FIFA MAFFIA

Cet opus, rédigé par un journaliste d’investigation allemand, dénonce les vilaines pratiques du monde du football et de son big-boss, Sepp Blatter. Voici les passages les plus forts.

La vie est belle quand des applaudissements nourris retentissent dans le stade. Le 11 juillet 2010 est, justement, une de ces journées où tout réussit. Dans la tribune d’honneur, Joseph Blatter est comme un poisson dans l’eau. Il serre des mains, enlace certains. Les médailles d’or brillent à la lumière des caméras et des projecteurs. Entouré par les membres du Comité Exécutif, le président de la FIFA voit défiler l’équipe espagnole, qui vient d’être sacrée championne du monde. Le speaker annonce ensuite la remise du trophée. Le Suisse descend les marches de la tribune. Une longue écharpe en soie flotte sur son costume bleu foncé. Dans sa main gauche, la coupe. Ce tour d’honneur ne peut-il s’éterniser encore ? Non, il arrive devant Iker Casillas, le capitaine espagnol, et lui remet cérémonieusement le trophée.

Pour Blatter, c’est l’heure de vérité. Au Mondial 2006, le public l’a hué de plus belle, à chaque match, de sorte qu’à Berlin, pour la finale, il ne s’est pas risqué sur la pelouse pour y fêter le champion. C’était grotesque : là, à même le terrain, ils étaient tous près de la coupe sans savoir que faire. Le président de l’Allemagne, Horst Köhler, les dirigeants de la FIFA, le président du comité d’organisation, Franz Beckenbauer, toutes ces personnalités du football international attendaient le patron mais il n’est jamais venu. Par crainte d’un tumulte sans précédent.

Blatter parcourt le monde, entouré de gardes du corps, d’espions et de secrétaires. En business class, dans des hôtels cinq étoiles. Colonnes de voitures, feux clignotants et sirènes accompagnent l’infatigable pensionné de Visp, un village des Alpes suisses, et sa suite. Blatter est docteur honoris causa de nombreuses universités, il a reçu la croix du Mérite allemand et l’Ordre olympique, plus toute une volée d’autres distinctions. Le dire président d’une fédération sportive relève presque du blasphème : n’est-il pas beaucoup plus que cela, le patron d’une communauté mondiale, nettement plus large que l’église catholique ? Les officiels du football en sont convaincus.

Mais il y a également des raisons profanes d’être ami avec Blatter et Cie. Chaque pays rêve d’organiser un jour le Mondial. Comme le Qatar. L’intérêt de l’Etat impose donc qu’on traite bien Blatter, ce potentat du football au pouvoir depuis des décennies. Sourires, concessions, paiements, avec l’argent du contribuable.

Les sociétés se mettent à genoux pour obtenir le produit Mondial et courbent l’échine devant ses propriétaires, Blatter et ses copains. Car leur produit est l’outil de publicité par excellence. Celui qui ne plie pas risque d’être remplacé à tout moment, par un concurrent direct, car la liste d’attente est longue. De quoi créer des dérives.

La FIFA sur le banc des accusés

Et des dégâts, il y en a déjà. La fédération est sur le banc des accusés dans une enquête sur la corruption. La FIFA a dû comparaître et les résultats de l’enquête judiciaire pourraient déboucher sur une accusation. La FIFA l’a reconnu et a versé une indemnité colossale. C’était le seul moyen d’éviter un procès sous les yeux du monde entier. Mais pourquoi risquait-elle un procès ? Une organisation peut-elle être accusée ? Oui, si le procureur ne dispose pas de suffisamment de preuves contre un ou plusieurs dirigeants susceptibles de l’être. Dans ce cas, c’est la FIFA qui est pointée du doigt et non les personnes qui ont oeuvré en coulisses.

Longtemps, tout a pu être tenu secret. Comment ? Ce n’est pas vraiment un problème dans un milieu clientéliste, soumis à peu de lois dans un pays d’affaires, la Suisse, qui attire les fédérations sportives depuis des années. Les conditions qu’elle offre sont si attrayantes qu’on y dénombre 60 associations, en plus de la FIFA. C’est possible grâce à un énorme appareil qui permet d’éclipser beaucoup de côtés sombres et encore plus grâce à la manne qu’absorbe un tel système de sécurité. Or, pour la FIFA, l’argent ne compte pas. Un Mondial lui rapporte environ 4 milliards d’euros, soit un milliard par an.

Cet argent a permis la construction d’un vrai bastion. Ces murailles sont indispensables aux dirigeants et à leur morale en affaires car sous Blatter, la FIFA est devenue synonyme de corruption et de maffia : maffia des déchets, maffia de la construction, maffia de la FIFA. Le football mondial est géré par une combinaison de loyauté, de corruption et d’omerta. Dans le monde entier, des enquêteurs tentent de démonter juridiquement ce système, le FBI en tête.

La FIFA a été contrainte de prendre des mesures dans certains cas. Depuis fin 2010, quatre des 24 dirigeants qui composent le Comité Exécutif avec le président ont été renvoyés pour corruption. Le Ministère Public mène une enquête sur plusieurs autres mais l’enquête du FBI et des appareils policiers européens laisse à penser que ce n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Le FBI a mandaté son département du crime organisé en Eurasie. C’est significatif.

Des dirigeants d’Europe de l’Est prennent de plus en plus d’importance au sein de la FIFA alors que c’est justement dans ces pays que la corruption, les constructions financières et les droits de l’homme posent le plus de problèmes. En même temps, ces officiels ont en Michel Platini, leprésident de l’UEFA, un homme sur lequel reposent leurs espoirs d’avenir et ceux d’autres associations de football. Le Français a travaillé pour Blatter, dès le début. Il l’a secondé lors des élections et a été son adjoint et son élève en matière de gestion sportive.

Blatter, alias P1

La FIFA prête le flanc à la critique : comment le Mondial 2022 a-t-il pu être attribué au Qatar, ce désert synonyme d’étuve ? Comment la Russie de Poutine a-t-elle pu convaincre la FIFA de lui attribuer l’organisation du Mondial 2018 ? Ce sont les questions qui reviennent le plus souvent. Le 2 décembre 2010, l’attribution des Coupes du Monde 2018 et 2022 a fait l’objet, en coulisses, d’une véritable étude.

Le FBI mène les investigations à ce sujet sur les deux continents. Des bureaux d’enquête et des sociétés privées de sécurité sont impliquées dans cette recherche. Les unes officient au nom des candidats malheureux à l’organisation, en espérant faire annuler les dernières attributions en démontrant qu’il y a eu corruption. Les autres oeuvrent pour des clients qui veulent, au contraire, effacer toutes les pistes.

La corruption a une longue histoire au sein de la FIFA. Quel est le degré de pourriture d’une organisation dont le président d’honneur, João Havelange, renonce à sa qualité de membre du Comité Olympique International, peu avant d’en être radié pour corruption ? Cet homme a été à la tête de la FIFA pendant 25 ans. Que savait son poulain et successeur, Sepp Blatter, qui veillait toujours à ce que la FIFA travaille avec le même bureau de marketing, ISL, qui a fait faillite en 2001 et reste un des pires exemples de l’histoire économique de la Suisse ? On a appris qu’ISL avait graissé la patte de hauts dignitaires du football et d’autres sports à concurrence de 117 millions d’euros.

La corruption émanant de ce bureau de marketing est appuyée par une volée de preuves accablantes. Le Ministère Public a également établi un document judiciaire, mettant à nu le côté systématique des versements. On y découvre que la tête de la FIFA a étroitement collaboré avec ISL. Le document existait déjà en été 2010 mais la FIFA et les fonctionnaires impliqués sont parvenus à en empêcher la publication pendant des années, avec l’aide de coûteux avocats suisses. Jusqu’au 11 juillet dernier.

Date où la justice suisse a enfin publié le document. Il en ressort qu’Havelange a reçu 1,25 million d’euros d’ISL. Son gendre, Ricardo Teixeira, a touché 10,5 millions. Les noms des tiers non coupables sont occultés. Blatter est ainsi appelé P1. Une mauvaise formulation, comme il le reconnaît lui-même. Il affirme également avoir toujours eu connaissance des versements d’ISL mais selon lui, il n’était alors pas question de revenus illégaux.

Étrangement, le président protège son bureau et les montants qui y sont gérés du regard indiscret de son Comité Exécutif. Or, Sepp Blatter possède un droit de signature à la FIFA : il n’a pas besoin de l’accord d’autres personnes pour effectuer des transactions financières à partir de cette entreprise et ce depuis 1998, l’année durant laquelle il est monté sur le trône au terme d’une campagne électorale que ses anciens partisans estiment eux-mêmes plus que frauduleuse.

Pression sur Mandela

En 2010, au Mondial sud-africain, le petit monde de Blatter est resté à l’abri. Les habitants du Cap ne connaissaient pas bien la FIFA et qui s’intéressait donc à des jugements et à des dossiers dépeignant la FIFA comme une organisation frauduleuse ? Tonton Sepp et ses têtes grises étaient plutôt considérés comme des oncles-gâteaux, distribuant des billets aux écoliers et aux travailleurs des stades et faisant comme si c’était grâce à eux seuls qu’il était possible d’organiser une Coupe du Monde où que ce soit sur la planète.

Ce même 11 juillet 2010 à Johannesburg, lors de cette magnifique soirée de Blatter, un homme était présent, en chaise roulante : Nelson Mandela. Le grand Monsieur d’Afrique s’est finalement plié aux exigences des patrons du football.  » La FIFA nous a placés sous pression. Elle a exigé que mon grand-père assiste à la finale « , s’est plaint Mandla, petit-fils de l’ancien président sud-africain.

La famille pleurait alors le décès récent de l’arrière-petite-fille du patriarche, Zenani. La fillette de treize ans était morte dans un accident d’auto alors qu’elle revenait d’une cérémonie. Cela avait brisé le coeur de Mandela, qui avait refusé toute participation aux festivités. Mais pour la finale, la FIFA est restée intransigeante.

 » Elle n’a pas respecté nos coutumes et traditions, pas plus que notre famille « , observe Mandla.  » Il fallait à tout prix que l’icône du pays soit présente.  »

Soyons clairs : c’est Blatter qui dicte les règles du jeu. Sa parole fait loi.

Le football en est donc réduit à reporter ses espoirs sur le FBI et d’autres instances de ce genre. Il doit faire confiance en l’indépendance des ministères publics qui ont entamé des enquêtes dans divers coins de la planète. Il faut espérer que les copains brusqués de Blatter fassent enfin ce qu’ils ont annoncé : qu’ils s’épanchent, qu’ils disent ce qu’ils savent sur le parrain de la famille du football.

 » Suis-je donc mauvais ? « , demande Sepp Blatter à la salle de congrès, cette fois à Séoul, la capitale de la Corée du Sud. Nous sommes le 29 mai 2002 et Blatter vient de défendre son trône, au terme d’une campagne électorale très dure. Les délégués l’applaudissent.

Des officiels qui encaissent des centaines de milliers de dollars, voire des millions, année après année, pour leur association. Beaucoup sont accompagnés par leur femme ou leur amie. La plupart d’entre eux représentent des Etats du désert et des îles off-shore, des Etats ou des royaumes nains, parfois à peine plus grands que quelques centaines de terrains de football.

Beaucoup de ces Etats n’ont même pas d’aire de jeu convenable mais l’argent coule à flots dans leurs caisses. Ils forment la famille du football, présente au grand complet en ce jour d’élections et très enthousiaste.  » Suis-je donc mauvais ? « , leur demande Blatter.  » Vous n’êtes quand même pas mauvais au point d’élire un mauvais président ! Donc, nous sommes tous bons. Serrez-vous la main. Nous sommes tous bons ! Serrez-vous la main. Pour l’unité du football. Pour le football.  »

Et ainsi de suite. La logique se poursuit. Jusqu’à la fin du jeu.

THOMAS KISTNER

Dans le monde entier, des enquêteurs tentent de démonter juridiquement le système FIFA, le FBI en tête.

Le bureau de marketing ISL a versé 117 millions pour graisser la patte de pontes du sport.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire