Force basque

L’entraîneur Joaquín Caparrós et le capitaine Joseba Etxberria nous présentent l’adversaire d’Anderlecht. Et préviennent :  » Nous nous battrons comme des Lions « … puisque tel est le surnom des joueurs basques.

La vague de froid qui a touché l’Europe n’a pas épargné l’Espagne. Au moment de notre visite au Pays Basque, le thermomètre affichait péniblement 2°C en plein après-midi. Bilbao est une ville calme et agréable, blottie au sein d’une vallée verdoyante et traversée par le fleuve Nervión. Sur ses berges, le musée Guggenheim à l’architecture futuriste fait désormais partie du paysage et est devenu une destination touristique importante.

Le Palais Ibaigane, où l’Athletic Bilbao a établi son siège social, n’est pas bien loin. Pour un joli panorama sur la ville, rien ne vaut le balcon où l’on accède par le Funiculaire d’Artxanda. De là haut, on aperçoit San Mamés tout à droite, au bout de la GranVía et jouxtant le terminal des autobus. Juste à côté, l’impressionnant chantier du nouveau stade, dont la maquette peut être admirée à l’entrée du musée. La Cathédrale de San Mamés va en effet disparaître, et beaucoup éprouveront un pincement au c£ur, tant ce stade mythique a marqué l’histoire de ce club centenaire, l’un des trois à n’être jamais descendu en D2 avec le Real Madrid et le FC Barcelone.

Dans les couloirs du stade, des tableaux noir et blanc retracent cette histoire. On y voit notamment le défilé des joueurs en bateau sur le Nervión, au milieu d’une liesse populaire indescriptible, après le titre conquis en 1984 ; une action de Joseba Etxebarria en Ligue des Champions contre la Juventus en 98-99 et une autre de Javier Clemente, élu meilleur joueur du championnat 68-69. Nous sachant Belge, un gardien du stade nous questionne :  » J’ai regardé le site d’Anderlecht pour voir si je connaissais les noms de certains joueurs. Je suis tombé sur Daniel Zitka. N’est-ce pas ce gardien qui est tombé de la civière après avoir été blessé ? »

Visiblement, le foot belge fait encore recette mais dans la rubrique insolite.

L’entraîneur Joaquín Caparrós nous reçoit dans un petit salon adjacent à la salle de presse. Si les statuts de l’Athletic obligent le club à engager uniquement des joueurs basques, ils ne mentionnent rien en ce qui concerne les entraîneurs :  » Non, je suis… Andalou ! Il y a souvent eu des entraîneurs étrangers au club, mais je suis seulement le deuxième entraîneur espagnol à ne pas être né au Pays Basque (NDLR : le précédent était le Catalan Salvador Artigas il y a plus de 40 ans). Je suis très flatté qu’on ait songé à moi pour entraîner ce club historique qui s’appuie sur une philosophie unique au monde. Un club qui a remporté de nombreux trophées (NDLR : 8 titres et 23 coupes), mais le doublé de 1984 reste la dernière ligne au palmarès. « 

Partagez-vous cette philosophie ?

JoaquínCaparrós : Oui, totalement. C’est ma 25e année comme entraîneur et j’ai travaillé dans toutes les catégories, allant des équipes de jeunes à la D1. Travailler à l’Athletic, en respectant la philosophie du club, est une expérience nouvelle mais très enrichissante. De par mon passé, j’ai été habitué à jeter un £il attentif sur le travail avec les jeunes et ici, puiser dans le réservoir du centre de formation est presque une obligation.

Ce n’est pas frustrant, pendant la période des transferts, lorsque vous aimeriez engager tel ou tel joueur, qu’on vous réponde :  » C’est impossible, il n’est pas Basque  » ?

Non. Lorsqu’on signe un contrat avec l’Athletic, on sait où l’on s’engage. Par ailleurs, j’estime qu’un entraîneur doit s’adapter à la philosophie du club qu’il entraîne, et pas l’inverse. Ici, on doit entretenir des contacts permanents avec les responsables du centre de formation de Lezama, voir quels sont les jeunes joueurs susceptibles d’intégrer l’équipe Première et les aider à franchir le pas.

Le dernier prodige en date, c’est Iker Muniain ?

Oui, un gamin de 16 ans qui semble promis au plus bel avenir. On travaille avec lui depuis plusieurs années, et il a intégré l’équipe Première cette saison, mais il faut veiller à ne pas le brûler.

C’est donc un travail de formation plus que d’achats.

Oui, c’est l’apanage des entraîneurs de jeunes. Ils effectuent un travail phénoménal, tant au niveau technique et physique que mental. Lorsqu’ils intègrent l’équipe Première, les gamins doivent être prêts à affronter tous les aspects de la vie d’un footballeur pro. C’est à ce moment-là que j’entre en scène. L’Athletic peut aussi acheter des joueurs, mais seulement s’ils sont Basques. Et comme les clubs voisins le savent, ils ne ratent jamais l’occasion de faire monter les prix.

L’Athletic est une équipe qui joue avec le c£ur. Et qui pratique, à la limite, un football plus anglais qu’espagnol…

Oui, le club a d’ailleurs des origines anglaises, d’où son nom d’Athletic plutôt qu’Atlético. Le climat, la configuration du stade, l’amour du maillot, les chants qui rythment les ren-contres : tout cela contribue aussi à ce style anglais.

Des ambitions réalistes

Que retenez-vous de votre longue carrière d’entraîneur ?

Mes cinq saisons au FC Séville resteront gravées dans ma mémoire, pas seulement parce que j’ai réussi à faire remonter le club en D1 mais surtout parce que c’est le club où j’ai joué, étant jeune. Je garde aussi de bons souvenirs de ma période au Deportivo. Actuellement, je vis ma troisième saison à Bilbao. L’objectif principal est de faire mieux que la 13e place de la saison dernière. Je suis réaliste, on ne peut pas se fixer des objectifs démesurés. Au niveau de la Coupe du Roi, inutile d’espérer une nouvelle finale : on a été éliminé par le Rayo Vallecano. Rien à dire : cette équipe madrilène de D2 s’est montrée meilleure que nous sur les deux manches. Et en Europa League ? On verra jusqu’où on peut aller. Anderlecht sera un adversaire difficile. C’est un club qui a déjà réalisé de nombreux exploits sur la scène européenne, même s’ils remontent à un certain temps déjà. Ce sera un seizième de finale très ouvert, où chaque équipe a sa chance.

Beaucoup d’équipes espagnoles négligent un peu l’Europa League : elles utilisent cette compétition pour effectuer des rotations, en tout cas durant la phase de poules…

Ce n’est pas le cas de Bilbao. Il faut aussi avoir un effectif assez large pour pouvoir se permettre ces rotations. A l’Athletic, de par la philosophie du club, on est un peu limité et on est obligé d’aligner les meilleurs joueurs possibles lors de chaque match, si l’on veut faire bonne figure.

Si l’Athletic participe à l’Europa League, c’est en tant que finaliste malheureux de la Coupe du Roi où vous aviez été battu 4-1 par Barcelone…

En effet. On a eu deux tours préliminaires à passer, ce qui n’a pas été simple. Ces étapes sont programmées très tôt, à une période où les clubs espagnols n’ont pas encore repris leur championnat. Mais soit : on est passé, et plus on avance dans la compétition, plus l’ambition augmente.

Que retiendrez-vous de cette finale de Coupe du Roi ?

Elle restera à tout jamais gravée dans ma mémoire. Ne fût-ce que par l’enthousiasme qu’elle a déclenché dans toute la région. Le club avait même demandé de pouvoir jouer la finale au stade Santiago Bernabeu, plutôt qu’à Valence, afin de pouvoir satisfaire toutes les demandes, mais cela nous fut refusé. L’attente avait été tellement longue -25 ans depuis la dernière finale- que chacun voulait en être. On a installé des écrans géants dans toute la ville. La motivation des joueurs était énorme, mais ils ont dû affronter la meilleure équipe du monde et, malgré toute leur bonne volonté, ont dû courber l’échine. Les supporters ne leur en ont pas tenu rigueur, ils ont fait la fête malgré tout. Ils avaient au moins la qualification pour l’Europa League à célébrer. C’est bien pour le prestige du club.

Jamais descendu : un petit miracle

Doit-on craindre que le doublé de 1984 reste le dernier de l’histoire de l’Athletic ?

Tout devient très, très difficile. L’écart avec le Real Madrid et le FC Barcelone s’agrandit au fil des ans. Et cela va encore s’aggraver, car leur pouvoir économique leur permet d’acheter les meilleurs joueurs du monde. Derrière ces deux grands, on trouve un quatuor composé du FC Séville, de Valence, de l’Atlético Madrid et de Villarreal. Puis, il y a tous les autres, qui peuvent terminer 7e comme 20e.

20e, ou même 18e, ce n’est jamais arrivé pour l’Athletic. Un petit miracle, compte tenu des restrictions en matière de transferts que le club s’est lui-même imposé ?

On peut le dire, oui. Mais la philosophie du club est une force. Et elle est approuvée par les supporters. Si, un jour, les supporters manifestaient pour pouvoir transférer des joueurs d’ailleurs, c’en serait terminé. Mais il y a unanimité pour poursuivre dans cette voie. Les transferts n’apportent d’ailleurs aucune garantie de maintien : malgré des dépenses énormes, des clubs prestigieux comme l’Atlético Madrid, le FC Séville et le Betis sont descendus. Pas l’Athletic. Qui, à défaut de joueurs étrangers, peut compter sur un bloc-équipe fantastique. Des joueurs qui, pour la plupart, se connaissent depuis les catégories d’âge et sont prêts à se battre à fond pour les coéquipiers, des amis d’enfance.

Cette saison, on retiendra surtout la victoire contre le Real, le mois passé. Est-ce votre plus beau succès ?

C’est celui qui a eu le plus de retentissement. Mais le plus beau, non. Cette victoire ne valait jamais que trois points, comme lors des autres matches. Si l’on veut terminer haut au classement, on ne peut pas se contenter d’un succès de prestige. Ce jour-là, on était bien organisé défensivement et on a tenu tête, grâce aussi à quelques belles parades du gardien Gorka Iraizoz. Je me garde bien de pavoiser. J’espère, personnellement, que le plus beau succès… doit encore arriver !

par daniel devos, à bilbao – photos: reporters

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