© PG

FOOT DE SALON

Manchester City, l’Ajax, le PSG, Valence, West Ham et le Bayern Munich : tous ces grands clubs européens ont placé des amateurs de jeux vidéo sous contrat l’an passé. Leur mission ? Défendre l’équipe lors des compétitions nationales et internationales du jeu FIFA. Dans nos contrées, cette tendance commence également à se développer.

Selon les dernières estimations, on compterait près de 300 millions d’amateurs d’eSport dans le monde. Ce sont des supporters qui passent leur temps à suivre les affrontements entre gamers professionnels. Ce chiffre augmente chaque année de 10 %. Les compétitions se développent elles aussi à grande échelle. Depuis quelques années, le tournoi IntelExtremeMasters est organisé dans une arène imposante ou dans un grand stade, sous les yeux de dizaines de milliers de spectateurs. Les matches sont diffusés en direct par, entre autres, l’ESL (ElectronicSportsLeague). Cet organisme a l’ambition de devenir l’ESPN des sports électroniques : avec des analyses, des commentaires pendant les matches, des résultats et des documentaires.

Les joueurs professionnels de sports électroniques – il y en a plus de 30.000, répartis à travers le monde entier – peuvent gagner annuellement des centaines de milliers de dollars, jusqu’à un million parfois, grâce au prize-money et aux contrats publicitaires. Les joueurs les mieux placés au classement mondial sont de véritables héros adulés par leurs fans. Dans ce domaine, la Corée du Sud arrive en tête de liste : avec des chaînes de télévision, des formations scolaires et des lignes de vêtements, le sport électronique est ancré dans la culture nationale.

Pour l’instant, la section football du sport électronique ne connaît pas encore un tel engouement. Les compétitions les plus populaires concernent des jeux de rôle comme League of Legends et Dota 2, et également le jeu de science-fiction très tactique Starcraft II. Le jeu officiel FIFA, conçu par ElectronicArts, est encore loin d’avoir atteint son potentiel maximum.  » Néanmoins, le football électronique a toujours fait partie du milieu des jeux vidéo à l’échelle mondiale « , affirme Steven Leunens, organisateur et promoteur de différents événements de sport électronique dans notre pays, dont le championnat de Belgique FIFA.  » Il y a toujours eu des tournois FIFA organisés dans notre pays, mais leur popularité s’est accrue ces dernières années. Pour preuve : les grands clubs de football ont créé leur propre section de sport électronique. La FIFA elle-même s’est également emparée de certains événements. Ainsi, certains e-matches sont désormais organisés à Wembley, avec des tournois préliminaires officiels et une prime de 20.000 euros offerte au vainqueur. Celui-ci apparaît même sur le podium lors de la cérémonie du Ballon d’Or.  »

LES PIONNIERS EN EUROPE

En ce qui concerne le jeu FIFA, la Belgique accuse un retard par rapport au reste de l’Europe. Steven Leunens le confirme :  » Dans notre pays, Anderlecht est le premier et jusqu’à présent le seul club à se soucier de l’eSport. Le club est actuellement à la recherche d’un e-sporter. Fin avril, 256 participants se disputeront une place pour le tournoi final et cet été, lors du Fan Day des Mauves, les 16 meilleurs s’affronteront. Le vainqueur recevra un contrat officiel du RSCA pour la saison 2017-2018 et représentera les Bruxellois lors de compétitions nationales et internationales de FIFA. « 

Dans ce domaine, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ont pris plusieurs longueurs d’avance. Fin 2015, Sean ‘Dragonn’ Allen est devenu le premier joueur FIFA à signer un contrat dans un club de Premier League. Il défend toujours les couleurs de West Ham United dans les tournois mondiaux de sports électroniques. Schalke 04 a également engagé deux gamersFIFA depuis lors et le club a même étendu son champ d’action en dehors du football en créant sa propre équipe pour la League of Legends. En France, la LFP (LiguedeFootballProfessionnel) a conclu un accord avec le fabriquant du jeu FIFA17, ElectronicArts. Ils organisent ensemble un championnat de sports électroniques qui se déroule parallèlement à la saison de Ligue 1. Chaque équipe participante est donc représentée par un gamer qui défend les couleurs du club dans une compétition de jeux vidéo. En mai, on connaîtra le nom du premier champion d’e-Ligue 1. Ce tournoi est suivi attentivement par d’autres pays, car son déroulement et sa popularité seront déterminants pour la croissance de la franchise FIFA au sein de l’eSport.

Certaines équipes françaises vont encore plus loin. Ainsi, le PSG collabore avec un organisme de presse pour attirer, accompagner et soutenir les pratiquants de sports électroniques. Selon la chaîne de télévision TV5Monde, le PSG y consacrerait un budget de plus de 20 millions d’euros, une somme que le club n’a pas encore confirmée officiellement.

LES PAYS-BAS REFONT LEUR RETARD

Aux Pays-Bas aussi, le circuit des sports électroniques a pris son envol. Le 18 janvier, l’Eredivisie a annoncé que les 18 clubs de l’élite collaboreront à l’organisation d’un championnat national. Selon le modèle français, les matches de football officiels sur gazon se disputeront simultanément aux matches sur console.  » Tous les clubs ont désormais un gamer sous contrat ou envisagent d’en engager un « , affirme Marc Rondagh, business development manager au sein de l’Eredivisie.  » Les 17 matches du second tour, sont aussi joués sous forme électronique par les clubs. À la fin, on couronnera le champion de l’E-Divisie.  »

Le classement sera évidemment différent de celui du vrai championnat de football. On pourrait très bien voir Feyenoord remporter le championnat sur gazon, pendant que le FC Utrecht remporterait le championnat électronique. Tous les e-matches seront également diffusés en livestream sur YouTube, Twitch et FOX Sports « , poursuit Rondagh.  » Les retransmissions seront précédées par des présentations et suivies d’analyses. Les matches seront également commentés par un shoutcaster (shout signifie hurler, ndlr). Et, chaque semaine, des résumés seront proposés lors d’une émission Studio E-Divisie, selon le modèle de Studio Sport, l’émission de la NOS, la chaîne publique néerlandaise. Des programmes de divertissement sont également prévus. Je songe à un joueur de FIFA17 qui affronterait un véritable joueur de football. Un gamer de Feyenoord opposé à Dirk Kuijt, par exemple, ou un footballeur-vedette qui recevrait des conseils d’un gamer.  »

Cerise sur le gâteau : les deux meilleurs joueurs de l’E-Divisie seront invités à défendre leur pays au niveau européen.  » C’est une stratégie qui, pour l’instant, est encore développée par le fabriquant de jeux vidéo ElectronicArts, mais l’objectif est d’arriver, à terme, à un véritable championnat d’Europe ou du monde, disputé par de vrais clubs de football qui s’affronteraient au jeu FIFA.  »

LE LIEN ENTRE LE SPORT ÉLECTRONIQUE ET LE FOOTBALL

Ces deux dernières années, on a oeuvré en toute discrétion à la réalisation de cet objectif. Certains clubs néerlandais s’occupaient déjà activement de sport électronique, d’autres se sont au départ montrés plus sceptiques. Mais il existe des raisons évidentes pour lesquelles les clubs et l’Eredivisie accordent autant d’intérêt aux jeux vidéo.  » Nos études de marché ont démontré que le sport électronique grandit à une vitesse Grand V. On ne peut plus ignorer le phénomène « , explique Rondagh.  » Nous nous y sommes également intéressés parce que nous avons constaté que la tranche d’âge des 16-28 ans était difficile à atteindre. Nous voulons leur montrer que nous sommes attentifs aux tendances modernes. Mais le développement du sport électronique permettra aussi de renforcer le lien avec les supporters traditionnels. En outre, l’aspect financier ne doit pas être négligé : le sport électronique pourra générer des revenus supplémentaires, qui seront ensuite redistribués aux clubs.  »

En effet, avec les droits de retransmission, le sponsoring, les revenus publicitaires, le merchandising : le sport électronique représente une source de rentrées financières supplémentaires non négligeable pour les clubs.

LES CLUBS RECRUTENT DES JOUEURS

Cette nouvelle ‘discipline’ pourrait également figurer sur la carte de visite du club, comme l’explique Guus Pennings, responsable marketing du PSV.  » Fin août 2016, nous avons recherché notre propre eSporter. Nous avons organisé un tournoi FIFA parmi nos supporters. Et, en novembre, nous avons convié les trois meilleurs à un entretien d’embauche. Le choix de l’heureux élu s’est porté sur Romal Abdi. La saison prochaine, il pourra défendre les couleurs de notre club dans les différentes compétitions de sports électroniques. Il est clair que nous considérons le sport électronique comme un moyen d’attirer un public plus large au PSV. C’est un très bon canal de communication pour sensibiliser le groupe le plus complexe : les jeunes. Mais c’est aussi une vitrine : le sport électronique doit inciter nos membres à suivre le club de manière encore plus intensive.  »

Romal Abdi a donc reçu, grâce au PSV, la chance de démontrer ses talents électroniques aux yeux du monde entier. Il a reçu un numéro de dossard officiel du PSV (89), une place dans le vestiaire et un contrat du club.  » Il reçoit forcément de l’argent « , poursuit Guus Pennings.  » Je ne peux pas vous dire combien. Il ne perçoit évidemment pas un salaire fixe et ne gagne pas autant qu’une vedette du football sur gazon, c’est clair. Nous lui offrons surtout des facilités et des opportunités. Il peut aussi bénéficier de quelques accords de sponsoring. En échange, nous lui demandons de rester disponible pour toutes sortes d’activités organisées par le PSV. Que ce soit en relation avec les compétitions officielles de jeux vidéo ou des activités pour les jeunes, comme le Kids Club qui compte 20.000 membres, des campagnes médiatiques ou des demandes de nos sponsors. Nous aimerions aussi qu’il soigne continuellement la publicité du PSV, en postant des messages sur les réseaux sociaux, des petits films sur YouTube ou des annonces sur nos canaux officiels.  »

LE SPORT ÉLECTRONIQUE DANS UN STADE

Le football néerlandais considère donc le sport électronique plus comme un outil de marketing qu’une source de revenus potentielle. Mais l’eSport peut aussi améliorer la perception du foot.  » Je prévois une croissance exponentielle à moyen terme « , affirme Marc Rondagh de l’Eredivisie.  » Imaginez que vous vous rendiez dans un stade pour assister à un match de football. Et qu’une heure avant le coup d’envoi, vous pourriez regarder le match électronique sur grand écran. Je pense que beaucoup de personnes se rendraient au stade plus tôt pour l’événement. À plus long terme, nous aimerions impliquer toutes les personnes qui aiment jouer à FIFA. Je ne parle pas ici des gamers professionnels qui représentent le club, mais de tout le monde. Une autre compétition de sport électronique qui couronnerait un champion national ‘amateurs’. Ça permettrait peut-être aux Pays-Bas de battre à nouveau la Belgique. (il rit) « , conclut Marc Rondagh.

PAR DIMITRI DEWEVER – PHOTOS PG

 » Le sport électronique est un canal de communication très intéressant pour toucher le groupe le plus complexe pour nous : les jeunes.  » GUUS PENNINGS

 » Imaginez-vous qu’une heure avant le coup d’envoi d’un match sur gazon, on diffuserait le match de sport électronique sur écran géant.  » MARC RONDAGH

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire