FILS PRODIGUES

Comment les clubs analysent-ils des problèmes comme ceux posés par Mlchy Batshuayi et Ibrahima Cissé entre autres ? Ils ne restent franchement pas les bras croisés…

Un vestiaire de football, c’est un miroir de la société avec des gars venus des quatre coins du pays et du monde, des forts, des malins, des leaders, des suiveurs, des naïfs, des vieux pirates à qui on n’apprend plus à faire des grimaces, des jeunes grisés par les premiers succès mais encore un peu verts derrière les oreilles.

Il y a quelques années, les clubs ne se souciaient guère du caractère et des problèmes, parfois très graves, des joueurs composant cet univers. A présent, dans certains cas, un accompagnement social s’impose. Michy Batshuayi et IbrahimaCissé ont été exclus de l’équipe nationale Espoirs pour avoir enfreint le code de bonne conduite. Le club leur infligera une amende mais précise qu’il en va là d’une  » erreur de jeunesse bien moins grave que celle commise par Jonathan Legear qui, lui, aurait pu tuer quelqu’un en défonçant une station service au volant de son bolide.  »

Des joueurs autrement plus connus que les deux jeunes pousses du Standard ont eu des rendez-vous galants alors que leur équipe était au vert. Le gros écart du duo n’est rien en regard de ceux du légendaire Roger Claessen, le Standarman et play-boy du siècle. Son coach passait ses nuits à le chercher dans les bars de Liège quand bien même il ne s’apprêtait pas à lancer un appel à la police de Montréal, parce que sa star avait disparu depuis trois jours.

Ces sorties font partie de la légende de ce footballeur hors normes. Germano, un Brésilien des années 60, a eu les services secrets italiens aux trousses parce qu’il avait séduit la fille de l’empire Agusta. Ailleurs, d’autres joueurs ont roulé en état d’ébriété, vendu des matches, inventé des home-jackings, etc.

Cela n’excuse évidemment pas les deux écervelés du Standard. Le plus important, après une telle affaire, réside dans la façon dont le club accueille ses fils prodigues. Lassé des frasques de son joueur, Roger Petit avait fini par céder RogerlaHonte à Aix-la-Chapelle. Jean-François de Sart et Mircea Rednic, de leur côté, se sont longuement entretenus avec leurs deux garnements.

 » Batshuayi est moins compliqué à gérer que Kanu  »

 » Quand Michy Batshuayi est arrivé pour la première fois dans le vestiaire pro, j’ai cru, en me souvenant de tout ce qui avait été dit à son propos à Bruxelles, que c’était une terreur « , explique Pierre Locht, le team manager du Standard, confident sur lequel les joueurs peuvent compter 24 heure sur 24.  » Je vais vous étonner : Michy est moins compliqué à gérer que Kanu. Je trouve même qu’il a mûri. Un encadrement social est indispensable pour prévenir ou résoudre des problèmes, souvent administratifs. C’est plus difficile pour les étrangers. Chaque joueur est un cas différent, qu’il soit jeune ou pas. Un Dino Arslanagic n’aura jamais de souci car son entourage familial est solide.  »

 » Il m’est arrivé d’être appelé par la police car un joueur avait acheté une voiture mais roulait sans assurance : il ignorait que c’était obligatoire en Belgique. J’ai longuement accompagné Imoh Ezekiel lors de ses premiers mois à Liège ; le temps pour lui de trouver ses repères et de s’installer. J’ai ainsi eu le loisir de compléter le travail de notre cellule des ressources humaines. Il faut parler, écouter, comprendre, trouver des solutions. Les joueurs doivent être conscients de leur statut de vedette médiatisée et des dangers qu’il peuvent rencontrer.  »

Certaines personnes étrangères au club tournent autour des joueurs, leur rendent service avant de devenir de plus en plus présents et d’être le périscope d’un agent. La saison passée, le Standard a découvert que l’appartement de Gohi Bi Cyriac était régulièrement squatté par une dizaine de personnes. Lui, par contre, était introuvable et cela suscitait des inquiétudes. Naïf, le joueur était-il conscient des problèmes que cela aurait pu générer ?

 » Un bon encadrement permet de réagir plus rapidement et d’éviter beaucoup de situations délicates « , explique Locht.  » Michy est bourré de talent mais il a dû apprendre à s’assumer. Il a parcouru des étapes importantes. Il ne cherche pas d’excuses pour sa mise à l’écart de l’équipe nationale Espoirs. Peu importe le degré de gravité de la situation, il mesure que cela nuit à son image, à celle du club et des Espoirs. Pour moi, c’est un pas dans la bonne direction.  »

Il ne s’était plus rien passé autour de lui de lui depuis le début de la saison : Ron Jans l’avait écarté en raison de son manque d’application à l’entraînement. Son manque de maturité lui avait valu de passer une journée avec le jardinier du Standard. Puis, petit à petit, il a été guidé et conseillé par les anciens du groupe. L’ambiance en équipe nationale Espoirs n’est pas la même :  » Les Diablotins, c’était peut-être perçu comme la colo et le club comme le boulot « , dit Locht.  » Cette approche n’est évidemment pas permise.  »

 » Liège convient mieux à Batshuayi que Bruxelles  »

 » Les jeunes me l’ont dit : ils se retrouvent entre eux, sans grands frères pour les conseiller  » observe Locht.  » C’est une épreuve qui, j’en suis sûr, leur sera utile, ils l’ont compris. Le club a su trouver l’attitude, la faculté d’écoute, les mots justes. C’est une grosse gaffe de jeunesse, pas plus, ne l’oublions pas. L’agent de Michy a calmé la tempête médiatique. Les familles ont assumé leur rôle aussi, que ce soit pour Cissé ou Batshuayi. A mon avis, Liège convient mieux à Michy que Bruxelles.

La ville est plus petite. Il occupe un appartement éloigné du centre. Ses parents ont insisté pour qu’il dispose de plusieurs chambres. Ils tiennent à le suivre de près. Michy préfère aussi que son père gère son argent. Le Standard a une commission sociale qui examine tous les problèmes. Jean-François de Sart, Pascale Jacob, pédagogue, Christophe Dessy et moi-même nous réunissons pour examiner les problèmes. Nous avons aussi un coach mental qui est à l’écoute des joueurs. Ce n’est pas toujours facile. Le Standard s’est mobilisé pour que ses deux jeunes repartent du bon pied.  »

Anderlecht a eu ses têtes brûlées aussi et n’a pas retenu ou prêté des joueurs comme Hervé Kage, Batsuhayi, Pelé Mboyo, Geoffrey Mujangi Bia, Ziguy Badibanga, Mohammed Aoulad, etc. Inutile de dire que la réussite d’un Mboyo a fait réfléchir. Porte-parole d’Anderlecht, David Steegen insiste sur l’importance du rôle assumé par la cellule sociale de son club.  » Et cela ira croissant, c’est indispensable dans le football dont l’importance et la médiatisation n’échappent à personne « , dit-il.  » Nous répétons le même discours à la fois aux parents et à leurs enfants : les études sont primordiales. La saison passée, dix de nos  » purple talents  » ont terminé leurs humanités. Un jeune qui arrive au bout de ses études secondaires est mieux armé pour affronter le stress propre au métier de footballeur. Certains prolongent d’ailleurs leur cursus scolaire. Et ceux qui finalement ne s’imposent pas au plus haut niveau ont des atouts pour trouver une autre voie professionnelle dans la vie, ce qui serait plus délicat sans diplôme de fin des études secondaires.  »

S’il y a des contre-exemples, l’aisance de Vincent Kompany et de Romelu Lukaku indique clairement la voie à suivre. Massimo Bruno et Dennis Praet ont pris la relève, soutenu par le club et leurs familles. Bruno, par exemple, s’était totalement consacré au football, laissant ses humanités sur le côté. Le Borain espère obtenir son diplôme via le jury central. Anderlecht insiste, comme le Standard, sur les valeurs du club et la qualité du dialogue. Herman Van Holsbeeck recadre régulièrement des titulaires ayant dépassé les bornes. Il en va de même pour le directeur de l’Ecole des Jeunes, Jean Kindermans et David Steegen. Van Holsbeeck a reçu Aoulad après son renvoi de Charleroi. Il a reçu le jeune homme en bon père de famille. On imagine que tout fut bien plus délicat à gérer quand Aruna Dindane fut cité dans une affaire de faux billets de 500 euros. Une tuile qui, avec le recul, souligne l’indispensabilité d’un service social comme celui des Mauves, tellement proche de Dieumerci Mbokani lors du décès de son bébé Le joueur n’était pas seul face à son chagrin et ses problèmes. Cet accompagnement social est de plus en plus important.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : IMAGEGLOBE

Anderlecht a eu, lui aussi, ses têtes brûlées et développe tant et plus son service social.

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