FOOT SAGA

Peu ont osé miser des thunes sur l’Islande. Ceux qui l’ont fait sont riches.

Le jour d’Islande-Angleterre, dans le magazine allemand Kicker, on découvre une publicité pour le bookmaker bwin. Celui-ci cote les Islandais à 8,25 contre un. Une mise de 100 euros peut donc en rapporter 825. Ils ne sont pas beaucoup à croire en l’Islande mais ceux qui le font ne le regretteront donc pas.

En 2014, l’équipementier Uhlsport reçoit un mail d’un certain Hannes Thor Halldorson, dont le club norvégien de Sadness Ulf vient de descendre en D2. Il demande à la firme allemande si elle ne veut pas lui offrir quelques paires de gants en vue de la campagne de qualification pour l’Euro 2016. Uhlsport accepte et ne va pas s’en plaindre.

L’histoire du gardien islandais aura désormais sa place dans tous les contes racontés dans ce pays. Il n’est devenu professionnel qu’il y a trois ans, à l’âge de 29 ans. Avant cela, il était réalisateur. Il a ainsi tourné le clip de Greta Salome et Jonsi, qui ont participé au concours Eurovision de la chanson en 2012.

De nombreux supporters islandais le connaissent personnellement. En France, les joueurs de l’équipe nationale n’étaient pas soutenus par des fans mais par des amis. Le match contre l’Angleterre a été vu par 99,8 % de la population. Deux filles interviewées par un journal allemand sont allées à l’école avec le défenseur Ragnar Sigurdsson.

Deux jours après son élection, c’est depuis la tribune, avec sa femme et son fils aîné, que le nouveau président islandais Gudni Johanesson (48), un historien qui prendra ses fonctions le 1er août, a assisté au match contre l’Angleterre à Nice.

La dernière fois que Johanesson avait assisté à un match, c’était le 5 septembre 1998, lorsque la France, championne du monde en titre avec Zinédine Zidane et Thierry Henry, avait fait 1-1 au stade Laurgardalsvollür qui, pour l’occasion, avait fait le plein (9.800 spectateurs). A l’époque, l’Islande était 64e au classement FIFA.

DE 112 À 34 AU RANKING FIFA

En 2007, l’Islande s’était inclinée 3-0 face au Liechtenstein (37.000 habitants). A la réception, le président de la fédération était rouge de honte. L’Islande avait alors chuté à la 90e place mondiale. Sur 200 pays. Et le pire était à venir puisque, en 2010, elle n’était plus que 112e.

Aujourd’hui, elle est 34e. Elle avait déjà failli se qualifier pour la Coupe du monde 2014 mais avait été éliminée en barrages par la Croatie. Elle vient en tout cas déjà de battre un record : celui du plus petit pays ayant participé à une phase finale de championnat d’Europe, qui appartenait depuis 2000 à la Slovénie, avec ses deux millions d’habitants.

En Islande, ils sont six fois moins : 330.000. C’est un peu comme si les villes de Nice, Utrecht ou Bielefeld participaient à l’Euro. L’Islande est le pays qui compte le plus gros pourcentage de sportifs talentueux. La fédération compte 20.000 membres actifs, dont 80 professionnels formés au pays mais qui évoluent désormais à l’étranger.

C’est parmi ces 80 joueurs que les sélectionneurs ont fait leur choix. L’un d’eux est Heimir Hallgrimsson (48), un dentiste qui, après l’Euro, deviendra sélectionneur principal. Pour lui, le succès de l’Islande n’est pas seulement dû à la construction de sept terrains couverts mais surtout à la formation des entraîneurs.

Aucun pays au monde ne compte un tel pourcentage d’entraîneurs diplômés. En 2014, ils étaient 770 à posséder un diplôme UEFA A ou B. Onze ans plus tôt, il n’y en avait pas un seul. Aujourd’hui, l’Islande ne compte plus seulement sur une star exceptionnelle par génération, comme les Gudjohnsen. Ils sont désormais 80 à évoluer en Europe.

« Ce ne sont peut-être pas les meilleurs mais ils se connaissent par coeur et, surtout, ils savent où sont leurs limites », dit Hallgrimsson. C’est ce qui, à la sixième minute du match contre l’Angleterre, a permis à Ragnar Sigurdsson d’égaliser sur une longue rentrée d’Aron Gunnarsson prolongée de la tête par Kari Arnason, comme cela avait déjà été le cas contre l’Autriche avec Jon Dadi Bodvarsson.

Le secret de Gunnarsson, c’est sa technique, apprise au handball. Enfant, comme tant d’autres Islandais, il a combiné les deux sports. Le handball est la discipline la plus pratiquée en Islande, la seule qui ait rapporté une médaille olympique (l’argent en 2008). Le frère de Gunnarsson est international en handball et il a lui-même joué trois matches de D1 à 15 ans avant d’opter pour le football.

UNE MENTALITÉ EXEMPLAIRE

On attribue une bonne part du succès du football islandais au choix que fit, en 2011, le président Geir Thorsteinsson d’engager un entraîneur étranger, le Suédois Lars Lägerback, qui avait dirigé la Suède et le Nigeria.

« Il a fait la différence parce que, contrairement à ses prédécesseurs, il était habitué à travailler avec des pros. Il les a convaincus qu’ils pouvaient battre tout le monde. Soudain, l’équipe a pris confiance. » Une confiance qu’elle a transmise à la génération suivante. A l’automne dernier, l’équipe de France Espoirs s’est inclinée 3-2 à Reykyavik malgré la présence d’un certain Kingsley Coman (Bayern), l’homme qui aime dire qu’il peut faire la différence.

Cette confiance et l’expérience de joueurs évoluant à l’étranger, c’était ce qui manquait à l’Islande. Car le reste était déjà là : jamais un club ne s’est plaint du manque d’engagement ou de la mentalité d’un joueur islandais. Au contraire, les entraîneurs les adorent. Ils ne se plaignent jamais et travaillent dur. C’est dû aux circonstances dans lesquelles ils grandissent.

En Islande, on parle toujours de l’époque où, lorsque les bateaux rentraient au port, chargés de poissons, toute la population s’unissait pour les décharger avant que le poisson pourrisse. « Nous sommes des bosseurs », dit Thorsteinsson. On en a eu un bel aperçu en France !

PAR JUAN MORENO ET GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

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