Folie des grandeurs

Pourquoi l’Excelsior a-t-il perpétuellement vécu au-dessus de ses moyens ?

Au moment où vous lirez ces lignes, vous saurez si l’Excelsior Mouscron a encore un avenir ou pas. Aujourd’hui, on doit se demander ce qui l’a poussé à vivre perpétuellement au-dessus de ses moyens.

Pour comprendre, il faut se replonger dans la saison 1996-97, la première en D1. Dans tous les pronostics d’avant-saison, l’Excel figurait au mieux à la 16e place. La plupart des médias prédisaient aux néo-promus un aller-retour pur et simple. Mais c’est en tant que champion d’automne qu’ils abordent la trêve de Noël. A la reprise en janvier, après une victoire à Lokeren, les Hurlus comptent même quatre points d’avance lorsque GeorgesLeekens est débauché par l’Union belge comme entraîneur fédéral et certains estiment encore que, sans cela, l’Excel aurait été champion…

C’était une saison un peu folle, durant laquelle le Club Bruges était le seul grand à faire un tant soit peu honneur à sa réputation. Le Lierse cueillera finalement les lauriers, un succès qu’il allait également payer très cher car beaucoup de ses joueurs, arrivés en fin de contrat, avaient déjà signé ailleurs. Il a fallu les remplacer, à grands frais, afin de former une équipe qui ne serait pas ridicule en Ligue des Champions.

Payer pour compenser des départs gratuits

Exactement comme Mouscron, qui allait terminer 3e et a voulu tenir son rang alors qu’il n’avait pas le sou. Il lui fallait dénicher un entraîneur de renom capable de soutenir la comparaison avec Leekens, mais aussi reconstruire une équipe qui avait vu ses deux fers de lance, Emile et MboMpenza, filer vers le Standard sans la moindre compensation financière. Si les dirigeants de l’époque les avaient acquis à Courtrai au moyen de trois transferts  » C  » d’un an, plutôt qu’avec un transfert définitif assorti d’un contrat de trois ans, c’était parce qu’ils n’avaient pas les moyens. Ils allaient s’en mordre les doigts. Car, s’ils avaient pu revendre les Mpenza pour une somme équivalente à la valeur des joueurs, tout aurait – déjà – été différent.

Pour succéder à Leekens, JeanPierreDetremmerie attire HugoBroos. On devine qu’un entraîneur qui possède un tel palmarès a certaines exigences, en matière salariale mais également sportive. Puisque les Mpenza sont irremplaçables, individuellement parlant, il choisit de renforcer l’équipe en profondeur. Arrivent FranckyVandendriessche, KoenDeVleeschauwer, MarcoCasto, StefaanTanghe, TonciMartic, MarcWuyts, FrédéricPierre et ZoranBan. Puis, l’année suivante, AlexandreTeklak et les frères Michal et MarcinZewlakow. NenadJestrovic et d’autres suivront encore.

Il aurait sans doute été plus sage de rester les pieds sur terre et se contenter de viser le ventre mou du classement. Mais voilà : les Hurlus avaient déclenché une vague d’enthousiasme sans précédent et Detremmerie voyait dans son club de football un moyen de placer sa ville oubliée sur la carte du pays. Et, même, de la faire connaître à l’étranger, puisque voilà l’Excelsior engagé dans la Coupe de l’UEFA.

La transformation du Canonnier

Le premier adversaire qui lui est proposé au tour préliminaire est l’Apollon Limassol. Le déplacement à Chypre est encore dans toutes les mémoires de ceux qui l’ont vécu : ambiance de folie, déferlement d’une joyeuse bande de Hurlus dans les tavernes locales, et au bout du compte, un match qui se termine par 0-0. Mais déjà pas mal de frais engagés : en cette période estivale, tous les avions vers Chypre sont pleins et les quelques places encore disponibles se négocient au prix fort. Qu’importe…

Le match retour pose aussi un problème, car le Canonnier n’est pas homologué par l’UEFA. On décide donc d’aller jouer au Stadium Nord de Villeneuve-d’Ascq, là où évolue actuellement le LOSC. L’idée d’un club transfrontalier, lancée par Detremmerie, prend forme. L’Excel gagne 3-0 et se qualifie, mais le tirage au sort lui désigne le FC Metz. Or, le règlement de l’UEFA interdit à Mouscron d’accueillir un club français en France. Villeneuve-d’Ascq doit être abandonné. On sonde Bruges et Bruxelles, mais on décide finalement d’effectuer au Canonnier les transformations nécessaires à l’organisation d’un match européen. Encore des frais… Et puis, ces transformations nuisent à l’ambiance. Le fameux kop, qui rythmait la cadence depuis une tribune latérale, doit être déplacé derrière un but pour laisser la place à une tribune assise. Or, c’est l’ambiance qui attirait les gens au Canonnier.

En 1997, Detremmerie a une autre idée : pour se venger de l’Union belge, qui lui a piqué Leekens, il attire PhilippeSaintJean, alors sélectionneur des Espoirs, afin de lancer le projet du Futurosport, un centre de formation à la française. Lorsqu’on sème, il faut attendre que les graines poussent avant de pouvoir récolter de beaux fruits. Or, Broos entendait maintenir Mouscron dans le Top 5. Un peu comme à Anderlecht, les jeunes talents seront donc barrés par des transferts. Broos finit par se disputer avec Saint-Jean qui, après quatre ans, claque la porte. Et le Futurosport entre dans une période de stagnation.

