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Metz et Lille ont investi à Seraing et au RMP. Pourquoi ? Les dessous de cette implication.

Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte : la D2 est devenue un mouroir et nouer les deux bouts devient de plus en plus compliqué. Chaque club cherche des solutions, ce qui donne parfois lieu à certaines situations périlleuses, comme l’Antwerp en a connues ces dernières années. Mais c’est encore pire pour les clubs plus modestes, ceux qui ne peuvent pas compter sur une base de supporters énorme ou sur une histoire riche. Ceux-là doivent sans cesse activer de nouveaux filons pour boucler le budget.

Malgré des prestations sportives remarquables, compte tenu des moyens, Boussu-Dour en a fait l’amère expérience, en devant vendre son matricule, faute de sous. