© INGE KINNET

Fin de saison

Le coach nous a proposé ce match amical la veille et on a accepté parce que: que faire d’autre un mercredi soir? Nos copines et nos gosses ont attendu toute la saison qu’elle se termine et voilà qu’on se charge de la prolonger au maximum. Le prétexte, c’est qu’on va tester deux ou trois transferts potentiels pour la saison prochaine. Mais une fois sur place, quand on a fait plusieurs fois le tour du patelin parce que l’adresse sur internet était erronée, le coach nous annonce que finalement il n’y a personne à tester. Bah merde, on n’est que dix, alors le coach enfile un short trop court et deux chaussettes dépareillées. Il vient trottiner avec nous pour s’échauffer, une clope fourrée sous la lèvre. Il fait la tactique en même temps, elle se résume à « bon les gars, chacun sait ce qu’il doit faire et on se retire le bâton du cul, y a pas de vache en or à la clé ». Je paraphrase pas, c’est exactement ce qu’il dit. Ça vaut tous les diplômes d’entraîneurs du monde. La preuve, le mec a rempilé pour la saison prochaine et tout le monde est content. Chez nous, on aime les choses simples.

C’est fou comme on est nuls, hein?

Au moment où on touche le ballon, avec les pissenlits qui nous caressent les chevilles avant qu’on les bouffe par la racine, on parle du nouveau champion de Belgique. À mon grand étonnement, presque tout le monde est soulagé que ce ne soit pas l’Union qui l’ait emporté. « C’est une belle histoire, ils auraient mérité tout autant mais on aurait été ridicules en Europe. » Comme si on ne l’était pas chaque année, en vérité. « Et puis Bruges le mérite, au fond. » J’acquiesce. « Ils ont été au pic de leur forme au meilleur moment, ça s’est joué à l’expérience. » Je ne saurais mieux dire. Il y a un drôle de consensus, jusque Sam. « L’expérience mon cul, la chatte, ouais. » Sam me rappelle qu’un bon moyen de prolonger l’intérêt de sa saison quand on est supporter du Standard, c’est de cracher son venin sur toutes les équipes à avoir fini au-dessus d’eux. Ça en fait un paquet, donc ça en fait de l’amertume.

On ramasse 1-7 et Alex est anormalement heureux d’avoir marqué un but qui n’a même pas servi à masquer notre médiocrité. Le coach revient dans le vestiaire avec son mégot entre les dents et nous offre un bac. On est tous vraiment contents qu’il rempile pour un an. L’ambiance est plutôt détendue parce que pas d’enjeu, le supplice est terminé, il fait beau et Coco vient de nous envoyer une photo de son nouveau-né. D’une réplique lapidaire, Ju mentionne quand même à quel point on est nuls. Je me souviens de ses mots précis car ils sont sortis sur le ton d’une évidence et d’une bonne humeur déconcertante. Sans vulgarité, sans reproche, bras ballants. « C’est fou comme on est nuls, hein? » et on s’est tous félicités d’avoir un coéquipier si lucide, qui parvenait à mettre des mots simples sur des choses simples.

À la buvette, on a bu une cagnotte devant la finale de l’Europa League, puis une autre devant la prolongation. Le coach adverse nous a remercié chaleureusement d’être venus jouer chez eux. Il nous a dit merci plusieurs fois au point que je me suis demandé si quelque chose nous échappait. Le président a offert le verre du club puis ils nous a fait goûter deux digestifs de la maison en nous remerciant encore. Rien ne nous échappait, ils étaient juste sympathiques.

Les deux équipes se mélangeaient, discutaient, rigolaient, refaisaient le match, faisaient claquer les verres et criaient « santé ». On était peut-être nuls, mais qu’est ce qu’on était beaux. La télé diffusait la séance de tirs aux buts, y avait un boucan monstre dans la buvette mais à chaque tir transformé, je pouvais entendre Sam se murmurer à lui-même: « Putain, quelle chatte! » Il va être long l’été, j’ai pensé. Et dire qu’au Standard, ça fait un moment qu’il a commencé.

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