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Fin de règne de Bruno Venanzi : voici les coulisses de la revente du Standard à 777 Partners

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Débutée par une recherche de partenaires, la fin de règne de Bruno Venanzi à Sclessin aura débouché sur une revente totale du Standard. Chronique de longs mois de quête et d’incertitudes, des riches Liégeois aux impersonnels fonds d’investissement américains, sur une route jonchée de boucs émissaires et surplombée par les vautours.

La dernière danse s’achève par une pirouette. Un demi-tour en plein envol qui ramène bien des pieds sur terre. Si la réaction du public est variée, les grincements de dents issus des coulisses sont au diapason. Dans les couloirs de Sclessin, on se dit que Bruno Venanzi a remis ça. Une volte-face inattendue qui fait la Une des journaux, une de plus, comme épilogue d’un règne de plus en plus tumultueux. Alors que John Chayka, figure de proue d’un consortium d’investisseurs nord-américains, affichait en privé sa confiance de devenir le nouvel homme fort du Standard, le président des Rouches a finalement opté pour un avenir sous la bannière étoilée de 777 Partners. Le vendredi 11 mars dernier, peu avant minuit, le site internet du club fait retentir le coup de sifflet final de près de deux ans d’incertitudes.

Le milliardaire russe Serguei Lomakin et sa poignée d’associés ont longtemps fait figure de piste privilégiée avant que la transaction ne devienne impossible.

C’est avec le printemps de l’année 2020, à l’heure d’un championnat mis à terre par la crise sanitaire, que les premiers doutes s’installent. Il se dit alors que le Standard s’est montré trop gourmand lors de l’été précédent, et que seuls de spectaculaires transferts sortants ou une place en Ligue des Champions peuvent rééquilibrer les comptes. Il n’y aura ni l’un ni l’autre. Seulement des problèmes. « C’est à partir de la fin de cette saison qu’on a commencé à rencontrer des difficultés sportives et financières », concède Bruno Venanzi en novembre dernier dans une interview accordée à la DH. « On a fait des mauvais choix et on n’avait pas de réserve. »

En coulisses, la quête d’un partenaire financier est alors lancée. Elle commence discrètement, par des rendez-vous autour d’une bonne table avec de riches entrepreneurs de la région et des invitations voilées à embarquer à bord du vaisseau rouche. Pendant ce temps, le club maintient la tête hors de l’eau en vendant tantôt son stade à une société imaginée par son président, tantôt ses droits télévisés pour les percevoir plus rapidement, tantôt de jeunes talents prometteurs pour renflouer les caisses. Tout en confiant la mission à Benjamin Nicaise, puis à Alexandre Grosjean d’alléger une masse salariale ayant atteint des plafonds déraisonnables lors du dernier mandat de Michel Preud’homme.

Empêtré dans le dossier Edmilson, le Standard a choisi de vendre Ameen Al-Dakhil au STVV pour calmer les Canaris et faire le ménage avant la revente.
Empêtré dans le dossier Edmilson, le Standard a choisi de vendre Ameen Al-Dakhil au STVV pour calmer les Canaris et faire le ménage avant la revente.© BELGAIMAGE

LES PARTENAIRES LOCAUX

Quelques semaines mouvementées plus tard, le salut semble avoir été trouvé en Cité Ardente. François Fornieri, initialement contacté par Bruno Venanzi pour intégrer l’Immobilière du Standard de Liège, monte carrément à bord du club en tant que futur coadministrateur-délégué. Une arrivée attendue qui alimente inévitablement le fantasme d’un retour de Luciano D’Onofrio, chef d’orchestre du Standard des années 2000 et proche allié de toujours du fondateur de Mithra. Alors impliqué à l’Antwerp comme bras droit de Paul Gheysens, on raconte dans son entourage que le Don ne déborde pas d’enthousiasme à l’idée de ce retour en Principauté, même s’il ne cessera jamais vraiment de rôder autour du dossier de la reprise du club. En septembre dernier, soit un peu moins d’un an après l’annonce de la rupture de l’accord entre Fornieri et Venanzi, D’Onofrio serait ainsi revenu à la charge auprès du président des Rouches, avec une promesse financière de vingt millions à la provenance inconnue. Une tentative de rapprochement balayée d’un revers de la main par Venanzi.

