Fanchester, ville déchirée

United : capitaliste et mondialiste ? City : looser et local ? La réalité est beaucoup plus complexe que cela pour les deux rivaux.

Le temps était au scandale il y a une semaine. Comme de coutume, l’Angleterre s’est réveillée avec les dérives de ses footballeurs. A Manchester, la fête de Noël de l’équipe d’United a tourné au cauchemar lorsqu’une femme de 26 ans a déboulé, accusant un joueur de l’équipe championne d’Angleterre de l’avoir violée. L’affaire a fait grand bruit mais une fois le nom du joueur révélé – Jonny Evans, jeune arrière central nord-irlandais de 19 ans qui avait été aligné contre la Roma en Ligue des Champions – les journaux sont passés à autre chose : à Manchester, une actualité en chasse une autre.

Cela fait dix ans que Manchester se donne un air branché. Petit à petit, la ville de 2,2 millions d’habitants est sortie de sa léthargie et a compris la valeur de son patrimoine industriel. Le Musée des Sciences et de l’Industrie fut un des premiers musées didactiques d’Europe, le grand bâtiment de la Great Northern Railway Company est devenu une galerie commerçante, et tous les anciens entrepôts de coton ont mué en restaurants à la mode ou en hôtels. Désormais Manchester rivalise avec Londres. Au sud, les quartiers bobos poussent comme des champignons et les grues s’affairent autour de ce qui deviendra le nouveau Media Centre. La vénérable BBC a décidé d’y délocaliser une partie de ses troupes parce que Manchester est the place to be et que les loyers y sont nettement moins chers qu’à Londres.

Manchester offre donc un visage relifté avec ses désavantages. Les traditionnels pubs anglais se font de plus en plus rares, remplacés par des Starbucks, Costa ou Café Nero. Mais l’ancienne cité ouvrière a réappris à vivre, faisant preuve de dynamisme comme en témoigne cette double candidature pour les Jeux Olympiques. Dans toute cette agitation, le football se fait assez discret.  » Il y a tellement de choses à faire que le football est simplement une chose parmi d’autres « , explique Jim Ward, employé de la ville au Town Council.  » La ville s’est embourgeoisée « , acquiesce Marc Beaugé, journaliste français à France Football, qui vécut plusieurs années à Manchester.  » Elle a connu un essor économique. Elle repose donc moins sur sa culture pop faite de foot et de musique que par le passé « .

Pourtant, le football reste un produit d’appel. A l’aéroport, des grandes pancartes représentant la compagnie d’assurances, sponsor de Manchester United, utilisent les footballeurs comme vecteur de communication. Et quand on demande au bureau d’information ce qu’il convient d’aller voir à Manchester, on nous oriente directement vers un des deux stades de la ville. Pas vers le Lowry, musée ultra moderne consacré au peintre mancunien L. S. Lowry, ni vers le Musée des Sciences et de l’Industrie.  » Le football est peu présent dans le centre mais on sait que la plupart des touristes attirés par Manchester viennent soit pour la night life, soit pour le football. Et parfois pour les deux ! Chaque week-end, près de 150.000 personnes du Grand Manchester (qui comprend également Bolton) se rendent au stade. Quelle ville peut afficher de tels chiffres ? Aucune au monde « , lâche Ward.

Une histoire avec du rire et des larmes

Mais comment expliquer une telle passion pour le football ?  » Cette ville est au c£ur d’une région qui a créé le foot. Pour ce sport, tout a débuté dans le nord de l’Angleterre « , explique la mémoire vivante du journalisme anglais, David Meek.  » Preston North End, situé à 60 kilomètres de Manchester, fut le premier club fondé. La Ligue anglaise a longtemps eu son bureau à Blackpool, non loin d’ici, avant de déménager à Londres « .

Puis, ce fut Manchester United qui prit le relais.  » Manchester est devenu populaire grâce à son exceptionnelle histoire. Il y eut d’abord cette équipe géniale des Busby babes, nom donné à l’équipe de jeunes joueurs entraînés par Sir Matt Busby. Une partie de cette génération va être annihilée par l’accident d’avion de Munich, en 1958. Mais dix ans plus tard, avec Denis Law, Bobby Charlton et George Best, cette équipe renaissait de ses cendres et remportait la Coupe des Champions, devenant la première équipe anglaise à inscrire son nom au palmarès. Vous voyez : il y a de tout dans ce club : du rire, des succès et des larmes. Le crash de Munich a fait connaître le nom d’United dans le monde entier. Le sacre de 1968 a enfoncé le clou « , ajoute Meek.

Pourtant, les Red Devils ne règnent pas seuls. Ils doivent partager l’empire footballistique mancunien avec leur rival local.  » City a toujours pâti de la comparaison avec son voisin. On oublie que City dominait le championnat anglais avec des éléments comme Mike Summerbee, Colin Bell ou Francis Lee en 1968. Malheureusement, ce sacre a été éclipsé par le triomphe européen d’United la même année. City ne s’en est jamais relevé et la ville non plus. Cette année-là, Manchester comptait les deux équipes les plus attrayantes du championnat ! « , continue Meek.

Il fut donc un temps où City égalait United.  » Egaler ? Surpasser ! Entre 1968 et 1974, la meilleure équipe de Manchester, c’était City « , explique Chris Bailey, journaliste au Manchester Evening News.  » Mais c’est du passé. Cela fait maintenant 38 ans que le club n’a plus gagné le championnat et City n’a plus accroché de trophées, si ce n’est le titre dans les divisions inférieures, depuis la victoire en Coupe de la Ligue en 1976. Les supporters de City vivent dans une telle attente qu’ils parlent encore du championnat de 1968 « .

Aujourd’hui, si le fossé s’est creusé entre les deux entités, la rivalité a persisté.  » Les Citizens vont vous dire que United, ce n’est plus Manchester mais Salford… car le stade d’Old Trafford est situé aux confins de Salford. Cependant c’est un peu exagéré car on est toujours sur la commune de Manchester « , dit David Meek.  » Ils vont aussi raconter qu’il n’y a plus aucun habitant de Manchester qui va à Old Trafford et que City est plus populaire dans le centre-ville. Mais là de nouveau, c’est faux car un récent sondage mené par le Manchester Evening News a montré que davantage d’habitants supportent United. Mais c’est normal ! Ce serait dommage de ne pas trouver plus de supporters mancuniens dans un stade de 75.000 places que dans un antre de 45.000 « .

Pourtant, pour éviter une montée de violence, les deux clubs montrent des signes de respect. City a ainsi annoncé que lors du prochain derby en février, les joueurs porteront un maillot avec des bandes noires, pour commémorer le quarantième anniversaire du crash de Munich qui avait décimé l’équipe d’United.

Plus facile pour un étranger d’aller à Old Trafford

Dimanche 16 décembre, jour de Liverpool-Manchester United. La fièvre du samedi soir a laissé les rues désertes le matin. Les Mancuniens commencent à sortir vers midi pour le Christmas Shopping. A 13 h 30, les rues se vident à nouveau. Les pubs sont par contre bondés. Avec une ambiance de tonnerre.  » Le prix des places conjugué à leur rareté font que cela devient difficile d’aller au stade de toutes façons « , continue Jim Ward.  » Au fil des ans, l’ambiance s’est déplacée vers les pubs. Moi, je suis supporter d’United mais en cinq ans, je ne suis allé qu’une seule fois à Old Trafford. C’était pour un match de Ligue des Champions contre l’équipe israélienne de Maccabi Haïfa. Cela devient plus facile pour un étranger de rallier Old Trafford que pour un habitant de Manchester car les tours opérateurs offrent des combinaisons tickets et hôtels ! De plus, les clubs privilégient cette clientèle étrangère car elle achète bonnets, écharpes, maillots. Nous, on le fait une fois et c’est tout. J’ai la même écharpe depuis des années. La seule façon de voir United, c’est d’assister à un des matches de League Cup lors des premiers tours ou à des matches de Ligue des Champions lors des phases de poules « .

 » Il y a toujours autant de monde au stade mais le public a évolué « , ajoute David Meek.  » La middle class a remplacé la working class. Et l’ambiance s’en ressent. Il suffit de se rappeler de la phrase de Roy Keane qui, il y a quelques années, se plaignait que le public était composé de mangeurs de sandwiches aux crevettes « .

Une fois poussées les portes du pub, on se rend compte que l’ambiance est à la fois conviviale et fanatique. Des couples sexagénaires encombrés de courses de Noël se mélangent aux fans plus jeunes. Le but de la victoire inscrit par Carlos Tevez fait se congratuler tous les convives, même ceux qui ne se connaissent pas. Ici, on parle du beau football des Red Devils et on compare le trio Tevez- Wayne RooneyCristiano Ronaldo à la Holy Trinity (la Sainte Trinité), nom que l’on donnait au trio Law-Charlton-Best. On rattache tout à l’histoire.

Autre lieu, autre ambiance. Une fois la rue Sir Matt Busby traversée, on se retrouve à Old Trafford, situé au sud du centre-ville.  » Manchester est le club qui a le mieux réussi cet alliage entre tradition et modernisme, entre histoire et marketing « , explique Stéphane Regy, journaliste français à So Foot et auteur il y a quelques mois d’un dossier sur Manchester United.  » L’espace merchandising tient davantage du supermarché que d’une boutique mais malgré cela, ce club arrive à ne pas perdre son âme. Ils ont conservé des vieux portraits, la vieille horloge, les portraits des joueurs mythiques. Quand on va à Old Trafford, l’ambiance est chargée d’histoire. C’est vraiment un club qui a un pied dans le mythe et un autre dans le business. C’est assez novateur comme modèle « .

Ferguson, le plus cher au Monopoly

Cela fait maintenant quelques années que Manchester véhicule son image à travers le monde. L’arrivée de Malcolm Glazer, un milliardaire américain, à la tête du club, n’a fait qu’accentuer cet aspect.  » On vient du monde entier voir Old Trafford « , ajoute Jim Ward.  » Mais davantage d’Irlande ou de Corée du sud. United a toujours eu une longue tradition d’Irlandais et les Sud-Coréens viennent voir Ji-Sung-Park « .

 » La tradition irlandaise date de l’époque de Sir Matt Busby qui a décidé de prospecter en Irlande et d’attirer de nombreux jeunes irlandais « , explique David Meek.  » A l’époque, on disait même que United était un club catholique à cause de cela mais ce n’était qu’un hasard. D’ailleurs, George Best était protestant et il est arrivé à la même époque. Depuis lors, quand vous allez en Irlande, vous avez l’impression que toute l’île supporte Manchester « .

Dans le megastore, on trouve de tout à l’effigie de Manchester : le Monopoly du club (avec la case Sir Alex Ferguson à 400 livres celle de Busby à 350, celle de Bobby Charlton à 320 ainsi que celles de Best et de Cristiano Ronaldo à 300), une petite sculpture de Sir Alex à 160 livres, un livre sur le triplé de 1999, une cassette vidéo de la finale de la Cup 1963. Bref, tout.

Mais City n’est pas en reste. L’arrivée du milliardaire thaïlandais, Thaksin Shinawatra à la tête du club, a placé City sur le marché asiatique. Une marque de bière thaïlandaise devrait être le nouveau sponsor maillot, à hauteur d’un investissement de 20 millions d’euros par an. Et le marché chinois a longtemps constitué une cible avec la présence de Sun Jihai dans le noyau. Ce changement de politique s’est fait sans heurts, contrairement à l’arrivée des Glazer à United ( voir encadré).  » Les supporters s’en foutent complètement de savoir d’où vient l’argent « , affirme Chris Bailey,  » Ils ne voient que les transferts entrants de plus en plus importants. Ils ont été privés tellement longtemps de succès qu’aucune protestation n’a accompagné l’arrivée de Shinawatra. Ils ont davantage protesté quand il a fallu quitter Maine Road, l’ancien stade, pour le City Manchester Stadium en 2003 « .

Finies donc les blagues des supporters d’United sur les désargentés de City. Shinawatra ne compte pas ses sous et cela a redonné un élan à la formation désormais entraînée par le Suédois Sven-Goran Eriksson.  » Ce club s’est transformé en un an « , analyse Bailey,  » Comme si la confiance allait avec l’argent « .

 » Durant de nombreuses années, City a trop souvent changé de managers « , ajoute Meek,  » Jamais, on ne leur a laissé le temps de développer une équipe. Dès le départ, Eriksson a eu le crédit nécessaire pour travailler sur le long terme. Et cela a fonctionné directement « .

Cette omniprésence de City et d’United laisse peu de places aux autres clubs.  » C’est très dur pour les autres formations de vivre médiatiquement « , reconnaît Meek,  » Bolton et Wigan sont en Premier League mais doivent se contenter du public de leur propre ville. Je crois que Bolton est arrivé au sommet de ce qu’il pouvait espérer en atteignant la Coupe d’Europe. Les Wanderers ne grandiront plus. Pour le reste, à des étages divers, on a Oldham, Preston, Stockport, Burnley mais cela reste très local. Même si cela gonfle les chiffres des amateurs de ballon rond dans le Grand Manchester « .

par stéphane vande velde

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