Fin de malaise

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Dès maintenant, ça ira pour les Zèbres. C’est les vacances!

Les lourdes défaites à Alost et contre St-Trond ont fait mal à Charleroi. Le noyau était déprimé et démotivé pour préparer le dernier rendez-vous du championnat, à Westerlo. Les Zèbres ont bouclé la saison dans la colonne de gauche. Un bilan d’ensemble positif pour un club dans lequel il y a eu tant de bouleversements depuis un an.

Comment les Carolos ont-ils vécu cette dernière semaine de travaux forcés?

Lundi : quelle ambiance!

L’ambiance n’est pas franchement gaie. Les Zèbres viennent d’encaisser onze buts contre deux équipes qui, il y a quelques semaines, craignaient encore pour leur maintien. « Chaque saison, tous les clubs connaissent des moments de joie et des passages difficiles », explique Dante Brogno. « Chez nous, la fin de championnat est très délicate. Il y a un malaise dans le noyau: ça saute aux yeux. Alost et St-Trond n’étaient pas plus forts que nous, mais ces équipes nous ont balayés: c’est le plus grave. J’ai l’impression que le château de cartes s’est écroulé après la défaite à Alost et que la gifle contre St-Trond découle directement de ce 4-0. J’admire Enzo car il reste serein malgré les problèmes ».

Le manque de motivation est la principale source des soucis du Sporting. Brogno: « Il y a des joueurs en fin de contrat et d’autres qui sont toujours liés au club pour la saison prochaine mais savent qu’on ne compte plus sur eux. Cela explique une partie de nos problèmes. Certains savent depuis le mois de janvier que leur avenir n’est plus chez nous. Nous avons continué à les aligner alors que dans beaucoup d’autres clubs, ceux qui vont partir deviennent réservistes ou ne jouent même plus du tout. Ils nous rendent mal la confiance que nous leur faisons. Lors des deux derniers matches, je n’ai pas vu beaucoup de joueurs qui avaient envie de prouver quelque chose et de rentrer chez eux la tête haute après le coup de sifflet final. Enzo reçoit très peu en retour pour tout ce qu’il donne à ses joueurs. Je comprends qu’il paraisse découragé à certains moments. On supporte bien de prendre un coup dans la figure. Mais quand ça se répète, on finit par être marqué. Le point positif, c’est qu’il a tiré énormément d’enseignements depuis quelques semaines. Sur la mentalité de certains et sur la façon d’aborder le métier d’entraîneur ».

L’entraîneur et l’adjoint du Sporting étaient toujours sur le même pied que leurs joueurs en début de saison. N’est-ce pas un handicap quand il faut se faire respecter?

« Peut-être », reconnaît Brogno. « Mais ce ne sera plus le cas la saison prochaine car il va y avoir un fameux nettoyage dans le groupe ». A Charleroi, la tendance de cette fin de saison est à l’intégration de jeunes promesses. Eputa et Rassart ont eu leur chance contre St-Trond.

« C’est difficile de débuter dans des circonstances pareilles », dit Brogno. « L’ambiance était tellement malsaine et morose qu’ils ne pouvaient pas réussir grand-chose de bon. Et on ne peut pas dire que le noyau leur ait réservé un accueil extraordinaire ».

Mardi : le Sporting reste en D1

Le verdict de la commission de contrôle de l’Union Belge est positif: la cession du patrimoine de l’ancienne ASBL à la Société Anonyme créée par Abbas Bayat s’est faite dans les règles. C’est une première étape dans le processus d’obtention de la licence. « Le dossier a traîné mais c’est normal », explique Maître Tchen, l’avocat du Sporting. « La situation n’était vraiment pas simple. Quand Monsieur Bayat a repris le club, en juillet 2000, la trésorerie était pour le moins préoccupante. La commission de contrôle s’est assurée que différentes dettes avaient été payées: l’ONSS, la TVA, le précompte, les primes de l’assurance-groupe, les dettes fiscales et fédérales. Il a aussi fallu du temps pour analyser toutes les demandes de créances, et je dois dire que certains soi-disant créanciers se sont senti pousser des ailes. Le liquidateur de l’ASBL a reçu des demandes tout à fait farfelues. C’est sans doute le milieu du football qui veut ça! »

