Faste de mai

Yves Defraigne a toujours eu une vocation de coach. Il la met aujourd’hui en pratique.

Il aura donc fallu une « belle », hier soir, pour départager Charleroi et Mons en demi-finale des playoffs. Mais, quelle qu’ait été l’issue de cette troisième manche, la saison est une réussite pour l’Union et son coach.

Yves Defraigne: Compte tenu de l’élévation du niveau du championnat, nombreux étaient ceux qui nous voyaient, au mieux, terminer à la sixième place. On invoquait le rajeunissement de l’équipe et le fait que sept joueurs étaient nouveaux. Ce sont des excuses de faibles. J’avais constaté, la saison dernière, que Mons était davantage un assemblage d’individualités qu’une véritable équipe. Il fallait donc procéder à un grand nettoyage.

Le pari de la jeunesse était audacieux. Là où d’autres coaches et dirigeants ont choisi la solution de facilité en embauchant des joueurs communautaires ou d’Europe de l’Est, vous êtes allé chercher Meindert Verstraete au Siemens Gand (relégué en D2), Tibo T’Joncke à Ypres (où il était laissé pour compte) et Kenneth Desloovere à De Pinte (en D3). Etes-vous courageux ou téméraire?

J’ai une certaine philosophie du basket. Il y a des jeunes de talent en Belgique. Il faut simplement leur faire confiance. Je trouve dommage qu’à Ostende, Dimitri Lauwers ait dû partir pour laisser la place à un meneur américain, parce qu’on veut privilégier les résultats immédiats plutôt que le travail à long terme. Faire confiance à des jeunes était un risque, mais un risque calculé. Je savais qu’un groupe soudé pourrait compenser pas mal de lacunes. Mon recrutement s’est surtout opéré sur le plan mental. J’étais certain que les joueurs engagés se battraient au service de la collectivité. Je ne me suis pas trompé. Pour le reste, notre concept n’a pas changé: je prône une agressivité défensive de bon aloi et une transition offensive rapide. Sur jeu placé, la consigne est de faire parvenir le ballon à celui qui a la main chaude. Il n’y a pas de role player, chacun a le droit de tenter sa chance à l’anneau.

Mons a commencé la saison par deux défaites. Puis, Jim Potter est devenu belge et tout a changé.

Toute la préparation avait été effectuée en fonction de cette naturalisation, qui était prévue pour octobre. Nous savions que, jusque-là, nous devrions composer avec une équipe incomplète et que nos schémas seraient perturbés. Lorsque la naturalisation est devenue effective, l’équipe a trouvé son équilibre. Elle a disposé d’une rotation supplémentaire et a pris confiance. A 28 ans, Jim Potter a atteint sa pleine maturité. Dans les grands matches, il a toujours répondu présent. Ces dernières semaines, d’aucuns lui ont reproché d’avoir déjà la tête à l’étranger. C’est possible, mais le joueur sait qu’il y va de son intérêt de se montrer sous son meilleur jour s’il veut obtenir un bon contrat et toute l’équipe en profite.

En début de saison, votre ailier américain était Damous Anderson. Il ne s’est jamais adapté et a été remplacé par Gary Collier. Vous n’y avez pas perdu au change.

C’est l’évidence. Je ne comprends pas qu’un joueur du talent de Gary Collier se soit retrouvé sans club. Il ferait le bonheur d’équipes bien plus huppées que Mons. Au départ, on pensait que son style ne nous conviendrait pas. Il préfère le jeu placé alors que nos systèmes sont basés sur la transition rapide. Il n’a jamais été le premier en contre-attaque, mais cela n’a nullement affecté le rendement de l’équipe. Son adresse à trois points, lorsqu’il arrivait en trailer, s’est souvent révélée meurtière.

Etes-vous content d’Odell Hodge?

Son rôle est plus effacé. Il a du mal à se mettre en évidence actuellement car Bernd Volcic connaît une période faste. A Pepinster, il était la star: le meilleur marqueur et le meilleur rebondeur de l’équipe. A Mons, il doit se contenter de capter de rebonds et d’inscrire des paniers faciles. Mais il n’en est pas moins utile.

A quoi tient un championnat? Sans l’incompréhensible défaite au Blue Fox Gand, vous auriez terminé 3e et hérité de Bree au lieu d’Ypres au premier tour des playoffs!

Effectivement. Mais cette défaite au Blue Fox Gand a peut-être été salutaire. Elle a provoqué un déclic dans la tête des joueurs, en leur faisant comprendre que tout adversaire doit être respecté. La semaine suivante, à Wevelgem, ils ont remis les pendules à l’heure en livrant une prestation remarquable.

Au niveau belge, Matthias Desaever a apporté le petit « plus » escompté?

