Fluide GLACIAL

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Quatre ans après le clash et quatre jours avant leur affrontement en D2 (Courtrai-Tubize), les ennemis jurés ont presque fait la paix.

Le clash remonte à la fin du mois de novembre 2000. Quatre ans, presque jour pour jour. Manu Ferrera est viré de Charleroi. Quelques jours plus tard, Enzo Scifo (joueur, actionnaire et vice-président) apprend qu’il doit stopper sa carrière de footballeur. La solution coule de source : il remplace son vieux pote qu’il avait extirpé de l’école des jeunes d’Anderlecht pour lui rendre une chance en D1.

En quatre ans, l’eau a coulé sous les ponts. Ferrera (46 ans) a gagné son procès contre le Sporting. Et Scifo (38 ans) a abandonné tout ce qu’il avait au Mambourg : son training de coach, son costume de vice-président et une partie de son prestige. Les deux hommes ne se sont croisés qu’une seule fois entre-temps : en fin de saison 2000-2001, dans une ambiance de haine, quand Scifo était toujours aux commandes de Charleroi alors que Ferrera s’était recasé à Alost.

Ce week-end, ils vont à nouveau s’affronter, cette fois en D2 : l’ancien international est manager de Tubize alors que le frère d’Emilio est entraîneur de Courtrai. Une occasion unique de provoquer la réconciliation. Objectif atteint ? Pas tout à fait. S’ils ont accepté de se reparler pour Sport/Foot Magazine, la ranc£ur ne s’est pas dissipée.

Scifo plante la première banderille !

Enzo Scifo : Tu veux savoir ce que je te reproche ? Tu n’es pas un homme ! Je t’en veux toujours à fond. Tu as oublié tout ce que j’avais fait pour toi. Je t’avais défendu, face à Abbas Bayat, jusqu’au tout dernier moment. Jusqu’au jour où j’ai compris que sa décision était prise, que je ne pourrais plus rien faire pour toi, que tu devais partir. Nous avions mis ensemble les points sur les i, je pensais que tout était clair entre nous. Tu m’avais même confié qu’il valait sûrement mieux que tu quittes le club, vu tes gros problèmes relationnels avec Bayat. Et, si tu étais déçu, tu ne le montrais pas. Tu avais compris que je n’avais rien fait pour prendre ta place. Tu m’avais même aidé à préparer mon premier match comme coach et j’avais beaucoup apprécié. Mais tu m’as trahi un mois plus tard en me démolissant dans la presse. Je ne peux pas l’oublier.

Manu Ferrera : Dans la presse, je t’ai épargné. Mais pas devant le tribunal. Je n’ai pas eu le choix. Nous nous étions effectivement quittés en bons termes. Moi aussi, j’avais compris que je ne pouvais plus travailler avec Abbas Bayat. Mais quand j’ai quitté le Sporting, il m’a promis que je serais payé rapidement, qu’il me verserait tout ce qu’il aurait dû me donner si j’étais resté jusqu’au dernier jour de mon contrat de trois ans, jusqu’au dernier centime. Un mois plus tard, j’attendais encore mon argent. On ne voulait même pas m’envoyer mon C4 qui m’aurait permis d’aller m’inscrire au chômage. J’ai alors suivi les conseils de mon avocat. Le Sporting avait le droit de ne me verser que quelques mois d’indemnités. Mais il y avait une faille : si je t’attaquais pour abus de pouvoir, je pouvais espérer plus d’argent. Nous avons choisi cette option-là et c’est pour cela que je me suis effectivement déchaîné contre toi. En suivant le raisonnement de mon avocat, en argumentant que tu avais abusé de ton pouvoir de vice-président pour prendre ma place d’entraîneur, je pouvais réclamer des dommages et intérêts. Le juge nous a donné raison (les trois quarts des supporters aussi, d’ailleurs…) et j’ai touché tout ce que je réclamais. Le petit Ferrera a battu l’armée d’avocats d’Abbas Bayat. Il s’était entouré de tout ce qui se fait de mieux à Bruxelles, de gars que tu dois payer 100.000 balles rien que pour serrer la main… En attendant, ce fut la fin de ma carrière d’entraîneur en D1.

Ferrera viré à l’hôpital

Scifo : Je ne pouvais rien faire pour toi. Abbas Bayat était déterminé. Dès le premier jour, il m’a dit que tu n’étais pas l’entraîneur qu’il lui fallait à Charleroi. Que le club ne ferait jamais de résultats avec toi. Plusieurs fois, il m’a dit qu’il allait te virer. Je lui répondais qu’il était fou, que le Sporting jouait la tête et qu’il ne pouvait pas faire ça, que c’était beaucoup trop dangereux. Le soir du match perdu à Malines, tout s’est précipité à l’hôpital, où nous étions avec Ali Reza Emamifar qui venait de se casser la jambe. Bayat m’a demandé de sortir de la chambre avec lui, et dans le couloir, il m’a dit : -Je ne veux plus le voir, il n’y a plus à discuter, je le mets dehors. Là, je devais choisir mon camp : continuer à te défendre en sachant que je prenais alors des risques vu que ça pouvait tourner au clash avec mon propre patron, celui avec lequel j’avais investi dans le club ; ou me ranger au raisonnement de Bayat. N’oublie pas que j’avais mis de l’argent au Sporting et que cela a aussi joué.

