Faire 2 x plus

Après une escapade à Gand, Eupen et Mouscron, ce flanc gauche de 25 ans refait surface, chez lui, en bord de Meuse. Portrait du parcours d’un combattant.

Un an de galère. Une pleine année composée de travail physique contraignant, de souffrances psychologiques et d’incertitudes. Un retour à la case départ. Du moins, là où la carrière pro a débuté. Retour dans un club qui joue les premiers rôles, où la concurrence bat son plein, les attentes hautes et les secondes chances plutôt rares. Pour revenir dans le coup, Mustapha Oussalah a dû faire face avec ces composantes. Le 21 janvier 2006, en plein boom sous le maillot de Mouscron, le Belgo-Marocain est stoppé net dans son élan lors d’un déplacement au Daknam. A la 56e minute, alors qu’il déborde sur son flanc gauche, Aboubacar Camara, défenseur guinéen de Lokeren, le tacle durement, pour ne pas dire plus…

Résultat : fracture du tibia et le foot mis de côté.  » J’ai traversé un long chemin depuis ce sinistre épisode. Heureusement, j’ai toujours pu compter sur le soutien de ma famille. Un footballeur, dans pareille situation, n’est rien sans l’appui de ses proches « , soulève Oussalah dont les marques d’affection pour sa famille seront le fil rouge de notre entretien.  » Le plus cocasse, c’est que mon come-back dans un match officiel, je l’effectue avec la Réserve du Standard sur ce même maudit terrain ! Ça ne m’a pas déstabilisé pour autant. J’ai tout donné durant la rencontre, sans arrière-pensée. J’avais vaincu le mauvais sort « .

Quant à son bourreau, il préfère l’ignorer :  » Au-delà du fait que son intention n’avait rien de sportif, la moindre des choses quand on blesse un adversaire, c’est de prendre de ses nouvelles par la suite. Il ne l’a jamais fait. Tant pis. Aujourd’hui, le chapitre est clos « .

 » Preud’homme est devenu plus fort  »

Ce coup d’arrêt pendant la saison 2005-2006 le place sur une voie de garage au Canonnier. Le Standard le repêche alors. Un retour au bercail, deux ans et demi après l’avoir quitté pour La Gantoise (en janvier 2004). Et ce n’est pas pour lui déplaire, malgré une belle période chez les Hurlus. Aux commandes du navire rouche, il retrouve l’amiral Michel Preud’homme :  » Il était déjà en poste à l’époque de mon départ pour Gand. Si je note des changements concernant son coaching ? Il est devenu plus fort. Sa nervosité, par exemple, est moins visible qu’avant. Aujourd’hui, il nous fait comprendre nos mauvaises performances avec un certain détachement « .

Concernant le club, il note aussi quelques évolutions :  » Le club a grandi. Au Standard, nous disposons d’un outil de travail fantastique. Nous sommes véritablement choyés. Au niveau des jeunes, cela a changé également. On les lance plus rapidement dans l’arène « .

Référence faite, bien évidement, aux réussites de Marouane Fellaini et d’Axel Witsel. Jeune du crû, tout comme eux, il est le seul de sa promotion à être toujours en poste et ce, même s’il a fallu passer par les cases Gand, Eupen (D2) et Mouscron. Les Jinks Dimvula (Seraing RUL), Mohamed El Yamani (Al Zamalek le Caire, Egypte), Donovan Maury (Sambenedettese, D3 Italie) et autres Jonathan Walasiak (Metz) ont trouvé (in)fortunes ailleurs.  » Et pourtant, c’était une génération formidable. La mentalité, l’ambiance qui régnait, je ne suis pas près d’oublier. Je me rappelle ce match à Tbilissi en Géorgie, le 28 juin 2000, pour le compte de l’Intertoto. Trop tôt dans la préparation, la direction du Standard avait préféré laisser les joueurs A au repos et envoyer les jeunes pour ce déplacement. Après avoir été menés 2-0, nous avons réussi à égaliser en seconde période. Ce résultat a eu une saveur toute particulière « .

 » Trop dur avec moi-même  »

Plus de six années après, Oussalah, unique survivant, ne fait pourtant pas partie des cadres en bord de Meuse. Une brève apparition au Brussels va marquer son retour sur les pelouses de l’élite. Le Standard bat alors à plein régime. La semaine suivante, il profite de la défection d’Eric Deflandre : Frédéric Duprez coulisse au back droit et Oussalah occupe l’autre aile défensive dès le coup d’envoi. Une autre titularisation en championnat, à domicile face à Beveren, suivra.  » Je sais que je dois encore monter en puissance. Je ne suis pas encore à 100 %. Pour cela, il faut que je me débarrasse de certaines craintes. Je suis parfois trop dur avec moi-même. Je voudrais tant retrouver mes sensations optimales. Et ça se sent aux entraînements comme en matches. Moi qui suis d’un naturel dribleur, je n’effectue plus ces gestes, alors que quelqu’un en confiance fonce tout simplement. Pourtant, je suis bien entouré. Le groupe ne cesse de me rassurer. Ali Lukunku, par exemple, a connu de gros pépins physiques et me conseille. Il faut que je reste calme « .

En fin de contrat, comme bon nombre de joueurs au Standard, ce paramètre ajoute-t-il une dose de stress supplémentaire ?  » Non. Là-dessus, je ne me fais pas de bile. Michel Preud’homme connaît assez mes qualités pour m’évaluer objectivement. Je sais que je pourrais prolonger mon séjour ici. Le tout est de savoir à quel prix ? Car je ne dois plus trop tergiverser à mon âge. En dehors de l’aspect financier, j’ai ici tout ce dont je rêve : un stade magnifique, des supporters explosifs et mon entourage qui vit près du club. De toute façon, ça n’est qu’un bout de papier. Après les tracas que j’ai endurés suite à ma fracture, je relativise plus facilement. Concernant mon futur, j’ai totale confiance en mon avocat Me Faska qui gère cet aspect de ma carrière « .

Le départ de Milan Rapaic, lui aussi en fin de contrat, et qui occupe le poste de milieu gauche que Mustapha affectionne tant, pourrait-il être déterminant ?  » On se doute tous que Milan ne risque pas de poursuivre sa route du côté de Liège. J’ai l’impression qu’il voudra encore monnayer son talent ailleurs. Mais, ça ne fait pas partie de mes préoccupations. Pour l’instant, ce qui m’importe, c’est retrouver mon niveau de jeu et que le club termine sa saison en atteignant ses objectifs. On a encore cette troisième place à défendre et la Coupe au programme. Mais la priorité reste au championnat « .

Le groupe fait bloc

Le double affrontement en Coupe face aux Mauves n’intervenait-il pas trop tôt après la défaite au parc Astrid en championnat ? Le moral en avait-t-il pris un coup ?  » Je n’ai pas cette impression « , disait le Liégeois avant le match aller.  » Le groupe fait toujours bloc. A Anderlecht, c’est vrai que nous ne nous sommes pas créé beaucoup d’occasions. Mais en face, non plus. On en a énormément dit sur cette rencontre, mais au final, ce n’est que 1-0 « .

Monté au jeu à dix minutes du terme, Oussalah n’a eu que très peu de temps pour s’illustrer lors du clasico. Au contraire d’un certain Ahmed Hassan qui, du banc de touche, lui en a mis plein les yeux.  » J’ai vraiment adoré sa prestation même si c’était à notre détriment. Les deux extérieurs du pied qu’il a envoyés à Mémé Tchité en seconde période valaient à eux seuls le déplacement. Son jeu est fluide, beau à voir, tout semble facile pour lui. Avant qu’il n’atterrisse dans notre championnat, je ne le connaissais pas. Quand j’ai su qu’il avait terminé meilleur joueur de la Coupe d’Afrique des Nations, je me suis dit, comme beaucoup, que c’était un joli coup pour notre compétition. Et on ne s’est pas trompé « .

La CAN, Oussalah espère pouvoir la disputer un jour. Car depuis le 10 septembre 2003 et un match avec la sélection marocaine contre Trinité & Tobago, le Standardman ne peut plus répondre à un appel éventuel des Diables.  » J’ai mêlé le choix sportif au choix du c£ur. Je me sens Belge, mais le Maroc a une symbolique très forte pour moi. Je n’avais jamais été appelé chez les Diablotins, alors quand j’ai reçu cette convocation, je pouvais difficilement la refuser. Pour mon unique match avec les A – NDLR, il compte également un match avec l’équipe B face au Mali -, je me suis retrouvé avec des monuments comme Nourredine Naybet, Talal El Karkouri ou Youssef Hadji. J’étais émerveillé, il y avait quelque chose d’indéfinissable… C’est beau, c’est le Maroc « .

A l’entendre parler, on comprend vite qu’il n’a qu’un souhait : rééditer l’expérience avec les Lions de l’Atlas. Avant cela, il retrouvera la terre de ses origines cet été. Cela fait 4 ans qu’il n’est plus retourné au bled. Son père vient de Rimissad près de Rabat et la terre natale de sa mère se situe près de la frontière avec l’Algérie, à Oujda. Une mère qu’il a perdue à l’âge de 14 ans, en pleine adolescence.  » Dès cet instant, mon père a tout pris sur ses épaules. Il s’est occupé tout seul de moi, mon frère et ma s£ur. J’aurai éternellement une admiration sans bornes pour ce qu’il a réalisé. Si j’ai su traverser certains événements douloureux, c’est à lui que je le dois. Il représente tout pour moi. J’aimerais tant lui ressembler un jour. Aujourd’hui, il s’est remarié et a même une nouvelle fille, Rachida. Depuis qu’elle est née, c’est devenu mon rayon de soleil. Moi qui avais toujours voulu un garçon en premier lieu, depuis qu’elle est parmi nous, j’ai complètement changé d’avis « .

 » Le Marocain de service  »

Fort de ces attaches familiales ou historiques, il a également et inévitablement la Belgique dans la peau.  » Je suis né ici et j’ai grandi ici. Je suis un pur Liégeois. Quand je quitte la Belgique plus de trois semaines, j’ai hâte d’y revenir. C’est ici que se trouvent mes repères. On a trop souvent l’habitude de se plaindre : des taxes trop élevées, un temps difficile, etc. Il suffit de s’éloigner de nos frontières pour comprendre que c’est excessif. Chez nous, les gens ont droit à une bonne sécurité sociale, à une médecine compétente. Ce n’est pas le cas partout. La cousine de mon père, qui vivait en Italie, est venue nous rejoindre pour soigner son fils. En Italie, son cas empirait, ici, ça s’est résolu. Je ne pourrais jamais renier ce pays. D’ailleurs, mon père me charrie sans cesse en me disant que je ne suis pas Marocain. De toute façon un Belge d’origine marocaine qui retourne au bled et veut se faire passer pour un gars du coin, n’y arrive jamais. Les différences sont là « .

Dans ce paysage positif, certaines zones d’ombre persistent.  » Aujourd’hui, je ne suis plus victime de racisme, mais avant, oui. Quand j’ai débarqué en Scolaires au Standard, je suis tombé dans une équipe avec beaucoup de fils à papa. J’étais le Marocain de service et j’ai dû me battre doublement pour faire mon trou. Pour mon père, c’était pire : je le voyais se lever à cinq heures pour partir à l’usine où il devait lui aussi mettre les bouchées doubles pour gagner sa croûte pendant que d’autres se la coulaient plus douce. De toute façon, pour un immigré, c’est la règle : il faut en faire deux fois plus pour gagner sa place au soleil « .

par thomas bricmont – photo: reporters-mossiat

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