© EMILIEN HOFMAN

Foot et monde arabe

L’exposition  » Foot et monde arabe  » se tient à l’Institut du monde arabe de Paris jusqu’au 21 juillet. L’occasion d’évoquer quelques belles histoires qui ont lié le sport-roi et les peuples d’Arabie, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient.

Les images de cette foule rassemblée dans la tribune d’un stade de Beyrouth ont toute leur légitimité, le cliché de cette cavité rocheuse et le portrait de ces deux amis en voyage un peu moins. Pourtant, l’ensemble de l’album présenté dans la première salle de l’exposition  » Foot et monde arabe  » retrace la visite d’une délégation de footballeurs au Liban et en Syrie à l’occasion d’un tournoi au début des années 1930.

Ces photos touristiques comptent parmi les plus anciennes traces visuelles du football dans le monde arabe. Mais l’implantation du sport-roi au Levant date d’un demi-siècle plus tôt, quand des colons, soldats et autres fonctionnaires britanniques convainquent des jeunes étudiants égyptiens de taper le cuir.

À l’époque, le football est considéré comme un outil idéal pour contrôler les éventuelles velléités revendicatrices. Peu après sa création en 1905, le très conservateur Club des Hautes Écoles du Caire va toutefois s’ouvrir aux locaux, se renommer Nadi al-Ahli et devenir un espace tourné vers la lutte contre la présence coloniale.

De son apparition à la fin du XIXe siècle à ses développements le plus récents, le football a tour à tour permis l’expression politique et l’émancipation sociale tout en facilitant la diversité au sein du monde arabe.

Larbi Ben Barek, première star maghrébine

L’expo  » Foot et monde arabe  » (jusqu’au 21 juillet 2019) émane d’une idée de JackLang. L’ancien ministre de la culture français, actuellement président de l’Institut du monde arabe (IMA), s’est inspiré d’une manifestation semblable organisée à Marseille il y a deux ans pour explorer la question du ballon rond dans cette région.

 » On a réuni un comité scientifique constitué d’historiens du sport et des migrations ainsi que de sociologues pour essayer de bien comprendre l’importance du lien foot-monde arabe d’hier comme d’aujourd’hui « , témoigne Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du département des expositions de l’IMA.

 » Très vite, on s’est rendu compte qu’on ne pourrait pas faire quelque chose de linéaire et chronologique : les histoires sont trop différentes, la période est trop large et le contexte général n’est pas le même en Égypte au début du XXe qu’au Moyen-Orient aujourd’hui.  »

Du coup, l’IMA se concentre sur 11 histoires bien précises. Dans la grande pièce principale, à côté d’un énorme écran de 20 mètres sur 5 qui fait défiler des images de supporters en slow motion, la première aventure mise en avant est celle de Larbi Ben Barek.

Surnommé  » La perle noire de Casablanca « , l’ancien attaquant est la première star maghrébine du foot français. Son parcours est raconté à travers des coupures de journaux d’époque, des reportages, des photos et des maillots d’époque.

FLN : quand le foot se mêle à la politique

Tout au long de l’expo, d’autres objets et archives font la part belle aux grands noms du foot arabe tels que la première capitaine palestinienne Honey Thaljieh ou Rabah Madjer, l’inventeur de la talonnade éponyme.

 » Il reste très peu de documents sur l’histoire du foot au sein des fédérations arabes « , commente Aurélie Clemente-Ruiz.  » La Fédération Française de Football et la FIFA nous ont prêté beaucoup d’éléments, mais nous avons aussi dû partir à la pêche aux infos et aux documents auprès de particuliers. C’est ainsi que nous avons découvert l’impressionnante collection de maillots de l’ancien président de Montpellier, Louis Nicollin.  »

À deux coins opposés de la première pièce, dont les sièges blancs sur sol vert font irrémédiablement penser à un terrain de foot, deux cadres dévoilent les épopées des formations du FLN (Front de Libération National) et du Nejmeh SC.

Dans les années 50, le FLN fut la première équipe nationale algérienne alors que le Nejmeh SC a longtemps été synonyme d’unité pendant la guerre civile du Liban (1975-90).

 » On s’est rapidement rendu compte que le lien entre foot et politique était très fort dans le monde arabe « , souligne Aurélie Clemente-Ruiz.  » C’est évidemment un angle qui nous intéressait, donc on l’a exploité tout au long de l’exposition.  »

Les véritables Coupes du Monde

Longue robe bleue, lunettes et cheveux noirs, Marie confirme. Cette jeune visiteuse accompagne Raphaël, son conjoint aux cheveux bouclés.  » Je n’aime pas le foot, donc il me fallait vraiment un contexte comme celui-ci pour que je suive Raphaël pendant trois heures dans sa passion « , rigole-t-elle.

 » Ce qui me plaît, c’est d’avoir un regard sur autre chose que le sport et les statistiques. Ça m’en dit beaucoup plus sur ce que le football peut apporter dans le monde.  » Tout en opinant du chef, son compagnon poursuit la réflexion.  » En fait, ce n’est pas vraiment une exposition de foot pur, il y a beaucoup de politique, d’histoire, d’économie, etc…  »

Un petit escalier permet de délaisser la pièce principale pour se retrouver dans une cabine de journalistes surplombant virtuellement un stade. Manque de bol, le système est momentanément en panne, impossible de se glisser dans la peau d’un commentateur pour revivre le but de Mohamed Salah en qualification pour le Mondial 2018 ou celui du Tunisien Ziad Jaziri en finale de la CAN 2004.

La suite directe de la visite a heureusement de quoi scotcher tout fan de foot. Installées dans une vitrine au beau milieu d’un espace à l’atmosphère tamisée trônent fièrement les deux véritables Coupes du Monde remportées par la France en 1998 et 2018. C’est la première fois qu’elles sont rendues accessibles ensemble au grand public.

Le lien avec le monde arabe ? La multiculturalité de ces deux formations championnes et la présence de Zinédine Zidane, d’origine kabyle (Algérie), au sein de la génération  » Black Blanc Beur « .

La question des binationaux

Dans une vidéo de quelques minutes, l’IMA interviewe quelques spécialistes sur plusieurs thèmes liés à la diversité de l’Équipe de France. Sur la question des joueurs binationaux, l’ancien international Lilian Thuram se montre étonnamment dur mais objectif.

 » Les binationaux n’ont pas tellement à faire de choix, c’est l’Équipe de France (EDF) qui le fait (…) Généralement, quand un joueur représente l’autre pays, c’est que l’EDF n’a pas besoin de lui, c’est ça la réalité : les meilleurs joueurs sont avec la France. Ce serait intéressant de voir si un footballeur très performant a déjà refusé de jouer pour l’EDF.  » Imparable.

Qu’à cela ne tienne, cet espace  » Champions  » est un des moments-phares de l’exposition, où le visiteur peut découvrir le fanion de la finale France-Brésil et le short arboré par Zizou ce soir-là. Peu portées sur la question vestimentaire du sport, deux femmes d’une cinquantaine d’années se replongent dans leurs souvenirs de cette soirée de fin du XXe siècle.

 » Je me rappelle qu’un joueur noir avait été expulsé parce qu’il avait reçu un carton jaune « , affirme l’une d’elles sans retomber sur le nom de Marcel Desailly, exclu à la 68e après avoir reçu… deux cartons jaunes.

Après l’instant reliques vient le moment cinéma. Diffusé sur deux écrans géants, le film  » Zidane, un portrait du XXIe siècle  » prend une autre dimension.  » On aurait très bien pu réaliser un résumé des plus belles actions de ce joueur d’origine algérienne « , lance Aurélie Clemente-Ruiz.  » Mais on a préféré opter pour une expression artistique et pleine, c’est une autre manière d’approcher le foot.  »

À l’image, le moindre de ses mouvements est capté par une des 17 caméras haute définition qui l’avaient suivi l’espace de 90 minutes lors d’un match avec le Real Madrid contre Villarreal. La puissance du son confère à l’oeuvre les contours d’un thriller.

Derby cairote et identité palestinienne

Le cliché géant du spot d’un stade cairote ouvre la quatrième pièce de l’exposition. Dessus s’amassent des dizaines de supporters pour assister à la rencontre entre Al-Ahly et Zamalek. Pour s’imprégner d’autant plus de ce derby égyptien – un des plus prestigieux du monde arabe – l’IMA a fait appel à l’artiste Karim El Hayawan, qui propose une oeuvre audiovisuelle mêlant photos et vidéos avec des sons d’ambiance diffusés à divers endroits.