De longs et lourds contrats

Broos, lui, a reçu carte blanche pour bâtir une équipe compétitive et ne s’en prive pas. Il offre de très beaux contrats de longue durée aux joueurs qu’il estime essentiels. Pourquoi ? Précisément, pour éviter de vivre la même mésaventure qu’avec les frères Mpenza. Si un grand club veut un joueur de l’Excel, il devra le payer ! Et pendant une période, effectivement, cela marche : Jestrovic, Tanghe, YvesVanderhaeghe et même JonathanBlondel, le premier produit du Futurosport, rapportent de l’argent. Mais le marché s’effondre, La Poste arrête son sponsoring et l’Excel se retrouve avec tous ses gros contrats sur les bras. Le trou se creuse…

En 2002, après une finale de Coupe de Belgique perdue contre Bruges, Broos s’en va à Anderlecht et un jeune retraité lui succède : LorenzoStaelens débute par un succès 0-3 au Standard, mais la suite sera moins drôle. Au deuxième tour, son équipe est décimée par les blessures et il lance quantité de jeunes dans la bagarre. PacoSanchez, entre autres, débute en D1 à 16 ans. Cet appel à la jeunesse, qui aurait pu constituer une solution aux difficultés financières, n’aura pas de suite. Mouscron ne termine que 13e et Staelens doit laisser la place à Leekens, qui effectue son retour. LongCouteau n’entend pas jouer la 13e place, on s’en doute. Il dispose d’une grosse équipe : Mbo Mpenza (revenu au bercail), Marcin Zewlakow, ChristopheGrégoire et un petit jeune venu du FC Liège, LuigiPieroni, en qui Leekens ne croit pas d’emblée mais qui terminera meilleur buteur du championnat avec 28 buts.

RolandLouf, arrivé comme manager, n’en croit pas ses yeux en découvrant les comptes. La différence entre l’actif et le passif est abyssale. Il se heurte à Leekens, qui en veut toujours plus. En janvier, l’entraîneur veut engager trois joueurs qui lui ont été proposés par l’ancien joueur local GordanVidovic, devenu agent de joueurs. Louf s’y oppose. On devine déjà que Leekens, qui terminera pourtant 5e (mais à quel prix ?), ne fera pas des vieux os au Canonnier.

En fait, deux philosophies s’opposent. Leekens veut investir, en achetant des joueurs pour les revendre avec bénéfice par la suite. Il se dit aussi que de bons résultats attireront, forcément, de nouveaux sponsors et un public plus nombreux. Ce qui, malheureusement, ne s’est jamais vérifié au Canonnier. Louf est plutôt partisan de réduire la masse salariale, quitte à ce que les performances sportives s’en ressentent. En fin de saison, il vend Pieroni à Auxerre, Mbo Mpenza à Anderlecht et SteveDugardein à Caen. Le temps des vaches grasses est terminé.

2004 : première faillite virtuelle

Saint-Jean, après deux saisons à Tubize, revient comme entraîneur principal en 2004. A 50 ans, ce formateur dans l’âme vit sa première expérience en D1. Fidèle à sa philosophie, il engage essentiellement des jeunes et des joueurs de D2, comme il l’a fait l’été dernier à Mons. Sa science tactique lui permet de battre Anderlecht 2-0 dès le match d’ouverture. Mais ses méthodes ne plaisent guère aux anciens, et parallèlement, la situation financière demeure préoccupante. Louf prononce déjà une phrase prémonitoire :  » Que veulent les gens ? Voir l’Excel voler bien haut dans le ciel, et subitement assister à sa désintégration pour avoir voulu s’approcher trop près du soleil ? »

Une prophétie qui a bien failli, une première fois, se réaliser : en décembre 2004, Mouscron est déjà à deux doigts du dépôt de bilan. Il y échappe de justesse, grâce à une première intervention de PhilippeDufermont et à un tour de passe-passe de Detremmerie qui transforme un prêt de 750.000 euros de l’IEG en sponsoring et accorde un crédit supplémentaire de deux millions. Criblé de dettes, l’Excel doit laisser partir Grégoire à Anderlecht pour 300.000 euros alors que le joueur en valait sans doute trois ou quatre fois plus. Pour s’en sortir, Mouscron doit ouvrir une ligne de crédit après l’autre. Lorsque Detremmerie, malade, cède la direction du club au triumvirat constitué par Louf, EdwardVanDaele et FrancisD’Haese, le passif dépasse les 12 millions.

Louf parviendra à le réduire de trois millions, tout en constituant une équipe qui atteindra la finale de la Coupe en 2006, ce dont il n’est pas peu fier. Le hic, c’est que cette équipe a été majoritairement recrutée en France, et malgré le retour de Dugardein qui lui confère un certain ancrage local, le public a du mal à s’y identifier. Il déserte de plus en plus le Canonnier, d’autant qu’on ne lui offre plus de places gratuites. Louf, en froid avec Detremmerie qui veut continuer à tirer les ficelles en coulisses, finit par démissionner. Van Daele, devenu président, tente sans grand succès d’attirer des petits sponsors locaux et démissionne à son tour à l’automne 2006 lorsqu’il apprend que D’Haese, en désespoir de cause, explore la piste des Kazakhs. D’Haese, à l’instigation de l’actuel président JeanPierreDufermont alors président des jeunes, aura toutefois le mérite de trouver Philippe Dufermont, un Mouscronnois de naissance qui a fait fortune en Espagne. La solution miracle, croyait-on.

par daniel devos

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