Ferrera : Mon limogeage, je l’acceptais. Moi aussi, j’avais compris que je ne pouvais plus collaborer avec Bayat. Et j’avais ma part de responsabilités. J’étais devenu difficile à vivre. Je me suis pris la tête : j’avais sauvé le club, on jouait les premières places en début de saison, et je me suis cru tout permis. Je me croyais carrément patron du Sporting de Charleroi. Je n’acceptais plus aucune remarque du président et, quand il osait me conseiller quelque chose, je le remballais sèchement. Mea culpa, je planais. Je peux comprendre qu’il se soit dit un jour : -Bon sang, je mets des millions ici, c’est qui ce petit entraîneur qui me traite comme un valet ? Finalement, je crois que nous sommes sans doute tous un peu fautifs : Bayat qui avait la folie des grandeurs, moi qui suis resté passif quand on ne voulait pas me donner mon argent, et moi qui me croyais subitement arrivé. Et qui y a trouvé son compte ? Sans doute personne.

Scifo : Le plus regrettable dans cette histoire, c’est la fin d’une vraie amitié entre deux hommes. Je n’aurais jamais imaginé que tu me détruises dans la presse comme tu l’as fait. Sans raison.

Ferrera : Dans la presse ? Retrouve-moi les articles ! Tu dois remettre les événements dans leur contexte. Je ne savais plus où j’en étais. Je n’avais plus de boulot et plus de revenus. Avec une maison à payer et une famille à nourrir. J’estimais que j’avais été viré injustement et on refusait de me verser l’argent qu’on m’avait promis. Pour moi, c’était très clair : tout avait été orchestré pour que tu prennes ma place. Et tu étais coresponsable, en tant que vice-président, si Bayat refusait de me payer. Quatre ans plus tard, je raisonne autrement, mais à l’époque, j’en étais intimement persuadé. J’étais parti à l’attaque avec des certitudes qui n’en sont plus aujourd’hui. J’ai subitement vu clair en janvier de cette année, quand la direction de Courtrai m’a demandé de remplacer notre coach, Angelo Nijskens. Ce club jouait aussi la tête, j’en étais le directeur sportif et on me demandait subitement de prendre la place du coach que j’avais fait venir. J’ai dû accepter sous la pression et je me suis senti très mal. J’ai alors fait le parallèle avec ce qui s’était passé à Charleroi. Ce n’est que depuis ce moment-là que je t’ai complètement disculpé.

Scifo prisonnier de Bayat ?

Scifo : Je m’occupais du sportif à Charleroi, pas des finances. Je ne savais pas que Bayat ne voulait pas te payer. Il ne m’a jamais parlé de ça. Je savais qu’il y avait plein de factures à payer, plein de procès qui menaçaient, mais je voulais me concentrer sur mon job d’entraîneur. Tout aurait été beaucoup plus simple si tu étais venu me trouver au lieu d’utiliser la presse pour me démolir. Ces attaques-là, je ne te les pardonnerai jamais.

Ferrera : Je n’avais pas de raison d’aller te voir à partir du moment où j’étais sûr que tu étais dans la combine. Je raisonnais comme ceci : -Nom de d—, il est bras droit de Bayat et il me laisse tomber comme un malpropre. Il m’a fallu du temps pour comprendre que tu étais complètement prisonnier d’Abbas Bayat.

Scifo : J’ai aussi laissé du crédit dans cette affaire. Je m’y étais préparé. Et je l’avais dit à Bayat : -Si on le vire, on devra assumer. Il y avait ce bon classement qui compliquait les choses. Si j’avais été président, je ne t’aurais évidemment pas mis dehors. Mais je n’étais que vice-président.

Ferrera : Je m’étais aussi fait avoir sur la question de ma reconversion dans le club. Bayat était d’accord de me garder. Comme chef du scouting, dans un premier temps. Quand on a rediscuté de ma nouvelle fonction, le lendemain, ce n’était plus responsable du scouting mais simple scout. J’aurais dû rendre des comptes à Lucien Gallinella : non merci, j’ai compris qu’on essayait encore de m’entuber. J’ai dit : -C’est terminé, on se fout encore de ma g—, ici.

Pierre Danvoye

 » Tu as oublié tout ce que J’AVAIS FAIT POUR TOI  » (Enzo)

 » Je devais T’ATTAQUER POUR GAGNER MON PROCÈS  » (Manu)

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