» Fellaini ne peut pas viser plus haut qu’Everton « 

Ex-joueur du Club Bruges, du Standard et de Liverpool, devenu agent après sa carrière active, il se partage entre Israël, sa terre natale, la Belgique, sa patrie d’adoption, et l’Angleterre où sont établis ses bureaux.

Formé jadis au Maccabi Haïfa, Ronny Rosenthal (47 ans) a suivi d’un £il intéressé la double confrontation entre ses anciennes couleurs et le Racing Genk. S’il est déçu pour ses compatriotes, il a apprécié la qualification aux forceps des Limbourgeois.

Ronny Rosenthal : Lors du tirage au sort, j’avais dit que ce serait du 50-50 et ça s’est vérifié. Je ne suis pas surpris qu’il ait fallu recourir aux tirs au but pour départager les deux formations. On sait alors que ça passe ou ça casse. Anderlecht avait été malheureux dans cet exercice l’année passée. Les Racingmen ont eu la chance de leur côté cette fois-ci. Il faut pouvoir l’accepter. C’est le foot, c’est la vie.

Genk en sera à sa deuxième participation en phase des groupes, après s’être déjà produit à ce niveau en 2002-2003. A l’image du Maccabi Haïfa.

Cette saison-là, mon ancien club avait touché pour la première fois au but. Il avait éliminé le Sturm Garz au dernier round des qualifications et s’était produit ensuite contre Manchester United, l’Olympiacos et Leverkusen. Ses joueurs avaient alors réussi l’exploit de battre les Anglais 5-2 et de prendre 4 points aux Grecs : 3-0 à domicile et 3-3 à Athènes. Leur deuxième apparition, en 2009-2010, s’était toutefois révélée moins glorieuse : 0 sur 18 dans un groupe formé du Bayern Munich, la Juventus et Bordeaux. La cata.

Anderlecht n’a guère été plus glorieux : 3 sur 36 entre 2004 et 2006 face à l’Inter, Brême, Valence, Chelsea, Liverpool et le Betis Séville.

Sous cet angle-là, il y a malheureusement des similitudes entre les clubs belges et israéliens. On peut diviser les championnats européens en plusieurs catégories. Le haut du panier est formé de l’Espagne et de l’Angleterre. Derrière, on trouve l’Italie et l’Allemagne. Puis le Portugal, la France et la Russie, talonnés par la Hollande et la Grèce. Ensuite un nombre de pays dans le même panier : la Suisse, la Belgique, l’Autriche, le Danemark, la Hongrie, la Roumanie, Israël… Aussi il n’y a généralement pas photo quand un représentant de ces nations doit affronter une formation située plus haut dans cette classification. Bien sûr, une surprise est toujours possible. Anderlecht a également battu Manchester United. Mais ça reste du one-shot.

 » Le joueur israélien a toujours été un bon produit d’exportation « 

Entre 2006 et 2011, la Belgique n’avait plus eu qu’un seul club en phase des groupes de la Ligue des Champions : le Standard en 2009-2010. Et encore les Liégeois étaient qualifiés d’office. Outre le Maccabi Haïfa, le Maccabi Tel-Aviv avait atteint ce stade en 2004-2005 et Hapoel Tel-Aviv l’avait imité en 2010-2011. Pas mal pour une petite nation, non ?

Dans une mini-compétition comme celle-là, c’est vrai que les clubs israéliens ne font le plus souvent que de la simple figuration. Mais pour y arriver, je reconnais qu’ils ont quand même une capacité à se sublimer lors des préliminaires. Après avoir évincé le Sturm Graz en 2002, le Maccabi Haïfa avait récidivé contre Salzbourg en 2009. Le Maccabi Tel-Aviv, lui, s’était payé le scalp du HJK Helsinki et, surtout, du PAOK Salonique en 2004-2005. Quant à Hapoel Tel-Aviv, il avait bouté le Zeljeznicar Sarajevo et, à nouveau, Salzbourg. C’est à ce niveau-là, surtout, qu’on peut parler d’exploits. Anderlecht n’a manifestement pas eu la même inspiration face à BATE Borisov en 2008 ou le Partizan Belgrade la saison passée.

Autre point de concordance entre clubs belges et israéliens : Ligue des Champions en perspective ou non, ils ne parviennent pas à conserver leurs meilleurs éléments ?

Genk a perdu Thibaut Courtois, Eric Matoukou et Chris Mavinga. Le Maccabi Haïfa a laissé partir John Culma à Brest, Tomer Hemed au Real Majorque, Peter Masisela à Getafe, Alex Zahavi à Vitoria Setubal et, surtout, Lior Refaelov au Club Bruges. C’est une fameuse saignée, mais à l’image de ce qui se passe en Belgique, les grands clubs, en Israël, ne savent plus garder leurs meilleurs éléments.

Question d’argent ?

Parfaitement. Chez nous, les footballeurs les plus cotés ont des salaires qui oscillent entre 100.000 et 250.000 euros nets. Il y a de rares exceptions, qui cumulent à 400.000 ou 500.000. Dès l’instant où les joueurs ont la possibilité de multiplier leurs gains par deux ou trois, il est impossible de les retenir.

La Belgique semble une terre d’accueil privilégiée pour eux : durant l’actuel mercato d’été, Refaelov a été transféré au Club Bruges, Maor Buzaglo au Standard et le Beerschot a acquis Dor Malul et Roei Dayan. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Il y a trois explications.

Un : le joueur israélien a été de tous temps un bon produit d’exportation. Sans vouloir me pousser du col, le Club Bruges et le Standard ont apprécié, autrefois, mes services. Idem pour Shalom Tykva, qui a évolué chez les Rouches ou pour Eli Ohana qui a fait la pluie et le beau temps au FC Malinois à la fin des années 80. Et ce qui vaut pour la Belgique est d’application à d’autres pays. Liverpool, où j’ai été actif aussi, n’a jamais eu qu’à se louer d’Avi Cohen et Yossi Benayoun, par exemple.

Deux : il y a aussi le rapport qualité-prix. En Israël, on trouve encore des bons joueurs à des tarifs extrêmement intéressants. Le Club Bruges a payé 2,5 millions pour Refaelov. Ce n’est pas énorme compte tenu de la qualité du joueur, qui a déjà prouvé qu’il confère un plus à l’ensemble. Idem au Standard avec Buzaglo. C’est du tout bon et le public va se régaler avec lui. En fait, il y a une bonne vingtaine de garçons actifs au pays qui seraient susceptibles de se débrouiller aisément en Belgique.

Trois : le championnat belge est un bon tremplin. En Israël, il y a quatre équipes qui tiennent le haut du pavé : les trois qui ont déjà disputé la phase de groupe (Maccabi et Hapoel Tel-Aviv, Maccabi Haïfa) plus Beitar Jérusalem. Le reste est de moindre qualité. En Belgique, les équipes du ventre mou donnent plus de fil à retordre. A l’image du FC Malines, Lokeren, Zulte Waregem ou Saint-Trond. On joue donc davantage de matches accrochés en Belgique et c’est bon pour le développement.

 » Le joueur belge, c’est des peanuts pour les clubs anglais « 

Ce qui vaut pour les Israéliens en Belgique, en matière d’attrait, ne peut-il pas être étendu aux Belges vis-à-vis de l’Angleterre ?

Tout à fait. D’après les normes en vigueur aux Iles, le footballeur belge est un investissement très intéressant. Ici, on s’extasie pour les 15 millions rapportés par Romelu Lukaku, les 9 autres par Thibaut Courtois, en attendant sans doute les 10 que rapportera la vente, à Chelsea encore, de Kevin De Bruyne. Mais ce total de 34 millions, pour trois joueurs, c’est moins que ce que Manchester City a déboursé pour le seul Sergio Agüero. Les joueurs belges, c’est vraiment des peanuts pour les clubs anglais.

Ils ont une certaine cote puisqu’ils sont une petite dizaine en Premier League…

Non, ils ont du répondant sur le terrain. On parle souvent de Vincent Kompany mais la véritable locomotive, pour moi, aura été Marouane Fellaini. Pas mal de suiveurs ont écarquillé les yeux, au Royaume-Uni, en voyant tout ce qu’il avait apporté à Everton. A partir de là, beaucoup se sont fait la réflexion que le filon belge méritait d’être creusé. Voilà qui explique les venues des Thomas Vermaelen, Moussa Dembélé et consorts.

Quels sont vos tops ?

Comme n°1 : Kompany, sans la moindre discussion. La classe comme joueur et comme homme. Il est à la fois respecté et écouté, ce qui peut compter dans un club comme Manchester City avec tous ses egos surdimensionnés. En n°2 : Thomas Vermaelen, qui était vraiment phénoménal avant d’être arrêté par une blessure. Et en n°3 : Fellaini, même si je suis d’avis qu’il ne peut pas viser plus haut qu’Everton. Dembélé est plutôt un homme du sub-top. Il lui manque de l’explosivité pour briguer une place parmi les grands traditionnels. D’autres ont visé trop haut. Je songe notamment à Ritchie De Laet, plus à son affaire à Norwich City qu’à Manchester United. Ou encore à Dedryck Boyata qui ne devrait pas faire de vieux os à City.

Et Lukaku à Chelsea ?

Pour son épanouissement personnel, j’aurais plutôt vu Arsène Wenger : le manager d’Arsenal sait s’y prendre avec les jeunes. Pour sa carte de visite, il est mieux tombé à Chelsea… Là, il est sûr de remporter l’un ou l’autre trophée, ce qui ne sera pas le cas avec les Gunners. D’autant qu’ils viennent encore de perdre Cesc Fabregas, retourné à Barcelone, et Samir Nasri qui vient de signer à Manchester City.

 » L’écart s’amenuise entre United et City et entre le Barça et le Real « 

City pourra-t-il titiller United ?

J’en ai l’impression. Jusqu’à présent, les Citizens avaient marqué des points en coulisses. En recrutant Carlos Tevez chez leur frère-ennemi notamment, ou encore en approchant Wayne Rooney. Lors du Community Shield, la différence n’était pas bien grande et elle va encore se résorber, je prends les paris. En Espagne, le Real Madrid se rapproche du Barça aussi. C’est bien, parce que l’uniformité finit toujours par susciter l’ennui. J’applaudis d’ailleurs l’essor de ces nouveaux eldorados que sont les anciennes républiques soviétiques ou les pays du Golfe. Ils contribuent à dessiner une nouvelle carte du foot et c’est tant mieux.

La Coupe du Monde au Qatar et 20 millions d’euros par an pour Eto’o à Anzhi Makhatchkala, ça ne vous choque pas ?

Le football doit s’ouvrir à d’autres marchés sous peine de s’enfermer dans l’immobilisme. Et les Emirats en sont un. Quant au salaire de Samuel Eto’o : les amateurs de football se sont-ils offusqués des sommes astronomiques dépensées par le Real Madrid pour l’embrigadement de joueurs comme Zinédine Zidane ou Cristiano Ronaldo ? Non. Alors, pourquoi crier au scandale dans le cas du Camerounais ? Qui sait, le comportement de son président, Suleyman Kerimov, sera peut-être bénéfique pour le football belge ?

Pardon ?

Il veut faire de son club une nouvelle place-forte du football. Comme Roman Abramovitch à Chelsea, il ne lésine pas sur les dépenses. Et il tape haut : après Eto’o, c’est Nicolas Anelka qu’il a dans le viseur. Celui-là même qui se dresse sur la route de Lukaku à Chelsea, au même titre que Salomon Kalou, Didier Drogba, Fernando Torres, Florent Malouda, Juan Manuel Mata et Daniel Sturridge. Plus des vedettes comme lui seront sensibilisées à l’idée de jouer dans ces nouvelles enseignes, plus d’autres en profiteront dans le club qu’ils lâchent.

Israël, Belgique, Angleterre : votre propre carrière est allée crescendo. Auriez-vous répondu à l’appel d’un club russe ?

Il faut tout replacer dans son contexte : à mon époque, les joueurs désiraient faire carrière. Aujourd’hui, ils songent essentiellement à gagner de l’argent. Il faut s’en faire une raison : des destinations qui étaient jadis snobées ne le sont plus. Et les entraîneurs suivent manifestement le même mouvement.

Au point de prendre leur club en otage, comme Vercauteren avec Genk ?

Il avait une clause dans son contrat qui lui permettait de partir. On ne peut lui en vouloir, c’est son employeur qui aurait dû prendre d’autres dispositions au départ. Ce qui me heurte, par contre, c’est quand des joueurs simulent une blessure ou font l’impasse sur une rencontre européenne pour préserver leur avenir dans un autre club. C’est inadmissible et Michel Platini, président de l’UEFA, devrait se pencher sur ce point. Personnellement, je trouve que quand un joueur change de club, il devrait automatiquement être qualifié pour tous les matches, que ce soit sur la scène nationale ou européenne. Idéalement, il faudrait aussi que la période des transferts se clôture au moment où les clubs entrent dans le vif du sujet. Limiter les transactions, par exemple, au mois de juin. Bien sûr, certains rétorqueront qu’un Championnat du Monde ou un EURO dépasse cette date et que des clubs voudront mettre à profit les jours qui suivent ces compétitions pour transférer des joueurs qui s’y seront distingués. Une situation à la Steven Defour, ce n’est pas permis…

 » Il est grand temps que les Diables signent une prestation éclatante « 

La Belgique joue un énième match crucial en Azerbaïdjan, ce vendredi. Dans le même temps, Israël va en découdre avec la Grèce à Tel-Aviv.

Mes compatriotes n’auront pas le droit à l’erreur. Troisièmes du groupe F des qualifications pour l’EURO 2012, avec 13 points en 6 matches, ils affronteront le leader, qui compte 14 points avec un match de moins. La victoire s’impose s’ils veulent encore jouer un rôle. Je crains toutefois qu’ils payeront cash leur défaite à domicile contre la Croatie, lors de la 3e journée : 1-2. Si on veut émerger, il est impératif de remporter tous ses matches à domicile.

La Belgique n’a pas fait mieux sur ses terres : 4-4 face à l’Autriche et 1-1 face à la Turquie.

Ce sont des faux-pas. Pour les Belges, il serait quand même grand temps de réaliser quelque chose de probant. Ça fait depuis les Jeux Olympiques de 2008 que j’entends parler d’une génération formidable mais j’attends toujours une prestation vraiment convaincante. On évoque invariablement leur jeunesse mais des Vermaelen, Kompany ou Fellaini entrent tout doucement dans la fleur de l’âge. Il serait bon de récolter. Vu les adversaires qu’ils rencontreront lors des qualifications pour la Coupe du Monde 2014, les Belges ont toutefois des chances réelles d’être présents au Brésil.

Israël et la Belgique ont disputé la Coupe du Monde 1970, au Mexique. Depuis, vos compatriotes n’ont plus jamais été à la fête, tandis que les Diables étaient présents six fois de rang entre 1982 et 2002. Pour l’avenir, vous tablez sur qui entre les deux ?

La Belgique, il n’y a pas le moindre doute à ce propos. Vous avez la chance de pouvoir compter sur une nouvelle vague formée de fils d’immigrés, la plupart du Congo pour des raisons historiques. Ceux-là sont en train d’apporter une toute nouvelle dimension à l’équipe nationale. Et ils la grifferont tant et plus au cours des années à venir. Aujourd’hui, la sélection est composée d’un important contingent de garçons évoluant à l’étranger, auxquels s’ajoutent les meilleurs des clubs de pointe que sont Anderlecht, le Club Bruges, le Standard et Genk. D’ici cinq ans, il n’y aura plus de joueurs actifs en Belgique dans l’effectif. Et d’ici dix ans, les Diables Rouges seront tous des Diables Noirs. C’est une évolution logique dans le sport. En NBA, la plupart des vedettes sont afro-américaines aussi. C’est pourquoi, je prévois un bel avenir pour la Belgique. En Israël, on n’a pas la même histoire. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que de plus en plus de joueurs israéliens quitteront le pays pour évoluer dans des clubs de haut niveau. Ce sera le seul moyen, pour nous, de grimper dans la hiérarchie.

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » Une situation à la Steven Defour, ce n’est pas permis. « 

 » Buzaglo, c’est du tout bon et le public au Standard va se régaler avec lui. « 

 » Kompany est à la fois respecté et écouté, ce qui compte à City avec tous ses egos surdimensionnés. « 

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