FAIBLE, la D1 ?

Ramons, pour une fois, à contre-courant de l’opinion générale et clamons :  » Non, la Ligue Jupiler n’est pas si faible ! « 

Les Belges aiment se plaindre, c’est connu. Lorsqu’il pleut, ils se plaignent. Lorsqu’il fait trop chaud, ils se plaignent aussi. En football, il n’en va pas autrement. Lorsque l’équipe nationale perd, c’est parce qu’elle est mauvaise. Lorsqu’elle gagne, c’est parce que… l’adversaire est mauvais. Le championnat de D1, à entendre beaucoup de personnes, ne vaudrait pas tripette. Pourtant, ce n’est pas l’avis des joueurs, entraîneurs et observateurs qui ont connu d’autres championnats. BertrandLaquait, considéré comme le meilleur gardien actif sur nos pelouses, est le premier à l’affirmer :  » Il n’y a que les Belges eux-mêmes qui pensent que leur championnat est mauvais « .

Le véritable problème du championnat de Belgique se situe ailleurs : dans le manque de moyens financiers, dans la vétusté de certains stades, dans la concentration d’un trop grand nombre de clubs autour de l’E17… Mais, sur le plan purement qualitatif (et à condition de comparer ce qui est comparable), le spectacle offert souffre-t-il réellement de la comparaison avec celui présenté dans des matches similaires de championnats voisins ? Notre opinion est parfois tronquée. La télévision nous gave d’images venues d’ailleurs, toutes plus belles les unes que les autres. Il est clair que Roulers-Westerlo ne soutient pas la comparaison avec la finale de la Ligue des Champions entre Liverpool et le Milan AC. Mais, pour autant, tous les matches étrangers ne sont pas palpitants. Nous avons vu, cette saison, un match de Premier League entre Manchester United et Aston Villa qui a eu bien du mal à démarrer et un match de Ligue 1 française entre Auxerre et Lyon où il ne s’est plus rien passé pendant une heure à partir du moment où l’OL a ouvert la marque. Certes, les échanges étaient plus rapides à Old Trafford et le niveau technique plus élevé à l’Abbé-Deschamps, mais il y a également moyen de bien s’amuser à certains matches du championnat de Belgique. Genk-Anderlecht, par exemple, était au moins aussi passionnant qu’Ajax-Feyenoord, qui se disputait le même jour et qui avait mis nos voisins du nord en émoi. Qu’en pensent les acteurs et observateurs ?

Pas facile pour un étranger de s’imposer en Belgique

EmilioFerrera n’a pas encore officié à l’étranger, si l’on excepte un bref passage comme adjoint de LeoBeenhakker à l’America de Mexico. Mais il visionne énormément de matches étrangers, que ce soit comme consultant pour une chaîne de télévision ou pour notre magazine, ou pour son enrichissement personnel.  » Si vous essayez de me convaincre que le championnat de Belgique n’est pas aussi faible que certains veulent bien le dire, vous prêchez un convaincu « , affirme-t-il.  » Je suis profondément irrité par toutes les critiques que certains émettent, parfois pour le simple plaisir de critiquer. Qu’il y ait de mauvais matches, c’est une évidence. Mais il y en a dans tous les pays. Les exemples abondent de joueurs provenant de championnats bien plus huppés que le nôtre et qui éprouvent de grosses difficultés à s’imposer sur nos pelouses. Prenons simplement l’exemple de FabriceEhret, qui est arrivé en droite ligne de la Ligue 1 française et qui n’est toujours pas parvenu à faire son trou à Anderlecht. Même BoskoBalaban, pourtant un international croate confirmé qui sortait de la PremierLeague anglaise, n’a pas directement cassé la baraque à Bruges. Malgré tout leur bagage et toute leur expérience, ces joueurs-là n’ont pas plané d’emblée au-dessus du lot. Le championnat de Belgique est également très intéressant d’un point de vue tactique. On trouve deux catégories d’équipes : celles qui ont de gros moyens et les autres. Celles qui ont peu de moyens doivent avoir… plus d’idées. Elles rivalisent donc d’ingéniosité pour essayer de contrecarrer les plans de l’adversaire « .

GeorgesLeekens, qui a entraîné aux Pays-Bas, en Turquie et en Algérie, abonde dans le même sens.  » La pression est moins grande en Belgique qu’en Turquie et en Algérie. Mais, pour autant, notre championnat doit-il être sous-estimé ? Comme l’a dit Emilio Ferrera, beaucoup de joueurs étrangers qui viennent jouer chez nous éprouvent des difficultés à s’imposer. La plupart d’entre eux ont besoin de quatre ou cinq mois pour s’adapter. C’est un championnat où il n’est pas facile d’évoluer. Chez nous, on pense souvent à la deuxième ou à la troisième action, alors que dans d’autre pays comme les Pays-Bas, c’est terminé lorsque l’action individuelle est arrivée à son terme. Outre-Moerdijk, on joue de façon plus ouverte, mais on laisse également beaucoup plus d’espace derrière, ce qui facilite la tâche des attaquants. Les Néerlandais continuent à jouer avec des ailiers, alors qu’en Belgique c’est devenu très rare. Chez nous, on est aussi très fort sur les phases arrêtées, et c’est un atout car dans le football moderne, on inscrit désormais 50 % des buts sur ce genre de phases. Techniquement, les joueurs belges n’ont jamais été les meilleurs du monde, mais pour compenser ces lacunes, ils essaient de se montrer plus malins, de développer des tactiques élaborées et de témoigner d’un engagement total. On a de bons joueurs en Belgique, et je ne suis pas d’accord avec ceux qui les critiquent sans cesse. Certes, nous n’avons pas encore d’éléments capables d’évoluer dans les plus grands clubs d’Europe comme Arsenal, Chelsea ou Milan, mais tout de même… On ne doit pas se sous-estimer inutilement. Lorsqu’on a connu l’étranger, on se rend compte que ce n’est pas si mal chez nous « .

Souvent amusant et tactiquement très instructif

MarcWilmots, qui a connu l’ambiance enfiévrée des stades de la Bundesliga, est plus sévère. Mais il veut, lui aussi, positiver.  » Il est clair qu’on ne peut pas comparer la Ligue Jupiler avec la Bundesliga. Chez nous, on accueille 5.000 spectateurs pour un match de championnat alors qu’en Allemagne, il y en a 50.000. Le niveau est plus élevé outre-Rhin et la charge de travail est supérieure également. Pour autant, tout n’est pas mauvais chez nous. Je m’amuse beaucoup depuis que j’officie comme consultant. Je vois beaucoup de choses intéressantes. Il y a des jeunes joueurs qui s’affirment et qui, pour autant qu’ils aient la patience voulue afin de ne pas brûler les étapes, pourraient réussir une belle carrière. Il y a dix jours, j’ai vu une superbe équipe de Beveren contre Bruges. Deux jours plus tard, j’ai assisté à un combat tactique lors de Gand-Brussels. C’était un 3-5-2 face à un 4-4-2 ou un 4-2-3-1. En théorie, il y avait donc un homme en plus dans l’entrejeu gantois. En pratique, on a découvert toute l’animation du jeu. Pour un passionné de football, c’est très intéressant. L’apport des entraîneurs français est un enrichissement pour notre championnat : ils expliquent très bien aux joueurs comment ils doivent courir, pourquoi ils doivent courir, comment ils doivent fermer les espaces et rester compacts. Nous, les Belges, avons souvent tendance à nous sous-estimer et cela produit des effets négatifs : on part souvent battu d’avance. Or, il n’y a pas de quoi : au départ d’un match, c’est toujours 11 contre 11, et tout le monde a deux bras et deux jambes. Cela me rend malade de voir qu’après Chelsea-Anderlecht, les joueurs du Sporting ont levé les bras alors qu’ils ont été battus « .

AlbertCartier, aujourd’hui entraîneur du Brussels après avoir été celui de La Louvière, découvre le championnat de Belgique de l’intérieur depuis un an et demi.  » Techniquement, il est incontestablement d’un niveau inférieur à celui du championnat de France « , concède-t-il.  » Il n’empêche qu’avec d’autres arguments, il est très intéressant également. L’un des pôles d’intérêt est le fait qu’il se nourrit de cultures diverses. Il y a de très bons entraîneurs qui n’hésitent pas à s’inspirer de ce qui se fait au-delà des frontières pour faire progresser leur équipe. On trouve beaucoup de variété tactique. Les différences de style entre les équipes sont parfois flagrantes. A La Louvière, j’entraînais une équipe à dominante technique, alors qu’au Brussels, je dois m’appuyer sur d’autres valeurs comme l’engagement et la solidarité. Ces différences de styles se retrouvent à tous les niveaux. Au sommet, Bruges n’est pas Anderlecht. Il y a une différence de géométrie, qui se reflète au rapport taille/poids. Un échelon plus bas, La Gantoise et le Brussels sont aussi aux antipodes. La moyenne de taille des Gantois est de 1m90 et la nôtre de 1m70, en exagérant à peine. Par rapport à la France, l’une des grandes différences est qu’outre-Quiévrain, l’adversaire vous laisse jouer jusqu’aux abords des 30 ou 35 mètres où, là, il érige une barrière. Alors qu’en Belgique, beaucoup d’équipes chassent le ballon sur tout le terrain, et en tout cas déjà au niveau de l’entrejeu. L’influence britannique ? Peut-être. Et si c’était tout simplement… l’influence belge ? J’ai vu beaucoup de matches de qualité dans le championnat de Belgique. Ce qui m’a incité à poursuivre l’expérience dans votre pays, c’est la volonté que j’ai ressentie chez beaucoup de personnes, du côté francophone comme du côté néerlandophone, de reconstruire et de franchir un cap. Si je peux les y aider modestement et apporter ma toute petite pierre à l’édifice, ce sera avec plaisir « .

Un championnat ouvert et d’un bon niveau

Slavo Muslin, l’entraîneur serbe de Lokeren, a connu de nombreux championnats. Comme joueur, il a évolué en Yougoslavie et en France, et comme entraîneur, il a officié en France, au Maroc, en Serbie & Monténégro, en Bulgarie et en Ukraine. Il découvre le championnat de Belgique.  » Ce qui est intéressant, c’est que c’est un championnat très ouvert « , affirme-t-il.  » Tout le monde peut battre tout le monde. Y compris les trois grands. Beveren a battu le Standard et a failli battre Bruges. Saint-Trond s’est imposé à Charleroi. Les résultats sont très difficiles à prévoir. Je n’avais pas connu cela dans les autres championnats, où c’était beaucoup plus prévisible. Le niveau technique, tactique et physique est plus qu’honnête. Certes, ce n’est pas le top européen. Ce n’est pas la PremierLeague anglaise, la Liga espagnole ou la Bundesliga allemande. Mais c’est largement supérieur à ce que je m’étais imaginé. Vu de l’extérieur, le championnat de Belgique donne parfois l’impression d’être un peu fade, mais lorsqu’on est plongé dedans, ce n’est pas du tout le cas. Ce que je découvre me plaît beaucoup « .

NicholasHarling est journaliste pour le mensuel britannique WorldSoccer. Il vient régulièrement en Belgique pour suivre des matches.  » Surtout des matches européens, un peu moins des matches de championnat « , précise-t-il.  » Mais ce que je vois dans votre pays me plaît. Je ne suis pas tellement partisan des matches qui se disputent à 100 à l’heure et où l’on se rentre dedans à tout bout de champ, comme en Angleterre. Le rythme un peu moins élevé adopté par les équipes belges permet d’apprécier d’autres aspects du jeu, comme le bagage technique ou les trouvailles tactiques. Il y a de très bons entraîneurs dans votre pays. TrondSollied, qui est malheureusement parti à l’Olympiacos, était un coach de très haut niveau. Tactiquement, il était à la hauteur des meilleurs. Je trouve aussi que l’on s’est montré beaucoup trop sévère en jugeant Anderlecht la saison dernière. Le Sporting a, certes, perdu six rencontres d’affilée en Ligue des Champions, mais dans une poule particulièrement relevée. Et, cette saison, c’est encore pire pour les Bruxellois. Ce n’est pas une honte de s’incliner contre Valence, le Werder Brême ou Chelsea. Des équipes comme Bruges et Anderlecht tiendraient parfaitement la route en PremierLeague. Je ne dis pas qu’elles joueraient le titre, mais elles auraient leur mot à dire « .

Sergio Conceição, un vrai plaisir

JesusBernal, ancien dirigeant du club espagnol de Levante, aujourd’hui reconverti en recruteur international pour plusieurs équipes dont la Real Sociedad, Saragosse et l’Espanyol, vient régulièrement en Belgique, lui aussi.  » Je m’y suis encore rendu très récemment, lors du tour préliminaire de la Ligue des Champions entre Bruges et Valerengen, et lors du match de championnat entre le Standard et Saint-Trond. Je m’étais rendu à Sclessin pour présenter JavierCalleja, un flanc gauche de Villarreal qui était barré dans son club par JuanPabloSorin. Je voulais lui montrer l’ambiance d’un grand club belge et le joueur a été séduit. Nous avons été très bien accueillis par le directeur général PierreFrançois, mais LucienD’Onofrio n’a pas voulu du joueur et l’affaire ne s’est pas faite. Soit : c’est une autre histoire. En ce qui concerne le niveau du championnat de Belgique, il est clair qu’il a baissé par rapport à ce qu’il était il y a dix ou vingt ans, quand Anderlecht allait toujours très loin dans les compétitions européennes. Aujourd’hui, il n’y a plus que quatre ou cinq joueurs qui seraient capables de jouer à un haut niveau dans la Liga. Par contre, la Ligue Jupiler pourrait constituer un réservoir très intéressant pour des clubs espagnols de SegundaDivision. A l’époque où je travaillais pour Levante, alors en D2 et sans grands moyens financiers, je m’étais intéressé de très près à des joueurs comme FrédéricHerpoel, RobertoBisconti, AndrésMendoza, Dieter Dekelver, TomSoetaers et YannisAnastasiou. Ils auraient parfaitement fait l’affaire, mais cela ne les intéressait sans doute pas de jouer en D2. La saison dernière, je me suis également intéressé à des joueurs comme SamirBeloufa et BenjaminDeCeulaer. Le championnat de Belgique vaut surtout par ses quatre grands clubs : Anderlecht, Bruges, le Standard et Genk. Par contre, dans le bas du tableau, il y a des équipes très faibles. Ostende la saison dernière, et Saint-Trond cette saison, me sont apparus très poussifs. Bruges m’a déçu contre Valerengen, mais j’ai peut-être vu les Flandriens dans un mauvais jour. Par contre, le Standard m’a bien plu et un joueur comme Sergio Conceiçao serait un enrichissement pour n’importe quel championnat. C’est un vrai plaisir de le voir, il est largement au-dessus des autres sur le plan du talent. Parmi les points positifs, je constate également que l’équipe nationale des -21 ans réalise toujours de très bons résultats. Cela démontre qu’il existe un potentiel en Belgique. Pourquoi ce potentiel ne s’exprime-t-il pas par la suite ? C’est une autre question « .

Daniel Devos

 » JE M’AMUSE BEAUCOUP en suivant le championnat de Belgique comme consultant  » (Marc Wilmots)

 » LE NIVEAU EST BIEN PLUS ÉLEVÉ que je l’imaginais  » (Slavo Muslin)

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