Festival de l’horreur

Pierre Bilic

La nouvelle star de Sclessin est devenue le cauchemar de ses adversaires.

Lumière de cette première moitié de saison, Moreira a rapidement trouvé un magnifique rythme de croisière. Ses coups d’éclat, sa technique, ses trouvailles, sa lucidité et une bonne frappe au bout de ses dribbles lui confèrent le rang de joueur spectaculaire qui attire le regard des spectateurs.

A Sclessin, Simon Tahamata, l’ex-international hollandais, restera à jamais une des plus belles icônes de l’histoire des Rouches. Personne n’a jamais imaginé qu’un autre artiste puisse ressembler au Moluquois et susciter les mêmes vibrations. Raymond Goethals le disait encore il y a peu: « Simon, c’était une classe à part. Je n’ai connu que deux joueurs à qui je ne donnais jamais de directives tactiques avant le début d’un match: Tahamata et Robby Rensenbrink. Pour moi, ces deux-là pouvaient dormir pendant la leçon de théorie ».

« Simon était plus attaquant que Moreira » (Semmeling)

En 1981, Léon Semmeling était l’adjoint de Raymond-la-science à Sclessin. A deux, ils ont bâti une grande équipe dont Tahamata était finalement la clef de voûte offensive. « En vingt ans, le football a beaucoup changé et si Simon jouait encore de nos jours, il serait, hélas, obligé d’être le premier défenseur de son équipe », dit Léon Semmeling. « Tahamata était un footballeur fabuleux. Un top mondial. Il avait déjà un vécu quand il débarqua au Standard du temps d’ Ernst Happel. Il avait été lancé à l’Ajax par Tomislav Ivic, remporta des titres et prit part à la Coupe d’Europe. En débarquant au Standard, Simon n’a pas eu le moindre souci d’adaptation. Il connaissait les terrains lourds ainsi que la rigueur de nos hivers. De plus, beaucoup de joueurs du Standard pratiquaient le néerlandais et il logea d’ailleurs chez Jos Daerden, le temps de se trouver une maison. Simon Tahamata n’avait pas à se plonger dans une nouvelle réalité: il la connaissait.

Même s’il était avant tout un « inventeur des pelouses », le Moluquois était doté d’une solide condition physique qui lui permettait de résister ou d’échapper aux pièges, parfois vicieux, des arrières adverses. Quand il était dans un grand jour, on ne lui résistait pas: ce gaillard mettait une défense sur le derrière à lui tout seul. Il y a, à mon avis, similitude dans la stature, l’allure et le talent mais le temps, seul, répondra à la question de savoir si Tahamata a trouvé un successeur. Il y a des différences aussi: Simon avait un geste de finisseur tout de même plus affirmé. Il était plus attaquant de pointe que Moreira qui vit et réfléchit d’abord comme médian. Simon était d’abord un élément de rupture, droitier (mais son autre pied était excellent aussi) qui se sentait le mieux à gauche. On lui refilait la balle et il était capable d’orchester le danger tout seul.

J’ai vu Moreira à gauche et à droite, où il était vraiment à son affaire. Je me demande tout de même s’il n’est pas encore plus efficace derrière deux attaquants qui fixent la défense adverse. Moreira peut alors surgir à grande vitesse. Il n’est évidemment pas grand mais ce n’est pas un handicap quand un joueur pense et agit vite. En tennis, Lleyton Hewitt est loin d’être la plus belle plante mais sa vivacité constitue un problème souvent insurmontable pour la plupart de ses adversaires. Moreira est décisif dans ses actions. Lors de ses débuts au Standard, ses dribbles étaient vains et ne rapportaient pas gros à son groupe. Il tombait trop souvent. Maintenant, le Portugais dose mieux ses efforts et cela a un effet positif sur son apport. Je l’ai trouvé souvent très bon lors des grandes affiches. A un point tel qu’il ne s’est pas du tout contenté de marquer mais a aussi donné une autre dimension au jeu en délivrant de beaux assists.

Moreira préfère entamer ses efforts avec la balle dans les pieds. Tahamata signait beaucoup plus d’appels en profondeur et il était à l’aise dans le vide alors que Moreira aime avoir du monde autour de lui. Sa progression est régulière et il apporte quelque chose de plus lors de chaque match: c’est la preuve que ce garçon est un gros travailleur, comme le fut Tahamata sous ses airs de lutin amusé, et que le staff technique du Standard gère bien son énorme potentiel. Moreira se forge au moins trois ou quatre occasions de buts par match: c’est du luxe pour une équipe. Le public a compris: c’est une star en devenir ».

« Un joueur fabuleux » (Wuillot)

Même s’il ne parle pas encore français, Almani Da Silva Moreira a d’abord conquis tous ses équipiers par sa gentillesse. Si Jos Daerden avait hébergé Tahamata, les Standardmen ne comptent pas parmi eux de « Grand Galop » suceptible de former un duo d’amis, sur le terrain et dans la vie de tous les jours, avec le « Petit Trot » de ce début de siècle. Pas le temps? Tout le monde est préoccupé par sa propre carrière. Le temps des copains est-il révolu?

« Non, je ne crois pas », certifie Laurent Wuillot. « Il règne une bonne ambiance dans le vestiaire du Standard. Mais on ne sait pas comment vit Moreira en dehors du football. Les échanges sont limités en raison de la barrière de la langue mais tout ira mieux quand Moreira parlera un peu français. Je venais de Mons au Standard avec mon père du temps de Tahamata et j’ai même joué contre lui quand il terminait sa carrière à Ekeren. J’adorais Tahamata car c’était un créateur. Moreira peut atteindre ce niveau. Evidemment, cela ne se fera pas du jour au lendemain: il n’a que 23 ans et on le compare à un joueur qui a terminé une longue carrière. Simon a aussi vécu ses hauts et ses bas mais on retient que la « crème » de sa carrière et le jeu des comparaisons n’est pas toujours équitable.

Moreira est en tout cas un joueur fabuleux. Je n’ai pas souvenir d’un équipier doté d’un tel potentiel. C’est fantastique. Quand on a cela, on ne parle pas d’adaptation mais de règlages, d’aménagements tactiques, pour exploiter au profit de tous les apports de cette classe naturelle. Je ne comprends pas qu’un tel joueur ne soit pas aujourd’hui à Benfica. Moreira avait peut-être besoin de différence pour se révéler. Antonio Folha disposait aussi d’un talent peu commun. Moreira est moins soliste que son compatriote et sa personnalité est plus positive. Il ne tire jamais la couverture à lui dans le jeu. Doué, il pourrait jouer à la star, et vu ce qu’il apporte, on lui reprocherait peu de choses. Il a vité trouvé sa voie et le déclic a eu lieu lors du match amical face au Sporting de Lisbonne, à Seraing. C’était assez clair: le Standard avait acquis un joueur spectaculaire. Son altruisme est à souligner: en général, les artistes de ce genre la jouent souvent « perso ». Lui, au contraire, il est toujours discret.

En début de championnat, Moreira avait souvent le nez dans les pâquerettes. Les défenseurs belges n’ont pas l’habitude de contrôler des magiciens. Moreira était étonné par la hargne de ses garde-chiourmes. Mais pour le groupe, ce n’était pas un gros problème car nous avons des spécialistes des phases arrêtées. En fait, il gagne des coups francs et à la longue, c’est payant. Son crochet est dévastateur. Il a parfois été un peu simulateur et c’est dû à sa culture du football. Au Portugal, la chute fait partie de tout le spectacle qu’est un match de football. Il ne faut pas oublier que le petit Moreira est sérieusement tabassé de la première à la denière minute de jeu. Il s’adapte très vite à tous les systèmes de jeu. Pour le moment, le Standard pratique plus ou moins un 4-4-2 et il s’installe derrière deux attaquants. Je crois pourtant que sa place de prédilection se situe à l’extérieur droit. De toute façon, il a une bonne lecture de jeu et, en début de saison, il permutait souvent au bon moment avec Michaël Goossens et Ali Lukunku. Il est la révélation de ce début de saison et l’attaquant le plus talentueux de D1. Notre Portugais est, avec Moumouni Dagano et Wesley Sonck, une certitude pour l’avenir. Il ira très loin ».

« Sans pardon pour les gardiens » (Herpoel)

Le tout est de savoir si ce corsaire des rectangles restera longtemps au Standard. Les clubs belges ne sont plus que des rampes de lancement. Quand un joueur y devient aussi brillant que l’or, on l’achète pour l’exposer dans des bijouteries portugaises, espagnoles, italiennes, etc.

Le Standard aura-t-il le temps de construire une équipe autour de Moreira? A Liège, on ne répond pas à la question. Le joueur a un contrat jusqu’en 2003: en cas d’offre intéressante, il s’embarquera tout de suite, comme Christophe Colomb, à bord de la Santa Maria, de la Pinta ou de la Niña pour découvrir un nouveau monde.

Balayés sans pitié par le Standard (2-5), les Buffalos de Gand n’avaient pas pris assez de vitamines avant de croiser le fer avec Moreira.

« On ne contrôle pas un joueur de ce style en individuelle », raconte Frédéric Herpoel. « Il faut le paralyser dans une toile d’araignée tout en lui faisant sentir rapidement que le match va être un combat. Mathieu Vershuere s’est souvent retrouvé dans ses parages. Même taille, même zone de travail: Verschuere, qui a quand même joué face à de stars confirmées en France, m’a avoué que Moreira lui avait plu sans l’épater. Son volume de jeu n’avait pas été démentiel lors de cette rencontre. Il a évidemment un bagage technique tout à fait hors norme. Toutefois, le joueur belge compense le plus souvent par son engagement et sa force de travail. Il n’y a pas d’équipe spitante sans les pincées de poivre de techniciens très mobiles. A Gand, nous avons Darko Anic qui sait mieux que personne qu’un ballon est rond. Techniquement, Anic est certainement aussi doué que Moreira mais le Standardman est plus explosif. Quand un joueur comme eux se présente seul devant un portier, il n’y a pas souvent de pardon. Le gardien doit anticiper, si c’est possible, couper la trajectoire d’une passe en profondeur sans quoi les chances de réussite sont faibles. Il est difficile d’étudier le style d’un joueur dans l’espoir de le prendre en défaut. Moreira a battu Filip De Wilde d’un tir puissant à l’entrée du rectangle. A Bruges, il a évité adroitement Dejan Nemec qui était sorti en vain. Ces joueurs agissent à l’instinct et il faut réagir selon son inspiration. C’est un jeu d’influences mais quand un Moreira a le temps de dribbler un gardien, c’est but ».

« Moreira, un torero » (Defays)

Depuis le début de la saison, Frank Defays est le seul élément stable de la défense de Charleroi. Il n’avait pas pris part au match aller entre les Zèbres et les Rouches. Cela lui a permis de bien observer l’éloile montante du Standard.

« Pour un joueur de mon gabarit, Moreira est un cauchemar, un film d’une heure et demi qui ne finit jamais », lance le patron carolo. « Il se faufile entre vos pattes avec un centre de gravité très bas qui le transforme en toupie. Moreira a un crochet que je peux comparer à celui de Dante Brogno. Avec plus de vitesse et quinze ans de moins, c’est mortel. Moi, je trouve cela beau et je ne connais que deux remèdes pour les contrôler. Un: l’anticipation. Il faut les priver de ballon et leur chiper avant qu’ils ne puissent le contrôler. Pas évident et ça demande une attention permanente. Deux: garder son calme, ne jamais l’attaquer de front. Moreira, c’est un torero. Si son arrière se transforme en taureau furieux, il se fera évidemment un plaisir de lui enfoncer des banderilles avant de le tuer. Non, il faut temporiser, jouer avec sa tête, attendre des renforts, fermer la porte ».

« Plus polyvalent que Tahamata » (Delangre)

Consultant de Sport-Foot Magazine, Etienne Delangre s’intéresse de près au brio de Moreira. L’entraîneur de Dison-Verviers a entamé sa carrière dans le sillage de Simon Tahamata. « A l’époque, Raymond Goethals avait un problème au back gauche », se souvient-il. « Pour un ado, c’était pas évident de débuter derrière Simon Tahamata. Même s’il y avait de grands généraux comme Eric Gerets et Arie Haan dans l’équipe, Simon Tahamata, c’était Dieu pour les supporters. Dieu a été très gentil avec moi et me disait: -Etienne, tu places la balle le long de la ligne et je fais le reste. Quand Tahamata était sur orbite, il était difficile de l’arrêter. Moreira me fait penser à Simon mais il recule plus dans le jeu. Tahamata était plus finisseur que Moreira ne l’est pour le moment. Le Portugais me semble un peu plus polyvalent que Simon qui était un attaquant, pas un mi-médian ou un mi-attaquant.

Moreira constitue un enrichissement pour la D1 belge. Cela s’est vu tout de suite, c’est la marque de grands même si le chemin vers le top international sera encore long. A son âge, on a encore un peu de temps devant soi. Personnellement, j’aimerais le voir un peu plus près de la zone de vérité. Il a déjà prouvé que cela pouvait lui convenir. Dans un rôle de deuxième attaquant, il trouverait Ali Lukunku ou Ole-Martin Aarst les doigts dans le nez. Un grand qui secoue et un petit qui passe dans un trou de souris, c’est une source de complémentarité. Mais, d’autre part, je comprends parfaitement les choix de Michel Preud’homme. En déplaçant de temps en temps son dribbleur sur l’échiquier, le coach du Standard prive l’adversaire de ses points de repère ».

Dia 1

Pierre Bilic

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