Des rumeurs alarmistes ont circulé ces dernières semaines. L’avis positif de la commission de contrôle y met fin. Prochaine étape: l’enregistrement officiel, par le Comité Exécutif de la Fédération, de la cession du matricule 22 à la SA. Ce sera fait ce samedi 19 mai. Le club pourra alors demander sa licence, dernière ligne droite juridique de la saison. L’Union Belge a signalé que tous les dossiers de demande de licence devraient être clôturés pour le 31 mai. Dans le cas de Charleroi, il faudra sans doute attendre quelques jours supplémentaires. Pierre-Yves Hendrickx, le secrétaire-général du Sporting, considère que c’est gagné. « Nous serons convoqués par la commission des licences pour répondre à différentes questions, mais c’est la procédure habituelle ».

Chaudfontaine a contracté un emprunt de 200 millions pour rembourser les dettes de l’ASBL en liquidation. Il y avait des dettes incontestées: elles viennent d’être payées. L’analyse des dettes contestées est en cours, et il faudra attendre ces verdicts pour connaître exactement le passif de « l’ancien Sporting ». Parmi ces dettes contestées, il y a les procès en cours: avec Marjan Mrmic, avec Pall Mall (sponsor du club en fin de saison dernière), avec Michel Bertinchamps (sur le point de quitter La Louvière pour retourner à Charleroi, ce qui mettrait fin au procès).

Hendrickx: « Si nous gagnons en appel contre Mrmic et s’il paye, nous toucherons 15 millions. Si Mrmic gagne, nous devrons payer la même somme. Cela fait une fourchette de 30 millions et il est donc difficile de chiffrer avec exactitude le passif de l’ASBL. La commission de contrôle exigeait que le liquidateur possède assez d’argent pour payer toutes les dettes, incontestées et contestées. C’est fait. Et s’il reste de l’argent après avoir tout payé, cette somme sera versée à la SA ».

La liquidation de l’ASBL arrange pas mal de monde. Notamment tous les clubs qui attendaient leur argent pour des transferts de joueurs au Sporting. Le Standard vient ainsi de toucher sa créance pour le transfert de Remacle, Genk a empoché la somme du transfert de Vangronsveld, et les Espagnols de Lleida ont été payés pour la vente de Dudas. « Tous ces clubs s’impatientaient », conclut Hendrickx. « Mais la loi impose, dans le cas d’une liquidation, de payer tous les créanciers au même moment. Nous ne pouvions donc rien faire plus tôt ».

Mercredi : Enzo pas en question…

Pour ou contre Enzo Scifo?La Nouvelle Gazette a ouvert sa ligne téléphonique aux lecteurs, le mardi entre 10 et 13 heures. Les résultats paraissent aujourd’hui et sont sans équivoque: 77 % des appelants souhaitent que Scifo conserve son poste d’entraîneur.

Morceaux choisis parmi toutes leurs réactions.

POUR: « Les résultats actuels ne sont pas à attribuer à Scifo mais aux joueurs car ils ne nous ont rien montré sur le terrain. La réaction des supporters n’est pas correcte. La présence de Scifo à Charleroi est un honneur, même si la transition s’est mal passée ». « Charleroi a toujours eu des problèmes avec ses entraîneurs. Les meilleurs s’y sont succédé et tous sans succès. Il faut laisser le temps à Enzo de remettre les pendules à l’heure ». « Il faut que les supporters comme les joueurs respectent plus ce qu’il représente et ce qu’il peut apporter. A La Louvière, ils ont fait bloc derrière l’entraîneur. Alors, pourquoi pas à Charleroi? » « Le Sporting a pris beaucoup de points au premier tour car les joueurs se battaient. Au deuxième tour, ils se sont reposés sur leurs lauriers. Certains se croient sortis de la cuisse de Jupiter ».

CONTRE: « Scifo doit abandonner le costume pour le training ». « Scifo ne sera jamais un meneur d’hommes. Il est trop égoïste, il veut rester sous le feu des médias et ainsi se mettre sur un piédestal. Il ne saura jamais se remettre en question ». « Quand il jouait, il dirigeait la manoeuvre instinctivement. Bien souvent, ce type de joueur ne sait pas inculquer aux autres ce genre de gestes innés ». « Scifo manque cruellement d’expérience. Il faut faire revenir Manu Ferrera« . « Il n’a pas sa place comme entraîneur. Dante Brogno assumerait mieux ce rôle, car Scifo fait trop d’erreurs et de mauvais choix ». « Deux hommes qui ont joué dans l’équipe ne peuvent pas avoir assez d’autorité sur leurs anciens coéquipiers ».