La fougue de la foule digérée, le visiteur s’attarde sur l’impressionnante série de SachaPetryszyn,  » Nous n’irons pas en finale.  » Le photographe français s’est intéressé à la manière dont les Palestiniens vivent le football. Les clichés du mur de séparation de Jérusalem et du Palestinian Stadium – le stade officiel de la bande de Gaza détruit en 2012 par des frappes aériennes – sont prenantes.

Mais l’image la plus marquante est celle de ce ballon de foot coincé entre deux rangées de fil de fer et bien entendu inatteignable pour un enfant. Cette partie de l’exposition appuie sur l’importance que revêt le football pour la Palestine à travers l’oeil de nombreux artistes qui se sont intéressés au sujet.

Khaled Jarrar pousse d’ailleurs son inspiration jusqu’au bout. L’artiste a tout simplement prélevé des morceaux du mur de séparation pour mouler un ballon de football en ciment.  » La dureté du matériau lui permet de rendre tangible la sévérité et le poids de la séparation tout autant que l’impossibilité de jouer sur un terrain de football coupé en deux « , explique Florian Molle, conservateur du patrimoine au Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille.

 » Toutefois, le caractère ludique des objets ainsi représentés invite à surmonter la brutale fonction séparatrice du mur pour lui conférer un nouvel imaginaire. L’artiste nous invite à considérer le mur non plus comme une clôture que la situation impose mais comme un élément que l’on peut détourner de sa fonction première pour recomposer de nouvelles potentialités ludiques.  »

Ode à Honey Thaljieh et au football féminin

Autre nom important du football palestinien, la cofondatrice et première capitaine de l’équipe nationale Honey Thaljieh a également voix au chapitre dans  » Foot et monde arabe « .  » J’ai réalisé que le football était bien plus qu’un jeu : un outil politique fort permettant de faire passer des messages au reste du monde au sujet des Palestiniens, mais qui permettait aussi d’en finir avec les préjugés attachés aux femmes, d’offrir de nouvelles opportunités « , explique-t-elle dans une interview accordée à l’IMA.

 » Le football nous donne une identité, nous qui en avons été privés, nous qui avons grandi dans une zone de guerre, entre les check-points, et avons été confrontés à des défis quotidiens avec, chaque jour, notre lot de peur et d’insécurité.  »

Alors que la Coupe du monde en France bat son plein, l’IMA intègre intelligemment le football féminin dans son expo. La direction a notamment fait le choix de diffuser des extraits du documentaire  » 17 « , qui dessine le parcours des joueuses U17 de l’équipe jordanienne en vue de la Coupe du Monde 2016.

Les quelques portraits personnels qu’il propose permettent à  » 17  » d’évoquer l’épanouissement à travers le contournement des conventions sociales, familiales et religieuses.

En conclusion,  » Foot et monde arabe  » est une belle réussite. Il ouvre les yeux sur un football pas toujours médiatisé en Occident et permet de comprendre les nombreuses interactions entre le sport-roi et la politique.

Bémol qatari

Si l’expo  » Foot et monde arabe  » a de quoi séduire, on regrettera toutefois la dernière partie, sorte de publicité de l’activité qatarie dans le milieu.

Certes, l’exhibition des maquettes des futurs stades du Mondial 2022 fait rêver, mais les conditions de travail des ouvriers et l’empreinte écologique que provoque un tel événement y sont tues.

 » L’idée de l’expo n’est pas de rentrer dans cette polémique « , se défend Aurélie Clemente-Ruiz. Qui ne commente pas non plus la toute dernière séquence de l’expo, une véritable ode au Paris Saint-Germain. Quatre mannequins se succèdent sur une petite scène, affublés de vêtements créés par un styliste parisien de renom en l’honneur des stars que sont Neymar, ThiagoSilva ou Mbappé. Le message ?

 » Le PSG est aussi une marque hors des terrains de sport.  » Peut-être, mais son rôle peut-il pour autant être comparé à celui du FLN ou de Honey Thaljieh ? Pas sûr…

Quelques-unes des 11 histoires racontées par l'expo parisienne.
Quelques-unes des 11 histoires racontées par l’expo parisienne.© EMILIEN HOFMAN
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