Fin du festival à Cannes

L’ex-Anderlechtois joue actuellement en National, à Cannes, après avoir été un ténor européen.

On inspire un bon coup avant d’énumérer ses surnoms : Hulk, Honza, Tor-Monster, Langer Lutatsch, Dino, Elefante, Girafe… On interdit à ses enfants d’employer certains de ces mots mais Jan Koller les a tous entendus dès qu’il a eu 3 ans, comme si sa stature (2.02 m) ne lui valait pas d’autres qualificatifs. Et pourtant, durant toute sa carrière, sa gentillesse et son esprit collectif ne lui ont valu que des compliments. Il a du style quand, vêtu de jeans à la dernière mode, de chaussures blanches et d’un large t-shirt blanc, il extirpe son long corps de son Audi A3 bleue, chewing-gum en bouche. Tout va bien. Jusqu’à l’oral.

Dès ce moment, Koller affronte à nouveau son problème face aux langues étrangères. Il explique péniblement, en style télégraphique allemand, comment, après une riche carrière, il a atterri en D3 française, à l’AS Cannes :  » Monaco et Nice, Ligue 1, et Cannes, Ligue 3 : fin d’année, j’ai discuté pour jouer mais Monaco travaille avec des jeunes et Nice n’était pas intéressé. En décembre, Lokeren m’a téléphoné. « 

Koller pilote sa voiture de l’aéroport de Nice vers Cannes. Sous les platanes encore dénués de feuilles, quelques vieillards disputent une partie de pétanque sous le soleil printanier.  » On me demandait de dépanner Lokeren pour six mois mais ma famille réside maintenant à Monaco et c’était trop loin. Je garde peu de contacts avec les gens de Lokeren et d’Anderlecht. Parfois, les Tchèques m’appellent, comme Jan Polak avant qu’il ne signe à Anderlecht… « 

Vous vous souvenez de vos débuts à Lokeren ? Tout le monde doutait de vos chances de réussite. Vous trébuchiez trop souvent.

Jan Kolleréclate de rire : C’était tout un changement ! C’était la première fois que je jouais en dehors de la Tchéquie et j’avais encore tout à apprendre. Jusqu’à mes 15 ans, j’ai joué pour le seul plaisir, sans véritable entraînement, mais Willy Reynders a beaucoup travaillé avec moi et m’a insufflé confiance.

Cela vous a ouvert le chemin d’Anderlecht, où vous avez formé avec Tomasz Radzinski un duo d’attaque légendaire. Quel regard portez-vous sur cette période ?

Je n’ai plus jamais formé de duo semblable. Tomasz est un des meilleurs avants avec lesquels j’ai joué. Amoroso, à Dortmund, avait une mentalité différente, plus égoïste. Il ne pensait qu’à marquer. Ma collaboration avec Tomasz était idéale, collective car il y avait aussi Pär Zetterberg, Walter Baseggio et Bart Goor derrière. Nous avons vraiment bien joué.

Lokeren et Anderlecht s’affrontent ce week-end. Auquel souhaitez-vous la victoire ?

Unentschieden. Nul. Anderlecht joue pour le titre et Lokeren pour le maintien donc disons un match nul.

Une haine inconnue

Quand vous avez débuté, difficilement, à Dortmund, Reynders a déclaré :  » Je pense que Dortmund ne sait pas encore comment l’utiliser. Amoroso est toujours servi dans les pieds alors qu’on envoie des hauts ballons à Jan, qui ne sait qu’en faire. « 

J’ai vraiment dû m’y faire. C’était un tout autre football. J’ai de nouveau dû apprendre des tas de choses. Dortmund était un grand club d’Europe. La langue était différente. A Monaco, par la suite, j’ai appris un peu de français mais j’ai tout oublié quand je suis parti en Russie.

Quand on parcourt votre dossier de presse, on peut s’étonner que vous ayez été joueur en Allemagne. Dans une interview accordée le 22 mars 2000, vous nous avez confié :  » Je n’aime pas les Allemands. Leur mentalité ne me plaît pas. « 

(Il rit) Lokeren et Anderlecht ont été chouettes mais Dortmund est devenu mon club. L’école néerlandaise de van Marwijk était bonne. On jouait au ballon. Avec Matthias Sammer, c’était l’école allemande, avec beaucoup de course sans ballon, de la tactique, mais c’était sympa aussi. Il y avait 80.000 personnes dans le stade et j’y suis toujours le bienvenu.

Vous avez toujours souligné votre attirance pour l’Angleterre. Pourquoi n’y êtes-vous pas allé ?

Après Anderlecht, j’avais le choix entre Fulham et Dortmund mais le Borussia jouait la Ligue des Champions… Choisir entre Dortmund ou Liverpool, là, j’aurais sans doute réfléchi ! Il y a deux ans, avant de signer à Samara, j’ai eu une offre de Birmingham. Si j’avais été plus jeune, j’aurais sans doute accepté mais c’était plus difficile pour ma famille.

Vous avez ensuite rejoint Monaco, avec un succès mitigé.

L’ambiance était négative, égoïste. Beaucoup de joueurs ne pensaient qu’à eux. Moi, je joue pour l’équipe et ça ne m’a pas plu. Mais Monaco n’a pas été une expérience ratée.

Laszlo Bölöni était comment ?

Je n’ai eu aucun problème avec lui, contrairement à certains. Les médecins et le staff technique devenaient fous car il se mêlait de tout. Il était le grand patron.

Monaco a certainement été plus agréable que Nuremberg ?

Ce fut épouvantable ! Nuremberg est la seule erreur de ma carrière.

Hans Meyer vous a d’abord qualifié d’assurance-vie pour le maintien du club mais son successeur, Thomas von Heesen, a bien dû constater que vos supporters vous sifflaient. Il a dit que vous étiez blessé émotionnellement, ajoutant n’avoir jamais vécu pareille haine. Avez-vous vraiment souffert ?

Nous étions derniers à l’issue du premier tour. J’avais inscrit neuf buts en huit matches et Meyer, qui m’avait embauché, a été limogé. Le tournant a été le match à Dortmund. Les supporters m’ont réservé une chaleureuse ovation et je les en ai remerciés mais cela n’a pas plu aux fans de Nuremberg. Oui, cela m’a fait de la peine. Nous avons été battus par Schalke et nous avons été rétrogradés. C’était ma faute… Les supporters ont bloqué l’entrée du stade. Les Allemands avaient bien joué mais Koller et les Tchèques ont été incriminés de tous les maux. J’étais sous contrat pour deux saisons encore, mais j’ai compris que je ne pouvais plus jouer là. J’habitais à Nuremberg mais après ce match, j’ai roulé 200 kilomètres jusqu’en Tchéquie. Je ne voulais plus voir Nuremberg.

Vous avez alors signé pour Samara ?

Je comprends le russe, l’ayant appris comme deuxième langue à l’école et l’équipe formait un chouette groupe, qui incluait les femmes. J’y étais très bien. J’ai joué en coupe d’Europe mais les déplacements étaient longs. Il fallait parfois douze heures de vol pour jouer 90 minutes à Vladivostok et encore douze heures pour revenir. Et il y avait huit heures de décalage horaire. En fait, une heure de plus et on était au Japon ! Mais il y a eu des problèmes graves lors des six derniers mois.

Le club était très ambitieux mais le propriétaire a jeté l’éponge, les joueurs n’ont plus été payés. Des intérêts politiques étaient en jeu et le match contre Grozny….

(Il nous interrompt). Je ne l’ai pas joué.

… ce match a été perdu bizarrement et les journaux ont soupçonné qu’il avait été acheté.

Je n’ai pas joué, je ne sais rien et ne veux rien savoir. Le club me doit encore beaucoup d’argent, comme aux autres joueurs. L’affaire n’est pas clôturée. Nuremberg attend d’ailleurs encore une partie de la somme de mon transfert.

Le miroir aux alouettes

Les pics enneigés des montagnes se reflètent dans la mer bleue azur. Cannes est un miroir aux alouettes, comme certains, critiques, le prétendent. Mondaine et agitée en été, paisible et… mondaine à la fin de l’hiver. Cannes est privé de nombreuses rentrées et l’économie locale hiberne. Les habitants ont hâte de voir revenir les touristes mais pour ceux qui ont les moyens d’y vivre, c’est le paradis. Une bouteille de Bailly Côtes de Provence 2009 est échouée sur le sable, vide. Les sièges sont abandonnés, sauf par une femme qui offre son visage aux faibles rayons du soleil, à la terrasse. Le patron du café accueille chaleureusement Koller.

Un homme, supporter de Cannes depuis trente ans, s’approche :  » J’ai joué avec le père de Pavel Kuka et Jan a connu celui-ci. C’est sympa, non ? »

Cannes, qui accueille chaque année le prestigieux festival de cinéma, choie ses vedettes. La baie qui abritait jadis les bateaux romains des tempêtes est le théâtre d’un défilé d’hélicoptères et de jets privés.  » J’ai un appartement à Monaco. Mes deux enfants vont à l’école ici et parlent français « , explique Koller.  » J’ai commencé à skier. J’adore ça. Quand nous avons des loisirs, nous allons skier en famille. En une demi-heure, nous sommes dans les Alpes. « 

Il vient d’être suspendu pour quatre matches suite à une carte rouge, contre Evian, le leader de la D3. Ceux qui ont vu la phase sont unanimes : l’arbitre a voulu se faire valoir.  » En D1 ou en D2, je n’aurais pas reçu de carte rouge et dans le pire des cas, j’aurais été suspendu pour un ou deux matches « , soupire Koller, qui a presque purgé sa suspension. Le dimanche suivant, il affrontait les anciens internationaux qui ont été champions du monde et d’Europe en 1998 et en 1984. Parmi eux, notamment, Platini et Papin.  » Je joue avec les internationaux étrangers : Pavel Nedved, George Weah, Paolo Maldini. Je suis le seul à être encore actif « , sourit-il.  » Et je me sens encore capable d’évoluer au plus haut niveau. J’ai suscité l’intérêt de clubs de Ligue 1. Si je le veux, je peux aussi jouer pour trois clubs russes ou retourner en Tchéquie, à Hambourg même, au Qatar ou en Chine mais je n’en ai plus envie. Ma carrière a été réussie mais le football de haut niveau ne me motive plus. Je suis satisfait de Cannes. C’est un bon club, qui travaille comme une formation de L1. Le stade et les infrastructures sont bons. Il n’y a pas si longtemps que Cannes a quitté l’élite et ça se remarque. Zinédine Zidane a joué ici en début de carrière et j’aimerais aider ce club à monter en Ligue 2. Ici, on joue calmement, sans stress. « 

Il aimerait aussi retourner à Smetanova Lhota, son premier club, dans son village natal :  » Mon frère y joue toujours, de même que mon meilleur ami, mais ils devront attendre encore quelques années. Je suis lié ici pour une saison encore puis on verra bien. « 

Au stade, des enfants courent derrière la voiture. La modestie et la gentillesse de Koller sautent aux yeux. Quelques gosses plus âgés sont installés dans la tribune et observent le Tchéque dans un petit match. Alors que les défenseurs le marquent à la culotte, il réalise une passe croisée comme s’il était seul, dans la foulée de l’ailier qui est monté, mais qui ne doit même pas dribbler : devant lui, il n’y a personne. Le champ est libre, ses adversaires étaient trop occupés par Koller…

« A Monaco, Bölöni rendait beaucoup de monde fou. »

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