Flanderlecht

Des supporters flamands en masse, des supporters wallons esseulés, un organigramme de plus en plus néerlandophone. Anderlecht perd-il au fil des ans son attache francophone ? Analyse.

Anderlecht-Saint-Trond, 6 février 2010. Quelques instants avant la montée des joueurs, les enceintes du Stade Constant Vanden Stock ne crachent pas le traditionnel  » JepeuxpasvouscacherquejesuissupporterdesMauve et Blanc. J’allaisàl’Anderlechtdéjàquandjen’avaisqu’unan… « , mais bien  » Ikwasmojustejoeren ‘k aaeenwittemauvemoesj. Ikreepal  » Anderlecht ! » vanoijtmansjikkekinderkoesj….  »

Quoi de plus normal que le Grand Jojo laisse le temps d’une soirée sa place au Lange Jojo (et sa version en bruxellois flamand) quand le public mauve est majoritairement néerlandophone. Il suffit de se balader Place de Linde pour s’en convaincre. Le long des échoppes, on entend davantage de braadworsten et de pintjes commandées que des pains saucisses ou des bières. Que la majorité des supporters soient néerlandophones ne date pas d’hier.

Anderlecht a toujours été un club à dimension nationale dont les supporters sont issus des quatre coins du pays. On constate toutefois que le traditionnel 60-40 (néerlandophone-francophone) n’est pas respecté. Aujourd’hui, ce sont 70 % ( voir cadre Chiffres édifiants) des abonnés qui sont domiciliés en région flamande (Précision utile : être domicilié en région flamande n’équivaut pas à être néerlandophone puisque beaucoup de francophones sont installés dans le Brabant flamand.) Reste qu’il y a peu de temps, cette proportion n’était pas aussi importante. Marc Torsin, ex-responsable du ticketing expliquait dans nos colonnes qu’aux alentours de 2002, la proportion était de 55 % de néerlandophones et 45 de francophones en tenant compte du même critère.

Comment, dès lors, expliquer cette désertion de la partie francophone, ou cet engouement de la partie néerlandophone ? Si aucun chiffre n’est là pour le prouver, les anciens qui ont connu les glorieuses années 70 rappellent les chants francophones entonnés dans les travées du Parc Astrid. Les  » Un, deux, trois, Attila est là « , en l’honneur de l’attaquant hongrois Ladinszky ou  » Allons les Mauves « . C’était du temps de Nederlecht (en référence aux nombreux joueurs hollandais qui formaient l’équipe), une époque où les supporters beuglaient davantage en français. Depuis les années 80, le stade Constant Vanden Stock est la plupart du temps réchauffé par des chants anglais. En déplacement, il est courant d’entendre des chants en néerlandais. Hormis pour la venue du Standard, et pour titiller l’ennemi, le chant en français se fait rare.

D’autres indications montrent que les temps changent. Le constat est même frappant auprès des clubs de supporters. En 1994, la première année où sont référencés les groupes de supporters, on en retrouvait 16 en Flandre, 13 en Wallonie et 3 à Bruxelles. Aujourd’hui, parmi les 62 clubs officiels, 41 se trouvent en Flandre pour 11 en Wallonie et 7 à Bruxelles. Trois autres se trouvant à l’étranger. Autre signe : le forum officiel des supporters d’Anderlecht (http://forum.rsca.be). Celui-ci a la qualité d’être bilingue, mais un rapide parcours de différents posts suffit à noter une très grande majorité de textes en néerlandais. Pour capter l’humeur des supporters mauves, mieux vaut donc se débrouiller dans la langue de Vondel…

Du côté de la direction, on préfère ne pas s’exprimer sur la question tant qu’une enquête n’a pas été réalisée en interne. Herman Van Holsbeeck :  » Il y a quelques années, une étude montrait qu’Anderlecht comptait 500.000 supporters à travers la Belgique avec une balance de 55-45 en faveur des néerlandophones.  » Le manager général tient aussi à préciser :  » Anderlecht est un club bruxellois, on veut rester bruxellois. Toutefois, si notre pays nous oblige à choisir entre l’aile néerlandophone ou francophone, on ira évidemment là où c’est le plus intéressant…  »

A cet effet, on notera que du côté néerlandophone, les clubs sont soutenus financièrement par leur communauté, via le Bloso . Ce qui n’est pas encore d’actualité côté francophone. Raison pour laquelle le FC Brussels est répertorié aujourd’hui sur le rôle NL. Et Anderlecht est, lui, toujours répertorié sur le rôle FR.

Flamandisation au sein du club ?

