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Faut-il insulter l’arbitre?

Après la théorie des trous noirs, le sens de la vie et le transfert de Sambi Lokonga à Arsenal, mon algorithme Facebook est la chose la plus mystérieuse au monde. Dans l’onglet « vidéos », il me propose les meilleurs clashes des plateaux télé, des chats mignons, des freestyles de mauvais rappeurs, du patin à glace, des compilations de chutes, des embrouilles entre motards, des sketches, des caméras cachées, de la télé-réalité, des débats politiques, des pubs pour des bagnoles. Soit une succession très précise de mes centres de désintérêt. Et évidemment, beaucoup moins mystérieux, du foot. Beaucoup de foot.

Est-ce que les micros protégeraient les arbitres? Ou le football est-il à ce point sale qu’il ne faudrait surtout pas qu’on l’entende?

Depuis peu, cependant, sans que je le comprenne, des vidéos de rugby se sont intercalées dans mon fil. Des vidéos d’arbitrage. Alors ça peut sembler barbant, écrit comme ça, mais je me suis surpris à m’amuser de ces séquences, parfois même à m’en émouvoir. Équipés d’un micro sur le terrain, les arbitres donnent à entendre à tous la teneur des interactions qu’ils ont avec les joueurs. Ils les interpellent par leurs noms, expliquent leurs décisions comme s’ils étaient potes, déploient leur autorité par le dialogue, la sympathie et le respect. Les joueurs leur rendent bien, ils ne contestent pas les décisions prises, rigolent parfois avec l’homme au sifflet. J’en ai même vu qui se défiaient à la course sur une remise.

Et ce n’est pas que savoureux, c’est intéressant. On qualifiait déjà le rugby de sport de gentlemen avant que les arbitres soient équipés de micros, mais peut-être que les micros les protègent davantage. Une insulte, une altercation ou de la mauvaise foi captée à l’antenne, ça décourage forcément des comportements agressifs ou irrespectueux envers le corps arbitral. Et dans le foot alors? Est-ce que les micros protégeraient les arbitres? Ou le football est-il à ce point sale qu’il ne faudrait surtout pas qu’on l’entende? Est-ce que l’absence de micro ne sert pas à nous protéger d’une vulgarité depuis trop longtemps banalisée?

Combien de nique ta mère, de hijo de puta ou de de fuck you ne traduit-on pas sur les lèvres des joueurs à l’écran? Déjà, faut-il insulter l’arbitre pour se le mettre dans la poche? Ce serait une étude intéressante, ça, l’intimidation comme instrument d’inflexion sur un résultat sportif. À la limite, en amateur, on peut dire que ça marche à coup sûr. Mais au haut niveau, il y a moins de chance qu’un joueur sorte vraiment une pelle de son coffre sur le parking pour faire son sort à l’homme en noir. Moi je suis du genre cool avec le ref, je fais des blagues et je dis « bien sifflé » en espérant qu’il soit clément avec ma simulation dans le rectangle, et si ça rate, je lui fais un clin d’oeil amical. Mais 99% des joueurs, ça terrorise et ça vocifère.

Depuis le début de la saison, en P4, on a eu trois arbitres désignés pour officier lors de nos rencontres. Jamais des foudres de guerre, à notre image en somme, mais là n’est pas la question. Et quand il n’y a pas d’officiel, c’est des mecs qui traînent dans la buvette, qui feraient parfois mieux de souffler dans le ballon que dans le sifflet. Ou bien le coach adverse, ou un joueur remplaçant. Nous, ça nous étonne jamais. D’autant que, qui que ce soit qui endosse ce rôle, même correctement, il se prend des remarques tout du long, il se fait insulter tour à tour de fumier, de scandale, de clown, de malhonnête, et ça, c’est quand la rencontre est fair-play.

D’un côté je vois les rugbymen et de l’autre, des aboyeurs. Je vois Mason Greenwood qui bat sa femme, Kurt Zouma qui, hilare, violente son chat. Fatalement, je me demande: est-ce que les footballeurs sont si mal éduqués qu’on finira par ne plus vouloir les voir jouer? Alors d’ici à vouloir les entendre.

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