de quitter le club un peu précipitamment, car toute l’équipe souhaitait qu’il reste. Il était chez lui au Real, il est Madrilène et il jouissait du soutien des joueurs, mais il a son caractère et il faut le respecter. C’est un entraîneur intelligent et de grande qualité. Son départ nous a surpris, à nous les joueurs, parce qu’il ne nous en a jamais expliqués la raison.

Et à votre avis, quelle était la raison ?

Il ne se sentait pas bien, ici, tout simplement. C’était la deuxième fois qu’il démissionnait.

Cet été, une autre figure emblématique vous a quitté : votre ami Luis Figo, lassé d’user ses fonds de culotte sur le petit banc…

Oui, cela nous a un peu surpris. Luis est un battant, un gagneur et un homme de grande qualité. Il avait toujours été titulaire avant la saison dernière. Mais il doit se dire qu’être réserviste, c’est arrivé à tout le monde : à Ronaldo, à Puskas, à Di Stefano, à Pelé, à moi…

Cela ne vous est pas arrivé souvent…

Trois ou quatre fois, à l’époque de Garcia Remon.

On prétendait que vous étiez légèrement blessé, que vous n’étiez pas en mesure de vous aligner à 100 % de vos capacités…

En vérité, c’était davantage un choix de Garcia Remon qu’un forfait dû à une blessure.

 » Luxemburgo est un entraîneur différent des autres  »

Avez-vous davantage ressenti la critique la saison passée qu’auparavant ?

Les problèmes physiques que j’ai rencontrés m’ont un peu diminué, mais je crois surtout que j’ai donné de mauvaises habitudes aux supporters.

C’est-à-dire ?

Ils ont pris l’habitude de me voir arpenter le flanc à longueur de match, de me voir sprinter sans interruption de l’arrière vers l’avant et de l’avant vers l’arrière, de me voir inscrire des buts, et ils ont oublié que j’étais d’abord un défenseur. Certains entraîneurs ont collé un garde du corps à mes basques. Bernd Schuster, qui entraînait Levante la saison dernière, l’a fait à deux reprises. J’ai été privé d’espace et je n’ai pas pu reproduire le jeu que j’affectionne.

Etes-vous déçu des prestations livrées la saison passée ?

Je n’irai pas jusque-là. Je suis l’un des anciens de l’équipe, et à ce titre, j’ai endossé pas mal de responsabilités. Je n’ai jamais autant couru que la saison passée, mais j’ai inscrit moins de buts.

A votre poste, vous ne devez pas affronter une concurrence très féroce…

J’en ai déjà parlé à Raul Bravo. Je lui ai dit qu’il devait témoigner d’une plus grande force de caractère, gagner en maturité, ne pas avoir peur de jouer son jeu malgré les critiques. Il doit retrouver la confiance nécessaire, celle qui avait fait de lui un international.

Est-ce rôle votre rôle de motiver votre concurrent direct ?

Raul Bravo doit être prêt le jour où, pour une raison ou une autre, je ne serai pas en mesure de m’aligner.

De toute manière, Wanderley Luxemburgo a une confiance aveugle en vous ?

Lorsqu’un dirigeant du club m’a demandé mon avis sur cet entraîneur, j’ai directement compris que le Real Madrid envisageait de l’engager. Ce fut une très bonne décision car c’est un entraîneur différent des autres.

A quel titre ?

Parce que ses connaissances sont infinies, parce qu’il a longtemps joué, qu’il a dirigé l’équipe nationale brésilienne et qu’il a triomphé. C’est un vrai entraîneur.

Il y a de faux entraîneurs ?

Ce que je veux dire, c’est qu’on entamé notre série de matches victorieux après son arrivée. Ce n’est pas un hasard. C’est le fruit du travail quotidien de Luxemburgo. Il n’a peur de rien, on sent qu’il a l’habitude de travailler sous pression. En outre, je crois qu’il a une belle petite patte de lapin.

 » Très bientôt, Robinho sera le n°1 mondial  »

Le Real Madrid prend une forte coloration brésilienne. Robinho doit débarquer ce 25 août.

Dans une saison, tout au plus, il sera le numéro un dans le monde.

Il ne lui manque pas un peu de muscles ?

Non, pas du tout. Robinho a la musculature de David Beckham. Dans très peu de temps, il sera à la hauteur de Ronaldo, de Ronaldinho, de Zinédine Zidane.

Il est de la même origine que vous, et que beaucoup de joueurs brésiliens : il est issu d’une famille pauvre…

Oui. Le Brésil, dans sa grande majorité, est un pays pauvre. Le salaire mensuel, dans beaucoup de familles, est de 80 euros par mois. Lula, le nouveau président, envisage de le porter à 100 euros. Ce n’est toujours pas beaucoup, mais c’est un peu mieux tout de même. Heureusement, Dieu nous a donné un don, à nous les Brésiliens : celui de bien savoir jouer au football. Malgré tout, au début, j’ai dû travailler pour aider ma famille.

Dans quelle branche ?

Dans une propriété rurale. Je faisais la collecte du café. Même si, au fond de moi-même, j’étais persuadé que je deviendrais footballeur professionnel, je n’avais aucune certitude. Et donc, j’ai accepté ce job-là. Finalement, je crois que je n’ai pas mal réussi.

Votre plus belle action, ne l’avez-vous pas réalisée en dehors du terrain, en adoptant cet enfant malade ?

Peut-être, oui. Je l’ai baptisé Roberto Carlos et il se porte bien. Un jour, j’écrirai un livre et je raconterai l’histoire de cet enfant, parce que je crois que cela en vaut la peine. Je ne regrette pas d’avoir accompli ce geste. Cela a nécessité beaucoup d’efforts, de longues journées d’efforts et de souffrance, mais le voir aujourd’hui en pleine santé est une récompense extraordinaire. Le plus dur, c’est d’être éloigné de mes enfants. J’ai souvent envie de leur parler, mais ce n’est pas toujours possible. Ils vivent avec moi 30 jours par an, lorsqu’ils sont en vacances, et je m’amuse énormément pendant ces moments-là. J’envisage aujourd’hui d’avoir un enfant supplémentaire.

Juan Carlos Casas

 » Un jour, J’éCRIRAI un livre pour raconter L’HISTOIRE DE L’ENFANT MALADE que j’ai adopté « 

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