Depuis l’arrivée en 2004 de Van Holsbeeck en remplacement de Michel Verschueren, le club s’est professionnalisé. Pour ce faire, il a notamment fallu moderniser différentes structures comme le service commercial, le scouting ou la communication. D’où l’arrivée de Chris Lioen (commercial et marketing director), Rik Vandevelde (Head Scouting Department) et celle, récente, de David Steegen (Press Manager). Tous les trois sont Flamands mais évidemment bilingues. Quelle incidence cela peut-il avoir sur le fonctionnement du Sporting ? Au rayon des détails, on remarquera que dans le guide annuel réalisé par le club qui détaille les différents employés et leurs différentes fonctions, le texte est évidemment dans les deux langues mais avec toujours la partie néerlandaise en premier lieu. Pour ceux de la saison 1989-1990 ou 2000-2001, c’était l’inverse.

Au sein du club, certains employés ne parlent plus de détails et notent un vrai changement au niveau de la ligne de conduite.  » J’ai déjà été voir Roger Vanden Stock pour lui faire art de cette flamandisation au sein du club « , témoigne un de ses membres historiques.  » Il m’a répondu que tant que cela marchait, il ne voyait pas les raisons de changer quoi que ce soit. Aujourd’hui, toutes les réunions au sein de la plupart des cellules se déroulent en néerlandais. Ce n’est seulement qu’aux réunions du conseil de gestion courante (avec RVDS, francophone, Philippe Collin, francophone, et les deux zinnekes, Van Holsbeeck et Ariel Jacobs, plus Verschueren) que le français est de mise.  »

Ce qui est perceptible en haut lieu au Parc Astrid l’est aussi au sein de l’Ecole des jeunes de Neerpede.  » Quand il faut engager quelqu’un comme entraîneur, les Flamands sont automatiquement prioritaires « , explique un membre de l’école de jeunes.  » Car ils maîtrisent soi-disant les deux langues nationales. On remarque d’ailleurs davantage de coaches néerlandophones à la tête des sélections nationales aussi. Il y a des situations qui ne sont toutefois pas tenables. Comme celle de Daniel Simmes, un Allemand qui a joué au Lierse jadis et que Van Holsbeeck a connu là-bas. Il a quand même été remballé parce qu’il ne parlait pas un traître mot de français. Et puis, la politique des petits amis bat son plein. Le DT de Neerpede, Jean-Pierre Kindermans, aurait, par exemple, aimé nommer Geert Emmerechts (ex-joueur de l’Antwerp) à la tête des Espoirs. Mais comme Johan Walem avait posé sa candidature entre-temps, le choix s’est porté sur lui, à la demande de Philippe Collin.  »

On relèvera aussi que le Sporting travaille en collaboration avec certaines écoles mais que la part belle est faite aux établissements flamands : Sint-Niklaas Instituut, où étudie Romelu Lukaku, Sint-Guido-instituut, où étudie son frérot Jason, etc. Côté francophone, hormis Redouté-Peiffer, on ne relève aucun autre établissement scolaire.

La parole aux supporters

Le cadre Chiffres édifiants démontre que la proportion d’abonnés mauves wallons est très faible. Comment l’expliquer ? On a posé la question à différents présidents de clubs de supporters basés dans le sud du pays. Ces derniers ont d’abord tenu à nous faire part de la parfaite entente en tribunes ou lors d’animations entre supporters francophones et néerlandophones. Concernant le débat qui nous occupe, celui de la disproportion néerlandophone-francophone, ils la ressentent principalement lors des réunions de l’ASA (Association des supporters d’Anderlecht), l’organe qui répertorie tous les groupes de supporters reconnus par le club.

 » Lors de la dernière grande assemblée, remontant au mois août, on s’est retrouvé dans une grande salle avec une table de Bruxellois, une autre de Wallons, et toutes les autres composées de Flamands « , explique Jean-Michel Cappe, président des MauveAngels de Namur, un des clubs de supporters wallons les plus importants, avec 89 abonnés au stade. Et de poursuivre :  » C’est surtout en déplacement qu’on remarque que les Wallons sont très peu nombreux par rapport aux supporters flamands. Le fait qu’il y ait de moins en moins de clubs du sud du pays en D1 joue évidemment. Quand La Louvière y était encore, on n’avait par exemple aucun problème pour remplir notre car. Aujourd’hui, c’est différent avec des déplacements à Westerlo ou à Roulers.  »

