Le Club Bruges est vendu. Hier, l’injection de capital de 15 millions de Bart Verhaeghe et de quelques autres investisseurs a été actée par voie notariale. Sept ans après avoir eu besoin de lui, le Club est devenu propriété de l’ambitieux promoteur. Reconstruction.

Début 2011, Pol Jonckheere quitte la présidence du Club Bruges et quelques membres de l’ASBL proposent Bart Verhaeghe, que Michel D’Hooghe vient d’embaucher, comme administrateur délégué.

Le nouveau président a déjà engagé Vincent Mannaert, issu de Zulte Waregem. Pour faire aboutir sa stratégie, il divise les membres de l’ASBL en cinq groupes de travail qui doivent discuter de son projet.

L’assemblée générale qui doit voter ce projet. Seuls 52 des 127 membres se présentent, 26 votent par procuration.

Quand Verhaeghe prend la parole, il est clair : quel que soit le résultat du vote sur son plan d’avenir, la décision finale sera prise par les cinq membres du comité de direction, comme le prévoient les statuts. Il a formé ce comité lui-même, un an plus tôt. Seul Ignace Van Doorselaere, initialement un de ses partisans, peut compromettre les plans mais il a démissionné en mai 2012. La plupart des membres de poids sont absents. Le plan est approuvé à 94 % des 78 voix. Le promoteur devenu président est maintenant propriétaire du Club Bruges.

À la tribune

Verhaeghe apparaît au stade Jan Breydel au printemps 2006. Le Club n’a pas le bagage nécessaire pour établir lui-même la location et les plans du futur stade. On ne parle pas encore d’Uplace. Verhaeghe est le CEO d’Eurinpro, qu’il vend peu après pour 400 millions à une société immobilière australienne avant de fonder Uplace, en décembre 2006.

Originaire de Flandre-Occidentale, même s’il réside dans le Brabant, Verhaeghe est supporter du Club, sans être encore un habitué du stade. Il achète une dizaine d’abonnements les plus chers dans la tribune d’honneur et ne quitte plus la salle où se mêlent élite du football, politiciens et hommes d’affaires. Quand le Club présente son projet à l’Hôtel de Ville de Bruges, le 11 janvier 2007, il est à la tribune, avec D’Hooghe et le directeur Filip Dhondt. Uplace multiplie les études, sans jamais les facturer au Club. Verhaeghe veut financer le stade grâce aux revenus d’un centre commercial intégré à l’arène. Il estime qu’un club de football ne peut investir dans des briques au détriment de sa gestion sportive. Il promet donc au Club un stade gratuit.

Un stade pour le Malinois

Le site de Loppem suscite une levée de boucliers. C’est l’impasse. En 2011, quand le Conseil d’Etat suspend la procédure de permis, Verhaeghe se concentre sur le complexe qu’il veut bâtir à Machelen. On apprend aussi qu’un an auparavant, il a discuté avec Johan Timmermans, le président du FC Malines, où joue son fils. D’après Timmermans, Verhaeghe voulait non seulement bâtir un stade mais aussi reprendre le matricule 25 mais il s’était heurté au refus des représentants des supporters.

La suite est ennuyeuse pour Verhaeghe, sur le point d’être nommé président du Club. Il acquiert l’étiquette d’un homme obsédé par le pouvoir et la construction de stades. Il dément avoir voulu reprendre Malines et affirme n’avoir eu de contacts qu’avec Bart Somers, le bourgmestre Open VLD de Malines. Chez les Sang et Or, il reste sponsor des jeunes.

Peur des supporters

En 2009, Pol Jonckheere a succédé à D’Hooghe à la présidence du Club et il tente de sortir le dossier du stade de son impasse. Jugeant un partenariat avec un investisseur privé trop risqué, il envisage une collaboration avec la Ville. Ça lui coûte la présidence. Le duo D’Hooghe-Verhaeghe ne compte pas lui gréer un succès qui lui a été refusé, selon certains. D’Hooghe profite de l’absence de Jonckheere, qui accompagne l’équipe en stage en Turquie, pour nommer Verhaeghe administrateur délégué. Un mois plus tard, deux ans après sa nomination, Jonckheere est dehors.

Son renvoi suit celui du directeur sportif Luc Devroe et celui du directeur général Filips Dhondt. Verhaeghe donne du balai. Il met en place un comité de sept personnes qui subit tant de changements qu’au bout de deux ans, il n’y a plus que deux rescapés. Les autres sont renvoyés ou jettent l’éponge.

Le trouble et la peur règnent, à tous les niveaux. Des entraîneurs de jeunes sont écartés, des scouts remerciés. Verhaeghe ne tolère pas la contradiction et il a trouvé en Vincent Mannaert un relais idéal. Le personnel, jusqu’aux membres du staff et aux joueurs, est accablé par le stress. Gare à celui qui ne file pas droit !

Seuls les supporters sont épargnés car Verhaeghe et Mannaert les redoutent : ils sont très puissants dans ce club populaire. D’ailleurs, quand le public s’opposera au renvoi d’Adrie Koster, les deux ténors mettront fin à des palabres de plusieurs mois avec Francky Dury. Sous la pression de ces mêmes supporters, le contrat de Carl Hoefkens est prolongé, on l’appelle le contrat Twitter. Même le nouveau slogan, No sweat, no glory, est destiné à plaire aux supporters.

Une pression contreproductive

Sur le terrain, ça va de mal en pis depuis l’arrivée de Verhaeghe. La gestion sportive manque de clarté et de compétence. Koster, Dury, Daum, Leekens et maintenant Garrido : quel style de football veut donc la direction ? La qualité des joueurs enrôlés ne correspond pas davantage aux ambitions du Club. Comme Aad de Mos le disait :  » On dirait que les scouts brugeois sont téléguidés.  » Les observateurs cherchent en vain à expliquer les raisons des mauvaises prestations du Club mais parfois, l’explication se trouve en dehors du terrain. La pression exercée par Verhaeghe-Mannaert sur le vestiaire est contreproductive.

Même Georges Leekens plie sous cette pression. Il est le choix de Verhaeghe. Mannaert voit rapidement que l’ancien sélectionneur échoue mais il n’y a vraiment le feu qu’après l’élimination de la Ligue des Champions, des oeuvres du FC Copenhague. Leekens maigrit, pâtit du traitement que lui infligent ses patrons. Fin septembre, quand Sport/Foot Magazine fait état des problèmes internes du Club, la direction écume de rage.

On comprend pourquoi quatre semaines plus tard : le processus de reprise était arrivé dans la dernière ligne droite et il n’était pas question d’alarmer les membres de l’ASBL. Hasard ou pas, six jours après l’achat du Club, les masques tombent, Leekens est limogé. Le monde du football a assisté au parfait hold-up ou à une stratégie géniale, c’est selon. Car en fait, le dernier bilan, datant du 30 juin, démontre que le Club est en parfaite santé, avec un budget en augmentation de 5 millions, un bénéfice d’un million et 10 millions en caisse. Il vaut bien plus que 15 millions.

Un engagement clair

Nous aurions aimé poser quelques questions à Bart Verhaeghe mais il a préféré se taire. Vincent Mannaert, le manager général auquel il a cédé une partie de ses actions à des conditions avantageuses, a répondu à sa place.

En principe, acheteur et vendeur demandent une évaluation à partir de laquelle négocier. Ici, seul le vendeur a procédé à une estimation, sans contre-expertise. Pourquoi ?

Vincent Mannaert : On a fait appel au réviseur indépendant du Club, BDO, présent avant l’accession à la présidence de Bart Verhaeghe. Il a agi à la demande du Club. On a ensuite choisi l’évaluation la plus élevée, sans que personne ne demande de contre-expertise.

Bart Verhaeghe est l’acheteur et l’ASBL dont il était le président était le vendeur. N’y a-t-il pas conflit d’intérêts ?

Juridiquement, seul le conseil d’administration est habilité à décider d’une capitalisation. S’il avait été question d’un push, nous aurions mis sur pied un conseil de direction de cinq personnes pour décider de la capitalisation et de la vente. Nous ne l’avons pas fait. Nous avons étudié la vente au sein des groupes de travail puis l’avons soumise au vote de l’AG. À ceux qui se plaindraient maintenant, je demanderais pourquoi ils ont émis un vote positif.

61 % des membres ont voté.

Désolé. Les statuts du Club stipulent que l’assemblée générale annuelle a lieu en octobre. On l’a annoncée le 18 avril aux groupes de travail et deux semaines avant l’AG par courrier.

Les bénéfices futurs sont compris dans le prix de reprise. Pas ici, bien que le Club ait enregistré une hausse de 5 millions. On n’a pas non plus pris en compte la valeur de joueurs comme Odjidja et Bacca. C’est quand même étrange ?

Le calcul se base sur les sept dernières années. Pourquoi sept ? Parce que le Club avait gagné la Coupe et évoluait en Ligue des Champions à cette époque. Nous ne voulions pas qu’on nous reproche de tenir compte de cinq mauvaises années. Bruges n’a rien gagné sur le marché des transferts depuis dix ans. Nous avons donc décidé de nous baser sur la valeur du Club, qui n’a jamais été aussi élevée que le 30 juin dernier.

Rien gagné ? La vente de Vargas, Dirar et Perisic aurait rapporté 17 millions nets.

C’est excessif et en fait, je parle du solde achat-vente.

Bruges avait 14 millions en caisse quand Bart Verhaeghe est devenu président, contre 10 maintenant. Compte tenu des 17 millions et d’un bénéfice de 3 millions en 2011, le Club a donc dépensé 24 millions. En quoi ?

Ce montant de 17 millions est exagéré, je le répète. Tous les revenus ont été investis en transferts, en salaires, en encadrement mais ils ne s’élèvent pas à 24 millions.

Vous insistez sur le fait que le passage à une SA s’est effectué sur demande du fisc mais Genk reste une ASBL, malgré un bénéfice de 28 millions. Avez-vous fait peur aux administrateurs, dont la responsabilité peut être engagée, si le Club va dans le rouge ?

Le Club est sain. Nous avons dû le réorganiser, le moderniser. Cela a porté ses fruits sur le plan extrasportif comme le démontre la hausse des rentrées. Sportivement, notre deuxième place, la campagne passée, est notre meilleur classement en sept saisons. Pour l’instant, le résultat ne correspond pas à nos attentes mais on fera le bilan en fin de saison.

Verhaeghe et ses co-investisseurs ont obtenu 94 % des actions en échange des 15 millions, l’ASBL 6 % alors qu’elle en apportait 14. Pourquoi ?

L’ASBL consent à la SA un emprunt de 14,4 millions sur dix ans, au bout desquels elle peut récupérer son capital. Elle obtient en échange 6 % de la SA, ce qui correspond au bénéfice d’un million réalisé la saison passée et à un représentant au conseil d’administration de la SA.

On reproche à Bart Verhaeghe d’acheter le Club à un bon prix et sur base d’une promesse, celle d’investir encore 45 millions en 2015. Et s’il ne le fait pas ? Ou s’il met sur pied une construction commerciale comme pour Loppem, dans laquelle le stade est financé par un complexe commercial ?

Je conteste le terme  » bon prix « . Bart Verhaeghe et les autres actionnaires ont pris un engagement clair, celui de construire un stade et un centre de formation. Je ne peux imaginer que les pouvoirs publics qui se sont opposés à Loppem en 2006 changent d’avis. Selon mes contacts avec l’administration, il est impossible de dégager 40.000 m2 d’espaces commerciaux. On évoque 18.000 m2. Bart Verhaeghe sait qu’il ne pourra ériger de stade gratuit.

Nul ne doit donc redouter que Bart Verhaeghe devienne propriétaire d’un club et d’un stade contre 15 millions ?

Comme je l’ai déjà dit, les actionnaires ont pris un engagement clair.

Oserait-il faire construire le stade à Aalter, en Flandre-Orientale ?

Nous tenons à bâtir le stade en terre brugeoise. C’est le cas du site de Chartreuse et nous demandons à la Ville de collaborer. Par contre, le centre de formation pourrait être en dehors du territoire brugeois.

Les actionnaires ont convenu d’un lock up de dix ans, ce qui implique qu’il n’y aura pas de dividendes ni de possibilité de revendre des actions durant cette période. Quelle est la solidité de cet accord ?

C’est aussi un engagement des actionnaires.

Il n’est donc pas exclu que Bart Verhaeghe revende le club plus tôt, à un riche Russe ou à un Qatari ?

Je le répète : les actionnaires ont pris un engagement.

Pourquoi Bart Verhaeghe devait-il être président avant de devenir propriétaire du Club Bruges ?

Je peux confirmer que Bart Verhaeghe n’a jamais eu l’intention d’être président, encore moins propriétaire. Il a assumé le premier mandat parce qu’il y avait des tensions au sein du conseil d’administration, bien avant qu’on n’envisage une capitalisation du Club. En l’espace d’un an, nous avons réalisé que nous atteignions nos limites en matière d’organisation. Nous avions donc besoin d’argent. Il a décidé d’en apporter, à sa façon.

La tribune VIP s’est vidée à 0-2, contre Bordeaux. Beaucoup de membres du business-club sont restés à l’intérieur après la mi-temps. Du jamais vu au Club.

Wishful thinking ?(Rires) La Blue Army et la fédération des supporters ont demandé au président d’agir. Je reçois des commentaires négatifs mais également beaucoup de positifs. De nombreuses personnes soutiennent le projet. D’accord, sportivement, ça ne va pas. Est-ce une catastrophe ? Non. Y a-t-il des remous ? Oui, mais l’année dernière aussi. ?

PAR JAN HAUSPIE

 » Y a-t-il des remous ? Oui, mais l’année dernière aussi.  » Vincent Mannaert

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