Fausse queue en retrait

Mercredi soir, fin de saison. Match d’alignement avant les deux ultimes, tant la météo foireuse a bousillé le calendrier de nos petits clubs durant l’hiver. Aujourd’hui planqués chaudement à la 6e place après un début calamiteux (4pts sur 24, si j’avais été président, j’aurais viré dès octobre ce Jeunejean qui nous entraînait, d’accord, mais vers l’enfer…), nous affrontons un adversaire qui devrait se sauver, quoique ayant encore besoin d’un point pour être hors du coup mathématiquement. Rien à signaler sinon que le referee du jour est un afficionado du retour à la faute : à chaque duel, il laisse jouer si celui qu’il estime le non-fautif sort victorieux et avec ballon… mais interrompt le jeu pour revenir théâtralement à la faute si le gars perd son ballon 10m plus loin (ce qui est loin) ou 5 secondes plus tard (ce qui est tard).

C’est comme un tic curieux, ou une marque de fabrique, mais bon, pas grave : il le pratique dans les deux sens, et ça ne nous empêche pas d’encore mener 1-2 à dix minutes du terme. Faut savoir que mes joueurs, quoique dans le ventre mou, tiennent dur comme fer à la victoire : car il y a un gros pari stupide (que je ne vous dirai pas) si nous atteignons 42pts. Et nous n’en avons que 40…

C’est alors que survient la phase. Longue balle adverse vers notre grand rectangle. Un de mes attaquants y est replié, un peu décalé à droite, à hauteur du point de penalty. Ce n’est pas un virtuose du geste défensif, il tend la jambe pour intercepter le ballon, lequel atterrit inopinément dans les bras de mon gardien sur sa ligne. Le libero d’en face est monté, il sait comme moi et tout le monde qu’il ne s’agit en rien d’une passe en retrait délibérée : d’ailleurs, il viendra ensuite me le confirmer gentiment dans la buvette, un peu emmerdé pour nous et très content pour les siens… Mais bon, il fait ce que font des tas de joueurs en pareil cas, les miens comme les autres, dans notre joli sport où l’interprétation est reine et tyrannique : il tente impulsivement d’influencer l’arbitre, en lui gueulant qu’il y a passe en retrait. Et je vous le donne en mille : l’arbitre lui donne raison avec son sifflet !

Palabres évidemment, inutiles évidemment. Mais ce n’est pas fini, suivez le guide : d’une banale erreur d’interprétation, nous allons passer à une erreur d’arbitrage, en vertu de ce distinguo tant aimé par Marcel Javaux ! Au moment du coup de sifflet, je râle comme onze boucs mais, fataliste que je suis, je m’en fais une raison : la couillonnade est cette fois pour ma pomme, elle l’est parfois pour les pommes d’en face, je n’ai qu’à arrêter d’aimer le foot si je n’aime pas les couillonnades. Je sais aussi que le ballon n’est pas encore au fond, je connais mon règlement. Le coup franc indirect est sifflé à l’endroit où le gardien commet la faute en prenant le ballon des mains ; et quand il est comme ici dans son petit rectangle, le ballon doit être reculé sur la ligne de ce petit rectangle, soit à 5m50 de la ligne de but (Loi 13 de notre Bible).

En pareil cas, je sais que le ballon est loin d’aboutir systématiquement au fond des filets. Mes dix gars du champ vont se serrer sur la ligne de but, et mon gardien va se placer juste devant pour foncer comme un malade vers le ballon au coup de sifflet : le frappeur va avoir le nez sur un magma, il manquera d’air et d’espace, j’évalue à 70 ou 80 % la probabilité que le ballon frappe l’un des miens plutôt que le fond des filets. C’EST ALORS QUE J’HALLUCINE : le directeur de jeu place le ballon, non pas sur la ligne du petit rectangle, mais à l’endroit où mon attaquant a commis sa fausse queue : donc à hauteur du point de péno, un peu décalé à droite, à une douzaine de mètres de la cible ! Merde, douze fois merde ! C’est au moins le double du 5m50 réglementaire, ça change tout, ça va donner juste l’aise et l’espace qu’il faut à leur gaucher qui a une grosse frappe, et ne va pas se priver pour montrer qu’elle est grosse ! La probabilité qu’on s’en sorte descend tout à coup à 50 voire 40 % ! La suite coule de source, vous l’aurez pressenti, y’aura plus de % du tout juste après la frappe : la frappe est partie comme prévu, bien sèche, juste le temps de prendre la vitesse nécessaire pour faire bingo dans un trou de souris… 2-2 score final, ceux d’en face sont heureux car mathématiquement sauvés, je suis heureux pour eux et mathématiquement furieux… C’était un mercredi soir en terre de foot.

par bernard jeunejean

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