C’est à la même période que le président rouche, toujours les mains vides dans sa quête de partenaire, demande l’aide du cabinet de consultance PwC. Pas seulement dans l’espoir d’y trouver un associé, mais aussi en ouvrant pour la première fois la porte à l’hypothèse d’un repreneur. Même l’Immobilière du Standard de Liège, vue comme un frein par une bonne partie des investisseurs potentiels, pourrait entrer dans le deal. Ceux qui ont acheté des actions au sein de la société censée préparer le futur du site de Sclessin sont ainsi avertis qu’en cas de revente anticipée, ils seront dédommagés avantageusement.

En examinant d’abord le portefeuille des Belges, PwC frappe presque logiquement à la porte de la famille Lhoist. Le groupe, leader mondial dans la production et la vente de chaux et dolomie, est assis sur un trésor de guerre proche des deux milliards d’euros. Surtout, il est impliqué dans le football, presque en toute discrétion, dans le club namurois de Rochefort – en lutte pour les premiers rôles en D3 amateurs – et certains membres de la famille sont d’ardents supporters du Standard. Déjà sondés par la direction rouche en plein décollage de la crise sanitaire, contactés directement par Bruno Venanzi suite aux conseils de PwC, les Lhoist déclinent poliment, trop attachés à leur quiétude familiale. Un souhait de discrétion incompatible avec la surexposition médiatique que supposerait un atterrissage à Sclessin. Un refus en forme de coup dur pour Venanzi, qui n’hésitait jamais à confier en privé que la famille Lhoist constituait, à ses yeux, le « candidat idéal » pour reprendre le Standard.

L’OUVERTURE DES FRONTIÈRES

Sujette aux réticences du grand patron des Rouches jusqu’alors, l’arrivée de capitaux étrangers n’est plus un tabou. Peut-être parce qu’elle est la seule option pour sortir d’une situation complexe, encore rendue plus difficile par une forme sportive sans cesse déclinante. Alors que Luka Elsner tente tout ce qu’il peut pour redresser la situation au classement, allant jusqu’à laisser au vestiaire ses habitudes de coach proche des joueurs pour enfiler le masque d’un entraîneur parfois bouillant et autoritaire, Bruno Venanzi cumule les fonctions au fil des têtes qu’il coupe. Surtout, il passe son temps à soigner les apparences. Un désir de faire bonne figure malmené lors de la visite du milliardaire russe Serguei Lomakin et sa poignée d’associés, invités à Sclessin au début du mois de décembre pour y découvrir la chaude ambiance d’un choc wallon.

La demande de garanties supplémentaires de la part des Canadiens acrispé Bruno Venanzi, qui a mis fin aux négociations.

Le Standard s’effondre face à Charleroi, la révolte du public semble brûler les doigts des projets d’un Bruno Venanzi calmement retranché dans le restaurant du stade en attendant que l’orage se calme et que sa voiture soit mise à l’abri, mais les Russes ne sont pas échaudés. Longtemps, ils restent même les candidats favoris du président. Les moyens financiers sont impressionnants, et la société Total Sports Investments LLP est mise entre les mains de l’ancien défenseur du Real Madrid Michel Salgado pour les matières footballistiques. Déjà à la tête des Chypriotes du Pafos FC et d’un club letton basé à Riga, le groupe de Lomakin s’intéressait également à l’AS Saint-Étienne, dans l’optique de bâtir un réseau de clubs dont le Standard aurait fait partie. Même après l’éclatement du conflit avec l’Ukraine, la piste russe semble avoir un temps gardé la corde, jusqu’à ce que la transaction devienne impossible.

À Sclessin, on a longtemps cru à l'arrivée de François Fornieri, ici à la droite de Bruno Venanzi. Il n'en sera finalement rien.
À Sclessin, on a longtemps cru à l’arrivée de François Fornieri, ici à la droite de Bruno Venanzi. Il n’en sera finalement rien.© BELGAIMAGE

L’hypothèse de l’intégration à un réseau de clubs ne s’est toutefois pas envolée suite à l’évaporation d’un accord potentiel avec Lomakin. Ainsi, le roi des datas Rasmus Ankersen, fondateur du modèle qui a emmené les Danois de Midtjylland vers la Ligue des Champions et le club de Brentford jusqu’à la Premier League, s’est un temps penché sur la situation du Standard. Désormais lié au magnat serbe des médias Dragan Solak, propriétaire de Southampton depuis le mois de janvier dernier, Ankersen imaginait bien les Rouches intégrer le réseau que souhaite bâtir la société Sport Republic, imitant le modèle mis en place par Manchester City.

Un contact éphémère, là où 777 Partners s’est rapidement montrée bien plus concrète. S’ils n’ont pas pris place dans les gradins de Sclessin, contrairement aux autres candidats de la dernière short list de Bruno Venanzi, les Américains ont atterri à une petite dizaine dans la Principauté pour visiter les moindres recoins de l’Académie, prendre la température du club des bords de Meuse. Juste le temps de marquer les esprits liégeois par le professionnalisme et le sérieux de leur structure.

LE PROJET JKC

S’ils n’ont émergé que sur le buzzer et à la surprise générale, c’est parce qu’une deuxième piste née de l’autre côté de l’Atlantique semblait avoir les faveurs de Bruno Venanzi après l’abandon du dossier russe. Le 23 janvier dernier, pendant que les hommes de Luka Elsner mènent la vie dure à des Brugeois sauvés par un doublé de Bas Dost, l’Américain Jared Porter et le Canadien John Chayka assistent au spectacle depuis les meilleurs sièges d’un Sclessin vidé par les restrictions sanitaires.

Dans le sport américain, les deux hommes se sont bâtis une réputation élogieuse, ensuite écornée par des suspensions. Étoile montante de la NHL grâce à un profil résolument tourné vers les datas, plus jeune general manager d’une franchise de hockey sur glace, John Chayka a vu son ascension interrompue par une suspension pour non-respect des règles de la ligue. Quant à Jared Porter, il était devenu directeur général des Mets, prestigieuse équipe de base-ball de New York, depuis un mois à peine quand les révélations de harcèlement sexuel par message à l’égard d’une journaliste quelques années plus tôt ont brutalement mis un terme à son rêve américain. Grillés en Amérique du nord, les deux hommes voient dans la situation des Rouches l’opportunité de vivre de leur passion du sport en se dévouant au soccer. Ils se rassemblent, en compagnie de quelques autres investisseurs, sous la mystérieuse bannière de JKC Capital.

Contrairement à leurs concurrents, ce n’est pas par l’intermédiaire de PwC que ceux que, dans les couloirs de Sclessin, on appelle « les Canadiens » sont arrivés jusqu’au bureau de Bruno Venanzi. Déjà à la manoeuvre lors de la vente d’ Hugo Siquet à Fribourg, bouée de sauvetage bienvenue pour les comptes du Standard, l’agent Kristof Vandersmissen est à l’initiative du rapprochement entre le duo Chayka-Porter et le club liégeois. Les deux hommes passent alors quatre jours dans la Principauté. On les aperçoit dans les allées du SL16 Football Campus ou au bord du terrain pour un match du Fémina, et c’est conquis par le club qu’ils retraversent l’Atlantique avec l’ambition de prendre les rênes du Standard pour lui rendre ses lettres de noblesse.

Déjà propriétaire du Genoa, 777 Partners est toujours en cours de négociations avec Bruno Venanzi.
Déjà propriétaire du Genoa, 777 Partners est toujours en cours de négociations avec Bruno Venanzi.© BELGAIMAGE

LE SPRINT FINAL

Sentant que l’épilogue se rapproche, les Rouches poursuivent alors le grand ménage pour offrir des bureaux les plus propres possible à leurs futurs occupants. Principal caillou dans la chaussure des investisseurs potentiels, l’affaire Junior Edmilson est ainsi résolue au bout du mois de janvier avec le passage d’ Ameen Al-Dakhil vers Saint-Trond pour un montant sous-évalué, compensant en partie la perte subie par les Canaris à l’époque du départ de l’ailier vers le Qatar. Laissé de côté par Luka Elsner, qui lui préfère Noë Dussenne, le défenseur prend la direction d’un Stayen où auraient également été proposés les services des jeunes Nathan Ngoy et Olivier Dumont. Depuis plusieurs semaines, il se dit que Venanzi avançait ainsi en compagnie des décideurs trudonnaires en quête d’une solution pour sortir ce dossier encombrant des placards rouches. Si le retrait de Saint-Trond du dossier n’est pas forcément synonyme de fin des poursuites pour le président du Standard, son club semble désormais à l’abri de conséquences désagréables pour d’éventuels nouveaux propriétaires. Pour le défenseur, titularisé en début de saison par Mbaye Leye, c’est l’opportunité d’un temps de jeu retrouvé après avoir été très peu utilisé, voire négligé par Luka Elsner. Très vite, il réalise que ses perspectives seront plus importantes sous les ordres d’un Bernd Hollerbach qui lui fait comprendre qu’il compte sur lui pour encore solidifier l’arrière-garde limbourgeoise.

777 Partners, déjà actionnaire du FC Séville et propriétaire du Genoa, ne cache pas ses ambitions à l’international: créer une nouvelle et puissante galaxie dans le monde du ballon rond.

Une fois terminé un mercato où il ficelle notamment les arrivées en Cité Ardente de Joachim Van Damme ou Renaud Emond, le président se replonge dans la phase finale du dossier de revente. Absent des tribunes du Pays Noir lors de Charleroi – Standard, où seuls Pierre Locht et Réginal Goreux représentent la direction liégeoise, Bruno Venanzi est alors à Miami. Pas pour négocier avec 777 Partners, pourtant basée dans les avenues de la Porte des Amériques, mais pour rencontrer les investisseurs soutenant la candidature portée par Jared Porter et John Chayka. Un groupe désormais favori à l’approche de la dernière ligne droite puisque les velléités guerrières de Vladimir Poutine ont écarté la piste menant à Lomakin.

Visiblement désireux de rester à bord, l’homme d’affaires liégeois conserverait 25% des parts du club, tandis que Locht est pressenti pour endosser le costume de CEO. Un scénario qui tient la corde jusqu’au coeur de l’après-midi du 11 mars, quand la demande de garanties supplémentaires de la part des Canadiens crispe Venanzi. « Des documents que tout le monde aurait légitimement demandé à consulter », ressort-il d’un proche du dossier. Quelques heures plus tard, dans la soirée, Chayka et Porter apprennent que les négociations sont terminées, et que Bruno Venanzi entre en négociations exclusives avec 777 Partners. Il est alors question d’une revente totale, laissant l’impression à certains employés du club d’un capitaine qui abandonne son navire.

D'abord à la recherche de nouveaux partenaires, Bruno Venanzi se dirige désormais vers une revente totale du Standard.
D’abord à la recherche de nouveaux partenaires, Bruno Venanzi se dirige désormais vers une revente totale du Standard.© BELGAIMAGE

Les Américains, déjà actionnaires du FC Séville et propriétaires du Genoa, ne cachent pas leurs ambitions à l’international. En cours de prise de pouvoir chez les Brésiliens de Vasco da Gama, cité pour la reprise du Red Star parisien, le groupe ne lésine pas sur les moyens pour créer une nouvelle et puissante galaxie dans le monde du ballon rond. Leur fortune colossale leur permet de faire leur marché parmi les hommes de l’ombre des meilleurs clubs de Premier League pour constituer leur future cellule dirigeante. Pour prendre les rênes du Genoa, ils ont débauché le prometteur directeur sportif Johannes Spors, biberonné à l’école Red Bull et à l’origine du nouveau souffle de football moderne installé à Vitesse Arnhem. Il se dit également que le groupe avait contacté Peter Verbeke pour lui proposer de rejoindre leur constellation de clubs en chantier, mais que le nouveau CEO des Mauves a décliné l’offre.

Difficile de savoir, à ce stade, quels seront les projets des nouveaux patrons du club. En bords de Meuse, c’est en tout cas l’incertitude à tous les étages, tous les collaborateurs importants du Standard se demandant de quoi leur avenir sera fait. À l’heure d’écrire ces lignes, les négociations exclusives entre Bruno Venanzi et ses probables successeurs sont toujours en cours. Reste à voir s’ils pourront encore avoir les mêmes exigences que les hommes forts de JKC Capital en matière de transparence. Parce qu’on peut avoir autant de milliards qu’on veut sur son compte en banque, l’argent n’a jamais empêché la peur de tomber nez-à-nez avec un cadavre en ouvrant un placard.

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