Tout à fait. Il restait sur une saison médiocre à Gravelines et voulait se relancer. Il y est parvenu. A 24 ans, il est pour moi le meilleur joueur belge. S’il y en a un qui mérite d’être élu Joueur de l’Année, c’est lui. Il a eu un impact énorme sur l’équipe. On connaissait son talent offensif. Cela s’est traduit par 19 points de moyenne. Mais il a aussi fourni beaucoup d’efforts pour améliorer son jeu défensif. Il est l’une des stars de l’équipe, avec Jim Potter et Gary Collier, mais une star qui respecte son coach et ses coéquipiers. Ce qui a fait la force de Mons, cette saison, ce ne sont pas deux ou trois joueurs, mais toute l’alchimie entre la fougue des jeunes et la maturité des quelques anciens qui évoluent en parfaite harmonie. Contre Ypres, en quart de finale, Matthias Desaever avait dû déclarer forfait. Meindert Verstraete avait pris le relais de façon magistrale en disputant deux matches fabuleux. Contre Charleroi, en demi-finale, c’est Ronny Bayer qui a dû renoncer. Cela ne nous a pas empêché de gagner le premier match. Meindert Verstraete et Tibo T’Joncke ont traité d’égal à égal avec Jacques Stas et David Desy. Ce sont des références. Notre rendement n’a pas été affecté par l’absence de l’un ou l’autre joueur-clé et c’est une belle satisfaction. Lorsqu’on joue avec des jeunes, il faut accepter de concéder des pertes de balles à la suite de passes trop risquées. C’est le prix de l’inexpérience. La saison prochaine, j’essayerai de convertir Meindert Verstraete en un véritable meneur de jeu. Cette saison, il a encore besoin de commencer le match en position de n°2 pour se sentir à l’aise.

En parlant de jeunes: vous êtes aussi un jeune coach. En ce qui vous concerne, le pari était également audacieux.

Je dois remercier le manager Thierry Wilquin de m’avoir fait confiance. Il s’était aperçu, lorsque j’étais joueur, que j’étais attentif à tous les détails tactiques et n’ignorait pas que j’entraînais les jeunes de Gentson depuis de nombreuses années. Encore fallait-il oser me confier les rênes de l’équipe Première. D’une certaine manière, mon cas est comparable à celui de Giovanni Bozzi. Lorsqu’il jouait à Pepinster, lui aussi avait déjà sur le terrain les réflexes d’un futur coach. Mes entraîneurs successifs s’étaient sans doute, eux aussi, aperçus de mes capacités. J’ai joué quinze ans en D1 et j’ai été le capitaine durant dix saisons. J’ai pris ce rôle très à coeur et je n’ai jamais fui mes responsabilités. Dans le vestiaire, j’ai beaucoup observé comment les joueurs se comportaient. Cela m’est aujourd’hui très utile. Le basket a beau être un sport collectif, les joueurs raisonnent souvent à titre individuel. L’une des tâches d’un coach est de mettre le talent individuel au service de la collectivité. Il faut aussi inculquer le respect aux joueurs. A commencer par les plus jeunes. « Respect » est pour moi un mot-clé. Combien de joueurs respectent-ils encore leur coach, les dirigeants, leur club? Lorsque j’étais le capitaine, je me suis efforcé de faire comprendre à mes partenaires qu’un coach était un être humain et qu’il était donc susceptible de commettre une erreur. Si le coach accepte que le joueur loupe un tir, le joueur doit accepter que le coach fasse un mauvais choix tactique. S’il y a un problème, il faut le résoudre par le dialogue.

Vous sentez-vous grandir dans le métier d’entraîneur?

Tactiquement, je ne pense pas être meilleur que la saison dernière. Je suis peut-être devenu plus sévère dans la gestion du groupe. J’ai compris qu’il fallait avoir une ligne de conduite stricte et s’y tenir en toutes circonstances.

Vous disposez de l’adjoint idéal en la personne de Jurgen Van Meerbeeck.

Il incarne le lien entre le groupe et moi. Il est plus proche des joueurs. En ce qui me concerne, dès que je suis devenu coach, j’ai installé une barrière entre les joueurs et moi. Même s’il agissait de garçons avec lesquels j’avais encore joué. Ce n’était plus possible d’encore se comporter en copain vis-à-vis d’eux – surtout avec le groupe de la saison dernière – sinon ils auraient abusé de la situation.

Le fait de travailler avec une équipe plus jeune a-t-il contribué à asseoir votre autorité?

Cette saison-ci, mes joueurs sont sans doute plus réceptifs et acceptent plus facilement les remarques. La saison dernière, je n’avais jamais rencontré de problèmes avec Jean-Jacques Deheneffe, Jim Potter et Melvin McCants. Avec d’autres, ce fut plus difficile.

Vous avez eu le mérite de composer une équipe qui pourra tenir la route pendant plusieurs années.

Notre objectif est de travailler dans la continuité. Nous aurions déjà voulu le faire la saison dernière, mais il y avait trop de joueurs égocentriques et nous avons dû nous en débarrasser. Je dois rendre grâce à mon comité d’avoir réitéré leur confiance au coach plutôt que d’accéder aux caprices des joueurs. On ne procède pas partout de cette manière. Six ou sept joueurs de l’équipe actuelle resteront. Gary Collier a déjà resigné. Je suis persuadé que Matthias Desaever retentera un jour sa chance à l’étranger – il en a les capacités – mais il sera toujours à Mons la saison prochaine. Il faudra peut-être remplacer Jim Potter. Ce ne sera pas facile, mais c’est la loi du sport. Avec les moyens qui sont les nôtres, il faut aussi accepter d’éventuellement connaître une saison moins faste. Ou alors, il faut injecter dix millions supplémentaires dans le budget. Dans ces conditions, je suis convaincu que Mons pourrait se stabiliser dans le Top 3. Mais ces dix millions ne sont pas faciles à trouver.

Daniel Devos

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire