Faire oublier CEH

Le transfert croate des champions nous a reçus à Split avant de prendre l’avion pour la Belgique.

Les plus belles femmes et les plus grands hommes sont nés à Split, si l’on en croit notre chauffeur de taxi. Nous ne le contredirons plus, après une promenade nocturne en bord de mer. La principale ville de la côte dalmate a déjà fourni cinq joueurs à la NBA et deux Miss World. Ivan Leko n’entre pas en compte de ce point de vue.

 » Mais ma femme bien ! Avec mon mètre 79, je suis devenu footballeur. Je ne joue au basket qu’avec mes amis « . L’un d’eux n’est autre que Goran Vucevic, l’ancien avant du FC Barcelone, désormais propriétaire d’un restaurant sur la plage. C’est là que nous avons bavardé pendant une heure et demie avec le nouveau meneur de jeu du Club Bruges.

 » Je pouvais également rejoindre Graz, Boavista et Saint-Gall « , nous explique Ivan Leko, qui n’a encore connu que deux clubs, Hajduk Split et Malaga.  » Mais Bruges constituait ma première option car c’est un club très ambitieux où les footballeurs croates se sont toujours distingués. J’y retrouve aussi deux amis : Bosko Balaban et Tomislav Butina. J’ai parcouru les équipes nationales d’âge de Croatie avec Bosko et j’ai fait la connaissance de Tomislav dans les duels entre Split et le Dinamo Zagreb. Ce qui est très important, c’est que ce club me permet de participer à la Ligue des Champions, une première pour moi. J’attendais que des offres d’Espagne, plus précisément du Betis, de la Real Sociedad et d’Alavés deviennent plus concrètes, mais les Brugeois voulaient que je me décide rapidement afin d’être qualifié pour le troisième tour préliminaire. J’ai alors décidé d’oublier l’Espagne « .

Qu’attend le Club Bruges de vous ?

Ivan Leko : Beaucoup surtout sur le plan technique. On m’a expliqué que Nastja Ceh restait sur une saison brillante mais que je devais le surpasser. On m’a aussi dit que si on m’engageait, c’était parce que le Club voulait jouer la Ligue des Champions.

Combien a-t-il payé votre transfert ?

Mon contrat stipulait que je pouvais partir moyennant le versement de 70.000 euros à Hajduk.

Connaissez-vous le Club ?

Il y a deux ou trois ans, j’ai disputé un match amical contre Bruges avec Malaga, en Espagne. Josip Simic était toujours là. Nous sommes amis et il m’en a appris beaucoup sur le Club. Durant la journée que j’y ai passée pour signer mon contrat, j’ai déjà pu constater que c’est un chouette club. Une bonne organisation, un grand stade, un bon complexe d’entraînement. Je sais aussi qu’en Belgique, on peut mener une vie familiale tranquille. Je pense avoir fait le bon choix.

80 matches en Liga

De quoi avez-vous besoin pour atteindre un bon rendement ?

L’essentiel est de toujours faire ce que l’entraîneur demande. Je suis un médian central et je joue du pied gauche. On ne m’a jamais aligné sur le flanc, tout au plus à gauche au centre d’un 4-4-2, d’un 4-3-3, d’un 4-5-1, d’un 3-5-2 ou d’un 3-4-1-2. Si on procède avec trois médians, je suis le plus offensif ou un des deux plus offensifs, jamais l’élément défensif. Malaga évoluait dans un 4-4-2 à plat. J’étais le deuxième homme devant la défense. Je devais bien l’accepter sinon, dans un groupe de 20 ou 25 hommes, je n’aurais eu aucune chance.

Que préférez-vous ?

L’entrejeu (il rit) ! En dix ans, j’ai appris que la seule manière d’obtenir des résultats, c’est que chacun joue pour l’équipe. J’aime être entouré de footballeurs rapides que je peux envoyer en profondeur. Moi-même, je ne suis pas très rapide, pas assez en tout cas pour jouer sur le flanc, mais je ne pense pas que ce handicap soit perceptible dans un rôle central. L’essentiel est de faire circuler rapidement le ballon.

J’ai été formé en Croatie, où on aime la technique, mais je sais qu’il en faut bien davantage pour être un bon footballeur. Auparavant, j’étais peut-être un numéro 10 à l’ancienne, mais trois ans et demi en Espagne ont modifié mon jeu. Je ne suis pas Claude Makélélé mais je suis aussi utile quand je n’ai pas le ballon. En fait, je n’aime pas les numéros 10 classiques. Je veux être un médian moderne. Dans un match, on a cinq ou six opportunités de faire la différence. Pendant les 85 autres minutes, il faut courir, travailler et respecter l’organisation. La différence par rapport au Leko d’il y a cinq, six ou sept ans, c’est que maintenant, je suis à 100 % à chaque match. Je pense que quand on a joué 80 rencontres en D1 espagnole, on a prouvé qu’on pouvait mieux que seulement jongler avec le ballon.

Que valez-vous au test de Cooper, qui consiste à courir pendant 12 minutes ?

Entre 3.000 et 3.300 mètres, ce qui est assez bon. La différence est cependant moins physique que mentale. Je suis devenu plus fort de ce point de vue. J’ai entamé sur le banc 70 % des matches durant mes deux premières saisons à Malaga. Ce fut très pénible. Quand on n’est pas bien dans sa tête, on s’expose à des problèmes. J’ai beaucoup changé depuis. J’ai appris que chaque joueur du noyau devait être prêt à tout moment, qu’il soit titulaire ou non. L’arrivée de Juande Ramos, durant ma troisième année, a été capitale dans mon changement de style car il a beaucoup parlé avec moi. C’est lui qui a eu le plus d’influence sur ma carrière, avec Sinisa Jalic, qui m’a entraîné pendant sept ans dans les catégories d’âge de Split.

Combien de cartes prenez-vous par saison ?

Entre cinq et sept jaunes car quand on lit le jeu, il est parfois nécessaire de commettre une faute, mais je n’ai jamais été exclu.

Pourquoi avez-vous dû quitter Malaga au début de cette année ?

Parce que le club allait engager l’avant brésilien Fernando Baiano. En tant que quatrième joueur non communautaire, j’allais être écarté du noyau puisque mon contrat prenait fin en juin alors d’autres joueurs aptes à évoluer à ma place étaient encore liés pour deux ans à Malaga. Le club m’a donc suggéré d’aller voir ailleurs. C’est quand même difficile à comprendre car jusque-là, j’étais titulaire. Cette décision émanait du club. L’entraîneur a continué à m’aligner et durant cette dernière année à Malaga, je n’ai lu que des commentaires positifs des journalistes espagnols à mon sujet. Ce sont des choses qui arrivent, dans la vie. Je n’avais pas non plus envie d’achever la saison là juste pour l’argent. Après un entretien avec le sélectionneur, j’ai opté pour un retour à Hajduk, car je voulais enfin devenir titulaire en équipe nationale et il m’a plus ou moins suggéré de revenir à Split, dans cette perspective. De fait, j’ai été titularisé lors des trois derniers matches de la Croatie, qui a de réelles chances de se qualifier directement pour le Mondial allemand.

 » Laissez-moi les coups francs  »

A Hajduk Split, vous avez marqué respectivement 10 et 14 buts durant les deux saisons qui ont précédé votre départ en Espagne, alors qu’à Malaga, vous n’avez inscrit que quatre buts en 80 matches. Pourquoi ?

A Malaga, je ne bottais pas les penalties et pas tous les coups francs non plus car nous étions deux ou trois à avoir un bon tir du gauche et nous nous relayions. Je n’ai marqué qu’un seul but sur coup franc en trois saisons et demie à Malaga alors qu’ensuite, en trois mois à Split, j’ai inscrit cinq buts, dont deux sur coup franc et deux sur penalty. Pour développer votre meilleur football et marquer, vous devez être aligné à une position favorable et vous y sentir bien.

Comment êtes-vous le meilleur : juste derrière les avants ou derrière le ballon ?

Je ne sais pas. Je préfère peut-être jouer derrière le ballon, organiser l’équipe et lui donner corps pendant 90 minutes plutôt que d’attendre quatre ou cinq moments favorables devant le ballon.

Savez-vous déjà quel numéro vous aurez à Bruges ?

Pas encore. Marc Degryse m’a dit que ce n’était pas encore décidé. Avant, je portais toujours le 10. Ces dernières années, j’avais le 18. J’ai demandé un de ces deux numéros à Bruges.

Nastja Ceh parti, Bosko Balaban va sans doute vouloir botter les coups francs.

Je le connais (il rit) ! Il adore cet exercice. L’entraîneur devra trancher mais je pense qu’il vaut mieux que je me charge des coups francs de la droite, grâce à mon pied gauche, et Bosko des tirs du côté gauche.

Quel est le plus beau coup franc que vous ayez botté ?

Je ne sais pas. J’ai savouré les deux buts marqués en 2001 dans le dernier match de championnat, décisif, contre Varteks, car ils ont offert le titre à Hajduk. Un coup franc et un penalty. Je conserve un beau souvenir aussi de mon but au Camp Nou, même si Malaga y a perdu 5-1. J’ai réalisé une action complète : j’ai passé deux hommes puis tiré en force des 20 mètres.

Pourquoi êtes-vous devenu footballeur ?

C’est normal, ici : on naît avec un ballon, comme le disent les gens. On y joue avec des copains dès l’âge de deux ou trois ans. Dans ma famille, tout le monde aime le football et assiste à des matches. Mon père a joué aussi mais jamais à un haut niveau. Il est ingénieur. Mon frère a joué à Hajduk avant d’entamer ses études d’architecte à Zagreb.

Gamin, je n’ai jamais eu d’idole mais j’aimais les footballeurs créatifs. Diego Maradona, Zvonimir Boban, Zinedine Zidane, Michel Platini. Je me suis affilié à Split à 10 ans. En catégories d’âge, j’ai toujours joué avec Stipe Pletikosa et Igor Tudor. J’étais toujours numéro 10 et capitaine. Je suis devenu international dans les -14 ans et je suis resté capitaine jusqu’en -21 ans. Nous avions une bonne équipe : Tudor, Pletikosa, Igor Biscan (Liverpool), Bosko, Tomislav Sokota (Benfica). Nous battions toutes les grandes nations : l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, le Portugal. La génération Xavi, Gerard, Puyol, Pirlo. J’ai débuté en équipe fanion à Hajduk à 17 ans. La première année a été pénible car j’ai souvent fait banquette, ce qui ne m’était encore jamais arrivé.

Malaga m’a embauché sur la base de mes matches avec les -17 ans croates. L’Inter, la Fiorentina et le Deportivo s’intéressaient aussi à moi. Malaga ne m’a jamais visionné avec Hajduk. Je pense qu’il a offert 500.000 euros au club et il m’a donné un bon contrat. Là, pour la deuxième fois de ma carrière, j’ai dû surmonter des moments pénibles. Il est difficile d’entrer dans une équipe qui tourne bien, encore plus quand elle est étrangère : personne ne vous attend, vous devez vous imposer. Cela m’a aidé à progresser car ça a éveillé la rage de vaincre qui sommeillait en moi.

Se fâcher et s’améliorer

A 22 ans, vous étiez capitaine de Hajduk. Etes-vous un leader ?

Je ne sais pas. C’est quelque chose d’inné, en tout cas. Je pense que les gens croient en moi et en mon caractère. Si je suis si vite devenu capitaine, c’est sans doute parce que j’étais originaire de Split, que je jouais bien et que j’avais toujours porté le brassard. J’aime communiquer, corriger ce qui ne va pas, afin que mes coéquipiers sentent que nous mettons tout en £uvre, ensemble, pendant 90 minutes, pour gagner.

Quel style de jeu aimez-vous ?

En possession du ballon. J’aime les équipes organisées, ambitieuses et offensives.

Chelsea ou Barcelone ?

For me : always Barça ! La saison passée, Barcelone a particulièrement bien joué mais je commence à apprécier Chelsea. Il ne faut jamais oublier qu’en football, l’essentiel est d’obtenir des résultats. S’ils sont positifs, tout va bien. Dans le cas contraire, les ennuis commencent. On remet en question le système, l’entraîneur, les joueurs, tout.

Pourquoi n’avez-vous pas émergé plus tôt en équipe nationale ?

Parce que la Croatie a toujours eu de bons médians : Boban, Robert Prosinecki et Aljosa Asanovic. Etre repris dans l’équipe a été très difficile et je n’ai pas eu de chance dans mes premiers matches. Mais je pense que mon heure est arrivée.

Quel genre de personnalité le vestiaire brugeois va-t-il découvrir ?

Un homme normal qui rigole, fait des plaisanteries mais travaille sérieusement.

Explosif comme tant de Croates ?

Je suis explosif mais je sais ce que je dois faire et à quel moment. J’espère que ça continuera. Même quand je joue avec des copains, je veux gagner. Je trouve normal qu’on explose parfois, dans des matches à l’enjeu important. Montrer qu’on n’est pas content permet de s’améliorer.

Qu’attendez-vous encore de votre carrière ? Rêvez-vous d’un retour en Espagne ?

Je rêve que j’essaie de gagner tous mes matches et que je progresse. J’ai 27 ans, mes meilleures années arrivent. J’ignore ce qui viendra après Bruges mais je suis convaincu que quand on fait son travail sérieusement, on en obtient beaucoup de satisfactions. Je suis croyant, oui. C’est important pour ma famille et cela m’inspire. Je fais toujours le signe de croix avant de monter sur le terrain.

Christian Vandenabeele, envoyé spécial à Split

 » Je ne suis PAS ASSEZ RAPIDE POUR JOUER SUR LE FLANC « 

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