Fin de déprime

Alors que la Botte se débat dans les problèmes, la Nazionale a répondu présente, malgré un climat ambiant peu optimiste.

Que ceux qui en doutaient sachent que l’Italie n’est jamais morte. En 1982 et 2006, n’avait-elle déjà pas survécu à des scandales avant d’aller cueillir la Coupe du Monde ? Alors qu’on la disait déprimée, à l’image du pays tout entier, suite à la défaite face à la Russie lors du dernier match de préparation, défigurée par les blessures et privée de joueurs de classe, la voilà qui tient tête à l’Espagne, grandissime favorite (1-1), dans un système inédit. Un miracle ? Penser cela, c’est vite oublier le travail titanesque accompli par le sélectionneur, Cesare Prandelli, et des éliminatoires à la limite de la perfection (10 points d’avance, huit victoires et deux matches nuls).

Un genou à terre à cause du Calcioscommesse

Cette équipe revient de loin. Tout a débuté alors que la Squadra était déjà réunie dans son centre de Coverciano. Le 28 mai, 22 joueurs sont arrêtés un peu partout dans le pays suite à l’enquête sur le Calcioscommesse. Parmi eux, le capitaine de la Lazio, Stefano Mauri. Une surprise ? Pas vraiment. Cela faisait un an qu’on savait la police sur la piste de joueurs ayant truqué des matches. Le capitaine de l’Atalanta Bergame, Cristiano Doni et l’ancien joueur emblématique de la Lazio, Beppe Signori, avaient déjà été arrêtés à l’été 2011. Mais personne n’imaginait l’ampleur du séisme et encore moins que celui-ci allait toucher la Nazionale, les enquêteurs débarquant à Coverciano pour saisir l’ordinateur et le téléphone de Domenico Criscito, le défenseur du Zenit, parce qu’il avait rencontré Safet Altic, lié à la mafia, et des Ultras du Genoa (où il évoluait à l’époque), quelques jours avant un Lazio-Genoa, match que les enquêteurs soupçonnent d’avoir été truqué.

En remontant la filière, la police avait découvert que des réseaux des zingari (tziganes) tiraient les ficelles et corrompaient les joueurs. Une photo prouve la rencontre de Criscito et Altic, lié à ces zingari. Le défenseur a beau dire qu’il était là pour calmer les Ultras, quelques jours après un derby perdu, le mal était fait et les dirigeants de la Fédération italienne décidèrent de l’exclure de la présélection.

L’affaire est lancée et ne s’arrête plus. D’autres noms tombent, comme celui du défenseur de la Juventus Leonardo Bonucci (qui sera maintenu dans la sélection). Chacun y va de son commentaire. Du plus sage ( Daniele De Rossi :  » Cette affaire est pire que celle de 2006. Derrière l’espoir que tous soient innocents, il y a la peur de la vérité. « ) au plus mystérieux ( Gianluigi Buffon :  » Vaut mieux deux blessés qu’un tué. « ). Le gardien de la Squadra sera même au c£ur du scandale lorsque son libraire déclare qu’il a dépensé 1,6 million d’euros en paris entre janvier et septembre 2010. A cela, Buffon rétorquera simplement qu’il n’a pas à dire ce qu’il fait de son argent.

 » Cette affaire a secoué toute l’Italie « , explique Pierluigi Pardo, journaliste à Mediaset.  » Elle a généré tout un climat de défiance autour des clubs et du football en général. Alors qu’une semaine plus tôt, les gens attendaient de la Nazionale qu’elle lui offre un peu de bonheur, voilà qu’elle était aussi touchée par les scandales. Cependant, on ne perçoit pas non plus un dégoût total autour de l’équipe nationale. Pour la simple et bonne raison que les Italiens ne se sont jamais passionnés pour la Squadra Azzurra avant le début d’un tournoi. Les matches de préparation, cela n’attire personne. Maintenant que nous avons joué contre l’Espagne, la passion et les critiques vont aller crescendo. Chacun commentera les choix de Prandelli.  »

Pourtant, cette affaire de matches truqués a touché l’ultime fibre intacte de l’orgueil italien : le football. Après les déboires politiques de Silvio Berlusconi qui avait fini par ridiculiser la Botte, après la crise économique qui avait plombé le moral des Italiens, après les trois séismes qui avaient touché gravement l’Emilie-Romagne, un des poumons économiques de l’Italie, voilà que le dernier symbole tremblait.

Une défense à trois

A cette atmosphère pesante sont venues s’ajouter des incertitudes sportives. Notamment autour du système défensif.  » Je n’ai pas de dogme. Ma seule certitude, c’est de jouer à quatre défenseurs « . Cette déclaration appartient à Prandelli. Jamais le sélectionneur italien n’avait utilisé une défense à trois. Lorsqu’il entraînait Parme et la Fiorentina, il avait même déclaré que ce système ne lui plaisait pas du tout. Et voilà que Prandelli choisit le match contre l’Espagne, championne du monde et d’Europe en titre, considérée comme la meilleure équipe du monde, pour effectuer cet essai périlleux. Les mauvaises langues diront que ce n’était pas si périlleux que cela puisqu’on a eu plus souvent l’impression d’une défense à cinq qu’à trois !