Comment expliquer que les supporters wallons sont de moins en moins nombreux au stade ?  » C’est difficile à dire. Le prix des abonnements et les distances importantes, puisque notre club draine notamment des personnes de la province du Luxembourg, sont des éléments de réponse « , avance Cappe.  » Concernant l’aspect financier, je n’emmène mes enfants au stade que lors de matches de Coupe de Belgique où la place est à 5 euros. C’est la seule fois où le stade est composé de familles. Mais les supporters flamands sont, bien sûr, eux aussi confrontés à ces prix. « 

 » Pour beaucoup de Wallons, Anderlecht est perçu comme un club flamand « , explique Christophe Defrene, président des PurpleDevils de Gembloux.  » Quand je travaillais à Liège, on me demandait sans cesse pourquoi je supportais un club flamand.  »

 » Je pense que l’impact médiatique explique aussi le manque d’attrait pour Anderlecht en Wallonie « , enchaîne Cappe.  » Aujourd’hui, les médias ne font plus autant de pub autour du club qu’au début des années 2000. C’est comme si la presse francophone était blasée d’Anderlecht. Désormais, vous n’en avez plus que pour le Standard. Dans les médias néerlandophones, j’ai le sentiment qu’Anderlecht prend davantage de place. « 

 » Vous imaginez la DH sortir un autocollant Vous suivez un champion pour un titre d’Anderlecht comme il l’avait fait pour le Standard « , sourit Loïc Balza, représentant des PurpleDevils de Gembloux.

Et si Anderlecht venait à établir ces futurs quartiers en région flamande ?  » On le prendrait assez mal « , avoue Defrene.  » Cela ferait un club flamand de plus, faut pas se le cacher. Pour nous, la maison, c’est Anderlecht. On n’est pas des Bruxellois, on est des Anderlechtois ! « 

Comment expliquer qu’il y ait autant de clubs flamands membres de l’ASA ? Cappe :  » Ils sont mieux organisés ou jouissent de plus de publicité.  » Balza :  » Certains de leurs clubs de supporters sont de véritables machines de guerre, avec pour certains leur propre car. « 

Didier Flandroy, secrétaire du Geaint’sClub d’Ath :  » Chez nous, les demandes d’abonnements sont régulières mais tant que le stade n’est pas agrandi, on ne peut rien faire. L’attrait pour Anderlecht reste important, surtout avec les récents résultats, mais on doit constater que les Wallons ne sont clairement pas en position de force. Dans ma tribune, en L3, je n’ai par exemple que des Flamands autour de moi. Ça ne pose évidemment aucun problème mais c’est une réalité. Lors des réunions de l’ASA, tout ou presque se fait en néerlandais. C’est bien simple, notre club ne s’y déplace qu’une fois par an, pour celle qui est obligatoire…  »

Qu’en pensent les experts ?

Jean-Michel De Waele, sociologue du sport à l’ULB, est très clair :  » Ce club est devenu néerlandophone, c’est évident. Il suffit de regarder d’où viennent les abonnés. Ou de voir que la majorité du personnel dirigeant est néerlandophone. Quand trois quarts de ton personnel est flamand, que la presse néerlandophone pèse plus lourd que la presse francophone, qu’une série d’hommes politiques flamands s’affichent à Anderlecht et que le pouvoir économique est en Flandre, au moment où il faut choisir les annonces au micro, on choisit toujours la langue du pouvoir….  »

Journaliste à La Capitale, Jean-Marc Ghéraille suit les Mauves quotidiennement depuis une décennie :  » Qu’Anderlecht compte davantage de néerlandophones que de francophones n’est pas nouveau. Si le club compte des supporters à travers tout le pays, une base importante a toujours été issue du Pajottenland. J’imagine très bien qu’au niveau des loges et des business seats, la disproportion néerlandophones-francophones est encore plus grande puisqu’en Belgique, beaucoup de décideurs et d’importantes entreprises sont basées dans le nord du pays. Après, je ne pense pas qu’il y ait une volonté délibérée du club de se flamandiser. Herman Van Holsbeeck a voulu dès son arrivée professionnaliser le club. Pour cela, il a amené des personnes qu’il a côtoyées précédemment, notamment au Lierse. D’où l’arrivée de plusieurs Flamands à des postes importants. Que la disparité s’est accrue au fil du temps est difficile à expliquer, mais peut-être que dans l’imaginaire flamand, Anderlecht est un club où il faut être vu. Il a un côté bling-bling qui attire certaines personnes. Je dirais que c’est un club national à tendance néerlandophone…  »

« Ce club est devenu néerlandophone, c’est évident. (Jean-Michel De Waele, sociologue) »

« Aujourd’hui, toutes les réunions des différentes cellules se font en néerlandais.

(Un membre de la direction) »

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