Philippe Dewitte, journaliste à La Nouvelle Gazette, commente les résultats du sondage. « Si nous avions ouvert plusieurs lignes, nous aurions reçu plus de 500 appels. Nous nous attendions à des réactions plus partagées. Enzo a manifestement gardé une bonne image auprès des supporters, malgré les résultats catastrophiques du deuxième tour. Les gens l’aiment toujours. Et nous aussi, quoi qu’il en pense… Beaucoup de lecteurs estiment que la mauvaise passe actuelle est due à la mentalité des joueurs. C’est sûrement vrai, mais le rôle d’un entraîneur n’est-il pas de fédérer et de motiver? Les gens disent qu’Enzo est trop gentil: c’est aussi notre avis ».

Les discours de la direction du Sporting échappent à Philippe Dewitte : « On entend maintenant que Scifo ne peut pas faire de miracles, vu qu’il n’a pas constitué lui-même le noyau. C’est un mensonge: il a travaillé au recrutement dès le mois de janvier de l’année dernière et a approuvé tous les choix de Ferrera. La qualité des joueurs, c’est de toute façon un faux problème. Daniel Leclercq n’a choisi personne mais regardez ce qu’il a fait à La Louvière. Un entraîneur doit pouvoir faire avec le matériel qu’on met à sa disposition. Le crédit qu’Enzo reçoit ne se justifie pas, à l’analyse des résultats. A Charleroi, on avait tué Georges Leekens pour beaucoup moins que ça. Ferrera, lui, a été éjecté parce qu’il critiquait ses joueurs. Mais quand Enzo sous-entend que certains de ses joueurs étaient corrompus à Alost, personne ne bouge ».

Jeudi : Bisconti critique ses ex-équipiers

Depuis la déroute d’Alost, Roberto Bisconti est l’un des principaux sujets de conversation à Charleroi. « C’est après ce match-là que tout à pété », dit-il. « Nous sommes dans des conditions idéales pour réussir une bonne fin de championnat: nous n’avons plus rien à gagner ou à perdre, nous pouvons jouer sans aucune pression. Au contraire, nous sommes paralysés. Il y a encore des primes à prendre, mais ça ne semble même pas suffisant pour motiver le noyau ».

Bisconti revient sur l’incident qui l’a opposé à Scifo, à Alost: « Je reconnais que j’ai eu une mauvaise réaction quand il m’a remplacé. Mais je ne pouvais pas accepter qu’il me soupçonne d’avoir levé le pied sous prétexte que je suis resté en bons termes avec Manu Ferrera. Au Standard aussi, j’ai pas mal d’amis. Avant le match qu’ils sont venus jouer à Charleroi il y a un mois et demi, nous avons longuement discuté, mais cela ne m’a pas empêché de me donner à fond. Quand je monte sur un terrain, je n’ai plus d’amis. A la mi-temps à Alost, Enzo nous a dit: -Si j’apprends quelque chose, vous le payerez! Le lendemain, il décidait de m’exclure de l’équipe pour toute la fin de la saison. Sa remarque, je l’ai prise pour moi. C’est compréhensible. Il m’a fait monter en fin de match contre St-Trond et le public m’a sifflé. C’était la première fois que les supporters de Charleroi s’en prenaient à moi. Ça fait mal. J’ai été honnête dès le début avec ce club: j’ai dit que je le considérais comme un tremplin vers l’étranger. Mais je n’ai jamais cherché à salir le Sporting. C’est pourtant ce qu’on me reproche maintenant. D’un côté, je suis content de ne plus faire partie des plans pour les derniers matches car je n’aurais pas pu apporter plus qu’un autre, tellement le problème est profond…

Je me rends compte qu’Enzo vit très mal cette fin de saison. Il n’est pas responsable de ce qui nous arrive. Il faut chercher les fautes du côté des joueurs. Enzo a beau essayer un tas de trucs, ça ne marche pas ».

Vendredi : Defays explique la déprime totale

Au milieu des rumeurs de départs, il y a une bonne nouvelle: Frank Defays, toujours sous contrat à Charleroi jusqu’en 2003, donne sa parole pour une prolongation jusqu’en 2006. « Je suis bien ici. Qui pourrait me garantir que je serais aussi heureux dans un autre club? Le Sporting voulait me faire resigner et j’ai aussi accepté par reconnaissance vis-à-vis d’un club auquel je dois mes débuts en D1. Le président et Enzo Scifo m’ont convaincu qu’ils voulaient construire quelque chose de très intéressant. Ça ne bouge guère pour le moment au niveau des transferts, mais je leur fais confiance. Ils m’ont promis une équipe compétitive pour la saison prochaine. Ils veulent la construire autour de Grégory Dufer et de moi: c’est flatteur d’entendre des discours pareils après seulement deux ans en première division ».

En ce qui concerne les problèmes de cette fin de saison, Defays dit seulement: « On sent que tous les joueurs attendent impatiemment les vacances. L’état d’esprit n’est plus bon du tout et je pense qu’aucun joueur ne fait exception. Nos résultats actuels sont tellement mauvais par rapport à ceux du début de saison, que le moral est trop touché pour encore espérer un sursaut ».

Samedi : Gallinella et ses 75%

Le noyau du Sporting va être fort chamboulé au cours des prochaines semaines. Mais ce sont essentiellement des réservistes qui s’en iront: Olivier Renard, Nikola Jerkan, Sergeï Omelianovitch, Luciano Djim, Jean-François Lecomte, Romuald Petit, Marc Vangronsveld, Pascal Dias. Trois titulaires devraient aussi quitter le club: Dimitri de Condé (toujours sous contrat mais pour lequel toute offre sera examinée), Roberto Bisconti et Bertin Tokéné (encore sous contrat également mais qui est convoité par différents clubs étrangers, dont Monaco).

Deux transferts ont déjà été officialisés: Stéphane Martine, l’attaquant de Virton, et Miklos Lendvai, le médian du GBA. « Martine me fait un peu penser à Didier Beugnies, même s’il évolue plus en retrait », détaille Lucien Gallinella, le manager du Sporting. « Et Lendvai correspond à nos nouvelles priorités: pour venir chez nous, il faut des qualités footballistiques mais aussi mentales. Nous suivons ce joueur depuis pas mal de temps et nous savons qu’il a une mentalité extraordinaire ».

Trois autres transferts devraient être annoncés prochainement. « Nous conserverons près de 75% de l’équipe de base actuelle », continue Gallinella. « Dudas, Remacle, Defays, Dufer, Negouai, Yazdani, Rojas et Eduardo ont suffisamment prouvé qu’ils avaient des qualités. Ils seront toujours au Sporting la saison prochaine. C’est prometteur. Ce n’est pas parce que nos derniers matches ont été très mauvais que le Sporting a raté sa saison. Sur le plan du jeu, on a même constaté une amélioration progressive au deuxième tour ».

Dimanche : se faire voir en vacances

On ne pouvait pas attendre de miracles d’un match entre une équipe qui prépare la finale de la Coupe de Belgique et une autre dont pas mal de joueurs sont complètement démobilisés. Charleroi s’impose finalement 0-1 à Westerlo. Grâce notamment à quatre jeunes qui ont entamé la partie: Boon (un gardien de 17 ans), Quaglia, Rassart et Eputa. De quoi rassurer partiellement les rares supporters qui ont effectué le déplacement et déployé une banderole révélatrice derrière un but:  » Allez tous vous faire voir« …

Enzo Scifo est soulagé au terme de la rencontre: « On part en vacances sur une bonne note. A force de travailler avec des joueurs qui n’en voulaient plus, j’ai fini moi aussi par ne plus me sentir concerné. Je suis vraiment heureux que la saison soit terminée. Aujourd’hui, le résultat n’avait aucune importance. J’ai retrouvé une équipe qui avait envie de jouer et c’est tout ce que je demandais. Les joueurs de Westerlo avaient la tête ailleurs et nous repartons avec trois points: c’est encore mieux. Pour préparer la saison prochaine, je tirerai beaucoup d’enseignements de tout ce qui s’est passé en fin de championnat ».

Pierre Danvoye

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