Fier mais discret

Diagnostiqué diabétique, l’ex-capitaine du Standard a mis plus tôt que prévu un terme à sa longue et exemplaire carrière de joueur.

La nature a longuement prolongé la semaine du blanc en exposant çà et là ses derniers stocks de linge immaculé. C’est en alimentant leur feu ouvert que les habitants de Dison apprirent fin décembre que Didier Ernst mettait un terme à sa longue carrière de footballeur pro. A 37 ans, cet enfant de ce terroir tranquille qui jouait milieu de terrain à Spa avait certes prévu de prendre du recul en fin de saison. Mais un problème de santé inattendu a bouleversé les plans de ce marathonien du football…

 » J’avais déjà prévu de ne plus jouer après cette saison : c’était le moment idéal pour vivre ma passion autrement « , dit-il.  » Il n’a jamais été question de me passer de football. A mon âge, on doit offrir son vécu aux autres. Je réfléchissais à tout cela quand mon corps a commencé à me poser problèmes. A la fin novembre, j’ai maigri de sept kilos en dix jours. Ce n’était pas normal car je ne suivais aucun régime. La nuit, je me levais souvent et je buvais quatre ou cinq litres d’eau. Inutile de dire que je me retrouvais sans cesse à la toilette. Un peu plus tard, ma vue a commencé à baisser. A l’entraînement, je distinguais de moins en moins bien mes partenaires. Je ne voyais plus clairement à deux mètres ! Je me souviens avoir rigolé en mettant les lunettes de mon père. En fait, c’était sérieux et il était de temps de passer des examens médicaux. Pour moi, il s’agissait tout au plus d’une fatigue passagère. A l’hôpital, on m’a tout de suite administré un Baxter. J’espérais rester quelques heures mais j’en ai eu pour sept jours. Je n’aurais jamais pensé à un diagnostic de diabète. Ma surprise était grande car je n’ai pas eu un seul pépin tout au long de ma carrière : pas une blessure, pas une opération, rien. Ce n’est pas évident mais je suis resté très calme quand les médecins confirmèrent la nouvelle. Tout le monde s’est remarquablement occupé de moi. On m’a bien expliqué comment je devais me soigner. Je sais qu’on peut vivre normalement en étant diabétique. J’ai eu beaucoup de messages d’encouragements.

J’ignorais qu’il y avait tant de diabétiques. Cette maladie se développe à grande allure dans le monde entier. Tout le monde a un membre de sa famille, une connaissance ou un ami qui en souffre. J’ai tout de suite pensé à Pär Zetterberg : le Suédois est un grand diabétique mais cela ne l’a pas empêché de signer une magnifique carrière en menant une existence normale.  »

 » Le diabétique doit faire du sport « 

La liste des sportifs diabétiques s’étant distingués au top de leur discipline est longue et, entre autres exemples, on notera celui du rameur britannique Steve Redgrave cinq fois détenteur de l’or olympique en aviron de 1984 à 2000 ou au nageur américain Gary Hall Junior qui a empoché dix médailles aux Jeux et monta deux fois sur la plus haute marche du 50 m nage libre en 2000 et en 2004. En 1987, Dominique Garde de l’équipe cycliste Toshiba (vainqueur du Midi-Libre en 1984) termine 54e sur 135 du Tour de France. Garde avait découvert son diabète après une lourde chute…

 » Ces exemples prouvent que tout le monde peut maîtriser et dépasser son diabète « , avance Ernst.  » Le problème était encore plus crucial pour ces sportifs que pour moi. Ils étaient au faîte de leur carrière alors que, moi, j’ai quitté le top du foot depuis quelques années. Je me suis évidemment posé des questions. Il n’y a pas d’antécédents dans ma famille. Mon diabète n’est probablement pas héréditaire. Je n’ai jamais raffolé de sucreries. Le diabète peut survenir à tous les âges et est parfois la conséquence d’un choc émotionnel. J’ai été très éprouvé par la disparition d’un membre de ma famille et le décès de Régis Genaux m’a véritablement ébranlé. J’ai un diabète de type 1 et je m’injecte de l’insuline quatre fois par jour. Cela réclame de l’attention, de la discipline afin de bien surveiller son taux de sucre dans le sang. Je dois surveiller mon alimentation mais je n’ai jamais commis d’excès. Honnêtement, cela ne me pose pas trop de problèmes mais j’ai préféré arrêter de jouer au football. Etienne Delangre, l’entraîneur de Spa, a compris ma décision. La santé passe avant tout. Je me suis donné quelques mois pour bien gérer cette nouvelle donne. Le diabétique doit faire du sport. Je pratiquerai de la natation, de la marche, etc. De plus, j’entraîne et je coache les Juniors provinciaux du RCS Verviers. Enfin, j’ai un tiers temps au foot études de l’EPV (Verviers) où je côtoie Benoît Thans et Frédéric Gruslin. Je bouge quoi. Pour le moment, cela me convient mais, à plus long terme, je souhaiterais m’investir un peu plus à l’EPV, au RCS Verviers ou à la tête d’une équipe, en Promotion ou en P1, pas plus bas. Il y a beaucoup de jeunes talents dans notre région. Si je peux les aider, tant mieux. Moi, j’ai quitté la SRU Verviers à 16 ans, c’était assez tard.  »

 » Au Standard à 16 ans « 

La D1, dit-on, c’est la jungle. Il faut être fort pour survivre et ne pas être dévoré par les autres. Pourtant, d’autres voies mènent au succès. A 16 ans, Ernst n’est pas le plus grand, le plus beau et le meilleur. Mais il maîtrise bien la  » raison du plus faible  » qui sait faire preuve de ténacité, de courage et de persévérance, des qualités que les plus doués snobent parfois à tort. Les stars ne sont pas toujours capables de résister à des cataclysmes. Les modestes, eux, s’accrochent sous la tempête et cela donne des carrières étonnantes comme celle d’Ernst.

 » Quand je suis arrivé à Sclessin, je me suis demandé où j’étais tombé « , se souvient-il.  » J’étais le plus fort à Verviers mais au Standard, j’étais dépassé par des jeunes mieux formés et plus doués que moi. J’étais un battant et Christian Labarbe, qui s’occupait tellement bien des jeunes, appréciait mon engagement. Je chassais le ballon et je l’offrais tout de suite aux plus doués. J’avais compris que je ne pouvais réussir qu’en mettant mon bleu de chauffe. A Verviers, je constate que pas mal de jeunes ne rêvent que d’un rôle en vue : meneur de jeu, buteur. On peut aussi trouver son bonheur dans des rôles plus discrets.  »

En 1993, Ernst est prêté à Boom avec d’autres Liégeois : Shalom Tykva, Stalin Rivas, Mike Snow, Sébastien Demeersman, Dany Muller.  » Le coach de Boom, James Storme, m’avait promis le paradis mais il me largua assez rapidement « , affirme-t-il.  » Je ne voulais pas être la cinquième roue de la charrette de l’équipe Réserve. Je préférais jouer avec les Espoirs du Standard que de pourrir à Boom. J’en ai parlé à Labarbe et à RogerHenrotay alors secrétaire général du Standard. Leur soutien m’a été très précieux. J’étais à un tournant. Le football était la chance de ma vie après une jeunesse où j’avais parfois commis des erreurs de gamin. Je suis revenu au Standard avant le remplacement d’ Arie Haan par René Vandereycken. Le nouveau coach avait entendu parler de moi et m’a intégré avant le match retour de Coupe d’Europe contre Arsenal. Je rêvais : inutile à Boom, je préparais un match européen. A un moment, Léon Semmeling s’est adressé à Roberto Bisconti et à moi : -Les jeunes, accélérez, un joueur s’est blessé à l’échauffement. Un de vous deux va jouer. C’est finalement Roberto qui est monté sur la pelouse. Malgré la lourde défaite (0-7), je garde un grand souvenir de cette soirée. J’étais l’équipier des André Cruz, Marc Wilmots, Frans Van Rooij, Régis Genaux, Michael Goossens, Philippe Léonard, GuyHellers, etc. Plus tard, j’ai revu Storme qui me lança : -J’étais certain que tu allais réussir ! Mon £il…  »

 » La Louvière m’a permis de gagner la Coupe « 

Ernst est lancé et devient un pion important pour tous ses coaches au Standard : Vandereycken, Robert Waseige, Jos Daerden, Aad de Mos, Daniel Boccar, Luka Peruzovic, Tomislav Ivic, Zeljko Mijac, Jean Thissen, Dominique D’Onofrio, Michel Preud’homme. Cela fait beaucoup de souvenirs et de moments chauds. Ernst nourrit quelques regrets comme celui d’avoir perdu deux finales de Coupe de Belgique : 3-1 contre le Lierse en 1999 et 4-1 face au Genk un an plus tard. En 2003, l’agent de joueurs Didier Frenay lui fait tourner la tête en lui parlant sans cesse de Bielefeld où son salaire devait être multiplié par trois. Le capitaine du Standard est reçu deux fois à Bielefeld mais l’affaire échoue tout comme ce fut le cas avec Anderlecht.

Valérie, son épouse, estime que cet agent a brisé la carrière de son mari :  » C’était un prometteur de beaux jours. A la fin, Frenay a tenté de mettre sur mon dos son échec dans les tractations avec Bielefeld. Il a dit que j’avais été trop exigeante. C’est incroyable « .

Ernst abonde dans le même sens :  » S’il m’avait bien compris, il m’aurait conseillé de rester au Standard. Il n’y a que là que je pouvais être heureux et totalement épanoui. « 

Le Disonnais entame alors une étrange promenade. Il se retrouve à La Louvière et y vit un des plus grands moments de sa carrière :  » Je découvrais évidemment un autre monde. C’est la vie. Même si je ne découvrais pas la Bundesliga promise, je me suis remis au travail comme si de rien n’était. La Louvière était un club familial. J’étais souvent passé à deux doigts de la montre en or au Standard, que ce soit en championnat ou en Coupe. Je n’ai rien gagné à Sclessin… La Louvière m’a permis de me forger un palmarès et de gagner la Coupe de Belgique. Les Loups n’étaient pas les favoris mais Ariel Jacobs a merveilleusement préparé la finale. Tactiquement, c’était du cousu main. C’est un grand coach et un meneur d’hommes qui ne verse pas dans l’esbroufe. Saint-Trond avait vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué et n’a pas existé en finale : ce fut un grand moment. Je me sentais bien dans ce petit club mais je ne suis pas resté au Tivoli à cause d’une bonne offre du FC Brussels en D2. Le challenge était intéressant et Molenbeek a gagné son championnat. Si Harm Van Veldhoven n’avait pas claqué la porte, je serais resté au stade Edmond Machtens. Johan Vermeersch me rassura avant de me lâcher après les vacances.  »

Il était temps de se replier vers sa région et cet ouvrier qualifié du foot porta la livrée d’Eupen, du CS Verviers, de Sprimont et, enfin, de Spa :  » Quand je fais le bilan, je me dis que je peux être fier de ma carrière. Il y avait peut-être plus à en tirer mais je me dis aussi que ceux qui étaient meilleurs que moi en équipes de jeunes n’ont pas tous connu mes joies. J’aurai plus temps à consacrer à ma femme et à nos enfants : Kevin, Karen et Kléa.  »

Valérie sourit car elle sait que ce ne sera pas le cas. Le football ne le lâchera jamais et il songe déjà au jubilé qu’il organisera en juin à Verviers. Ernst n’invitera pas des people du football international. Non, il organisera en toute simplicité un match entre les juniors du RCS Verviers et d’anciens équipiers. C’est du Ernst pur jus, ce fils de maçon qu’on a toujours reconnu au pied du mur.

par pierre bilic – photos : reporters

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