Mais d’où vient cette idée de jouer avec trois centraux ? Cela fait quelques mois que Prandelli y réfléchit et la débâcle face à la Russie (3-0), lors du dernier match amical de la Squadra, l’a définitivement convaincu. Certains estiment que Prandelli a été forcé par les événements (l’exclusion de Criscito et la blessure d’ Andrea Barzagli) mais il semble que même si Barzagli avait été disponible, Prandelli aurait tenté cette défense à trois. Pourquoi ? Parce que dans ces temps de pessimisme ambiant, la défense italienne manque de repères.

Et Prandelli avait décidé de miser sur une ligne arrière 100 % Juventus. Le champion d’Italie a en effet avec une défense à trois en fin de saison pour stabiliser son système défensif, Prandelli aurait bien misé sur le trio Giorgio Chiellini-Bonucci-Barzagli. La blessure de Barzagli a quelque peu modifié les plans. Non seulement, Prandelli ne pouvait plus compter sur les automatismes turinois mais il devait également placer Bonucci à droite du trio (alors qu’il est au centre à la Juventus) et faire reculer Daniele De Rossi, médian défensif de formation mais qui avait déjà occupé cette place de défenseur à quelques reprises cette saison avec l’AS Rome.

A cette occasion, Prandelli a prouvé qu’il n’était pas le personnage qu’on en faisait. Chantre du football offensif, il s’inscrit également dans la lignée des grands tacticiens italiens (un peu un mélange d’ Arrigo Sacchi et de Giovanni Trapattoni), capables de revenir au catenaccio maison. Mais qui oserait lui en tenir rigueur, étant donné l’opposition ?

Balotelli-Cassano devant ?

Personne en Italie n’a jamais douté des qualités des deux attaquants, Antonio Cassano et Mario Balotelli, mais personne ne pensait, il y a de cela quelques mois, que les deux joueurs animeraient l’attaque face à l’Espagne. Dès son arrivée, Prandelli a fait place nette devant. En observant que  » l’Italie allait devoir apprendre à perdre « , il savait que le plus dur serait de dénicher des attaquants de classe. Finalement, il les a trouvés très vite. Dans un premier temps, Prandelli voulait miser sur le trio Giuseppe Rossi-Cassano-Balotelli. Les blessures récurrentes de Rossi ont forcé Prandelli à revoir ses ambitions et à préférer un 4-3-1-2 mais rien ne laissait prévoir que Cassano et Balotelli survivraient à l’idée de départ.

Cassano semblait même condamné à mettre un terme à sa carrière lorsque, victime d’un accident vasculaire cérébral en novembre dernier, il dut être opéré du c£ur. Fantantonio a surpris tout son monde en faisant son come-back en fin de saison. Trop tard pour offrir le titre à l’AC Milan, mais peut-être pas pour emmener la Squadra vers un beau parcours à l’EURO.

Quant à Balotelli, son comportement ingérable laissait la porte ouverte à tous les scénarii. D’autant plus qu’en février, il avait été écarté de la sélection pour le match amical contre les Etats-Unis, victime du code d’éthique imposé par Prandelli en sélection. Depuis, Balotelli a fait amende honorable. L’Italie, orpheline d’éléments offensifs de classe mondiale comme Francesco Totti ou Alessandro Del Piero, n’aurait de toute façon pas pu se passer de celui qui ressemble le plus à un fuoriclasse. En Pologne, tout le monde attend le joueur de Manchester City. Deux jours avant le match contre l’Espagne, dans l’antre de l’Italie à Cracovie, les principales questions adressées à Prandelli ne portaient que sur deux personnes : De Rossi (parce qu’il était pressenti en défense) et Balotelli (parce que Balotelli !).

 » Sur papier, ce duo pourrait fonctionner « , explique Fabrizio Ravanelli, le renard argenté de l’OM et de la Juventus, présent à l’EURO comme consultant pour la télévision.  » Cassano est l’homme des assists, un génie, alors que Balotelli peut apporter son physique et son instinct de buteur. Mais ce duo n’avait quasiment jamais joué ensemble avant l’Espagne. On était donc un peu circonspect. Cassano a répondu à l’attente mais qu’a apporté Balotelli ? »

Si Prandelli a trouvé une défense, il devra encore réfléchir à son animation offensive. Balotelli a fait une partie de ce qu’on lui demandait (harceler physiquement l’adversaire) mais il a commis trop de fautes, a encore récolté un carton et a manqué de lucidité devant. Sa place est d’autant plus compromise que son rival, Antonio Di Natale a marqué, cinq minutes après son entrée au jeu.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE, EN POLOGNE

 » Cassano-Balotelli pourrait fonctionner. L’un est l’homme des assists et l’autre est physique et buteur. « 

(Fabrizio Ravanelli)

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