» Fini, le one man show « 

Le 29 mai, la FIFA se choisira un nouveau président. Tout porte à croire que le Suisse Sepp Blatter entamera son cinquième mandat. Le prince jordanien Ali, l’ex-footballeur Luis Figo et Michaël van Praag espèrent lui mettre des bâtons dans les roues. Sport/Foot Magazine a rencontré le président de la fédération néerlandaise.

Sepp Blatter (79 ans) a déjà annoncé avoir reçu le soutien des confédérations africaine, asiatique et océanienne. Cela représente, au total, 111 des 209 voix. Le Suisse semble imbattable, mais avec l’appui de l’Union belge, Michaël van Praag veut éviter au football une nouvelle catastrophe. Rendez-vous est fixé avec Van Praag au siège de la fédération néerlandaise, dans les bois de Zeist, peu avant midi. Au milieu de la conversation, des sandwiches au fromage, du lait et du lait battu nous sont proposés. Si nous ignorions que c’était typiquement hollandais, nous y aurions vu un message. Michaël van Praag veut mettre un terme aux fastes de la FIFA et réaliser des économies.

Comment se déroule votre campagne ?

Michaël van Praag : Normalement, il aurait fallu au minimum un an pour l’organiser, mais l’idée de me porter candidat à la présidence n’a vu le jour que peu avant Noël. Le temps manque, donc. J’ai élaboré un plan qui doit me permettre de discuter avec quelques personnages-clefs et cela se passe bien. Je reviens tout juste d’Amérique du Sud et j’en ai gardé un bon sentiment. Jusqu’à présent, tout se passe comme prévu.

Aviez-vous une idée derrière la tête, lorsque vous avez décidé de combattre l’hégémonie de Blatter ?

JérômeChampagne s’était porté candidat, et subitement, le prince Alis’est aussi manifesté. Je n’avais encore jamais entendu parler de lui, mais j’étais très content. Il y avait donc deux autres candidats en plus de Blatter, cela laissait au moins l’opportunité de choisir. Néanmoins, Champagne m’a téléphoné, paniqué. Il ne savait pas s’il pourrait participer au scrutin, car trop peu de fédérations étaient enclines à lui manifester son soutien. Il demanda si la KNVB était prête à le soutenir. Par la suite, des doutes sont aussi apparus sur le nombre de fédérations disposées à soutenir Ali. Je voulais absolument éviter que Blatter soit à nouveau le seul candidat. J’en ai discuté à la maison et j’ai fini par me porter moi-même candidat. L’an passé, lors du congrès de la FIFA à São Paulo, j’avais pris la parole pour expliquer pourquoi Blatter ne devrait plus se représenter. Il faut aller au bout de ses idées et rester conséquent avec soi-même.

 » La FIFA a perdu toute crédibilité  »

Vous êtes allé trouver Sepp Blatter.

Le 9 janvier, je me suis effectivement rendu à Zurich, car j’estimais que je devais lui expliquer ma décision. J’entretiens de bonnes relations avec lui. Nous nous connaissons depuis des années et nous nous entendons bien. Je n’ai rien contre lui personnellement, mais il a dirigé pendant des années une organisation qui a perdu toute crédibilité. Il en est responsable, et pour donner un nouvel élan, il faut de nouvelles personnes. Il ne peut pas, lui-même, changer la FIFA. Il faut d’autres visages pour cela. Quoi que fasse Blatter, cela suscitera des commentaires négatifs. C’est une conséquence de la situation dans laquelle nous nous trouvons et dont il est en partie responsable. Je lui ai expliqué que je voulais le garder au sein de la FIFA comme président d’honneur actif. Il ne s’occuperait plus de la gestion quotidienne, mais resterait à la tête des projets Goal (les projets sociaux de la FIFA, ndlr). Je trouve aussi que la FIFA devrait créer une fondation qui s’occuperait d’enfants défavorisés à travers le monde. Avec son immense réseau, il serait l’homme tout indiqué pour mettre ce projet sur les bons rails. Cela lui tient à coeur. Je ne le rejette donc pas, comme beaucoup d’autres. Il est à la tête de la FIFA depuis 17 ans. Il mérite de partir avec les honneurs. Car il a aussi fait beaucoup de bien pour la FIFA. Il se rendrait immortel s’il se réfugiait derrière sa propre ombre pour faire cela. C’était une conversation très agréable. Il allait réfléchir à l’idée pendant une petite semaine.

Mais il ne débordait sans doute pas d’enthousiasme ?

Il n’était pas enthousiaste, c’est vrai, mais il n’était pas négatif non plus. Il m’a déjà rappelé le lendemain pour me dire qu’il avait réfléchi à la proposition. Il ne pouvait pas se retirer, car il s’était déjà trop engagé vis-à-vis des fédérations et confédérations. Je lui ai répondu que je le comprenais, mais que ce n’était pas raisonnable et que j’essaierais de réunir assez de soutien.

Qu’est-ce que Blatter a fait de bien ?

Il a pris de nombreuses bonnes décisions et est, en outre, l’initiateur des projets Goal. Je sais aussi qu’il s’est souvent opposé à certaines décisions. On ne peut pas tout mettre sur le dos de Blatter. Il y a aussi un Comité exécutif.

Dont la moitié des membres ont disparu, ces dernières années. Le président n’en est-il pas politiquement responsable ?

Ce sont des personnes pour lesquelles on a pu prouver qu’elles avaient reçu de l’argent ou qu’elles avaient agi en contradiction avec les statuts de la FIFA. On ne peut pas en faire le reproche à Blatter. Le président est le seul membre élu du Comité exécutif. Tous les autres ont été proposés par les confédérations. Je regrette seulement qu’il n’ait jamais frappé du poing sur la table. Il aurait dû dire : j’ai entendu, de Messieurs Dupont, Durand et Janssens, qu’il s’était passé ceci et cela. Je ne veux plus collaborer avec ces personnes, proposez-moi des gens intègres.

 » Il faut revenir à la normalité  »

Qu’entendez-vous changer si vous devenez président de la FIFA ?

Nous devons revenir à la normalité. Il faut réaliser de grosses économies. Je ne donnerai qu’un exemple parmi d’autres : l’an passé, la FIFA a consacré 20 millions d’euros à un film de Hollywood. C’est notre argent à nous, celui des fédérations. Sous ma direction, ce serait impensable. Ou alors, avec l’accord de toutes les fédérations. Il faut changer la culture de la FIFA. De nombreuses personnes qui y travaillent actuellement, devraient choisir : s’adapter à la nouvelle culture ou partir. Le personnel doit aussi être réduit. La FIFA doit être plus proche de ses sous et cela signifie que des mesures impopulaires doivent être prises.

Finis, les vols en première classe et les chambres au Copacabana Palace ?

Il faut devenir plus sobre. Je vais donner un exemple. Ces dernières semaines, en raison de l’assemblée générale de la fédération, j’ai fait deux allers-retours vers le Paraguay. A chaque fois, 18 heures de vol. Lorsqu’on a un long vol et qu’on doit directement se mettre au travail le lendemain, je peux comprendre qu’on voyage en classe business. Mais sur le vol reliant Asunción à São Paulo, j’étais assis à la rangée 20, en classe économique. En ce qui concerne les hôtels, on pourrait aussi prendre une étoile en moins. On le fait déjà à l’UEFA et c’est tout aussi confortable. Continuer comme on le fait aujourd’hui, c’est exagéré. Ce n’est plus de ce temps. Le plus important, c’est de clarifier la provenance de l’argent. Il faudra couper de manière draconienne dans les dépenses, afin de pouvoir soutenir plus de projets et de pouvoir en même temps distribuer plus d’argent aux différentes fédérations. Nous venons de recevoir un bonus. Pourquoi celui-ci est-il de 750.000 euros par pays ? Un demi-million de plus que la normale. Pourquoi un demi-million ? Pourquoi pas 400.000 ou 800.000 euros ? On ne nous le dit pas. Je veux impliquer tous les présidents des confédérations. Cela ne peut plus être un one man show, comme c’est le cas aujourd’hui. J’ai prévu, dans mon programme, un board des présidents. Beaucoup trop de pouvoir est concentré dans les mains d’une seule personne. Les présidents des confédérations devraient se réunir cinq fois par an pour prendre, ensemble, les décisions les plus importantes.

Sous Blatter, comme vous l’avez-vous-même précisé, la FIFA a perdu toute crédibilité. Chacun est d’accord sur ce point. Pourtant, plus de la moitié des fédérations lui ont déjà apporté leur soutien. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans le monde du football ?

Bonne question. Ce soutien a été apporté à un moment où on n’était pas encore certain qu’il y aurait d’autres candidats. Cela peut jouer un rôle. Pour le reste, je n’ai pas de réponse. On l’apprécie pour tout ce qu’il a fait. D’énormes sommes d’argent sont également versées aux fédérations. Aujourd’hui, il y a trois candidats. Je suis aussi curieux que vous de voir comment tout cela se terminera. Après, nous devrons encore une fois nous réunir pour examiner ce qui ne tourne pas rond dans le monde du football. En ce moment, c’est bien de constater que de nouvelles voix s’élèvent, que des vents contraires soufflent. Je viens à peine de commencer. Beaucoup de fédérations sont ouvertes au changement. Je suis sûr que beaucoup de personnes sont prêtes à encore réfléchir.

 » Quatre ans de plus avec Blatter, et on va droit dans le mur  »

L’Asie et l’Afrique vont voter en bloc pour Blatter.

Dans cette partie du monde, finalement, chacun doit faire son propre choix. Cela peut toujours engendrer des surprises.

La clef se situe en Afrique. Aussi longtemps que Blatter aura le soutien de ce continent, il sera indéboulonnable.

Je vais rendre visite à de nombreuses fédérations et je rencontrerai aussi Monsieur Issa Hayatou, le président de la Confédération Africaine de Football. Je lui parlerai en français et je lui expliquerai qu’il n’est pas dans l’intérêt de la FIFA que Blatter continue après tout ce qui est arrivé.

Cela sert-il à quelque chose ? Hayatou a été accusé de corruption par la BBC et s’est fait taper sur les doigts par le CIO parce qu’il avait accepté de l’argent du bureau de marketing ISL.

J’entamerai la conversation à visière découverte. Ce n’est pas une question de personnes. Il n’y va pas de l’avenir de Blatter, ni de celui de Van Praag. Il y va de l’avenir de la FIFA et du football. Aux Pays-Bas, certaines personnes me demandent : comment est-il possible que la KNVB reste membre d’une telle organisation ? On est obligé de rester membre, sinon on ne peut plus disputer de matches internationaux. La seule solution, c’est d’apporter du changement à la FIFA. Si nous continuons encore quatre ans avec le même président, la FIFA ira droit dans le mur. On voit déjà de nouveaux problèmes qui surgissent. Un contrat a été signé avec Fox pour les droits de télévision de la Coupe du Monde 2026, alors qu’on ne sait pas encore où elle sera organisée. Ce n’est pas une manière normale de procéder. Il se passe toutes sortes de choses. Ce n’est plus possible.

Michel Platini ne vous a pas encore apporté son soutien. Ne trouvez-vous pas cela étrange ?

Honnêtement, je préfère cela. Je ne suis pas le candidat de l’UEFA, mais de la KNVB. Toutes les fédérations, dans le monde, ne sont pas unanimement positives au sujet de l’UEFA. L’Europe est riche et arrogante, et s’approprie les meilleurs joueurs.

Blatter est heureux d’avoir trois adversaires.

Dans la phase actuelle, c’est bien que LuisFigo et Ali essaient de convaincre les gens que le changement est nécessaire. Si nous y parvenons, il reste la question de savoir à qui de nous trois incombe la tâche d’apporter ce changement. Au final, il ne pourra y avoir que deux candidats : Blatter et l’un de nous. Fin avril ou début mai, nous devrons nous réunir à trois et regarder comment nous pouvons arriver à ne plus former qu’un seul candidat. Avec quatre candidats, les voix seraient trop dispersées. Cela conduirait à notre perte.

 » Mon signe astrologique est la balance. J’aime l’harmonie  »

Pourquoi est-ce vous qui devriez être l’adversaire de Blatter ?

Je suis un président de fédération, l’un d’eux. Je ressens ce que les collègues que je dois convaincre ressentent. La KNVB est une petite fédération et les Pays-Bas forment une vraie nation de football. Nous sommes réputés pour la formation de jeunes joueurs et nous aidons d’autres fédérations à former leurs entraîneurs. Nous sommes toujours ouverts à chacun.

La plupart des observateurs estiment qu’une sorte de deus ex maquina sera nécessaire pour déboulonner Blatter, comme l’enquête du FBI. Espérez-vous aussi qu’un coup de tonnerre vienne du ciel ?

Je compte exclusivement sur le bon sens de mes collègues présidents. Ils ont exactement les mêmes problèmes que nous et je pense que je peux les résoudre. Nous ne savons même pas quel est le but de l’enquête menée par le FBI. On entend toutes sortes d’histoires. Je pense qu’il s’agit simplement d’une fraude fiscale présumée de ChuckBlazer, qui fut membre du Comité exécutif pendant un moment. Le FBI veut savoir si de l’argent de la FIFA a abouti dans ses poches. Si cet argent n’a pas été renseigné au fisc, la FIFA a aussi un problème. Ce n’est pas plus que cela, ai-je cru comprendre. Il est possible que ce rapport ne soit rendu public qu’en décembre. Ce serait naïf de compter là-dessus. On surestime l’influence du rapport du FBI sur l’élection. Personnellement, en tout cas, je n’en tiens pas compte.

Si Blatter est réélu, l’UEFA sera- t-elle en porte-à-faux avec la FIFA ?

Il faut poser cette question à Platini. En tant qu’ancien membre du Comité exécutif, je suis impliqué dans les grandes lignes, mais j’ignore ce qu’il se passe au jour le jour. Personnellement, je ne suis pas partisan d’un affrontement. On s’éloigne alors des autres fédérations et on perd quatre ans. Mon signe astrologique est la balance. J’aime l’harmonie.

PAR FRANÇOIS COLIN

 » Sepp Blatter est à la tête de la FIFA depuis 17 ans et a fait de bonnes choses. Contrairement à beaucoup d’autres, je ne le rejette pas. Il mérite de partir avec les honneurs. Mais il doit partir.  »

 » L’an passé, la FIFA a consacré 20 millions d’euros à un film de Hollywood. De l’argent pompé aux fédés. Avec moi, ce serait impensable.  »

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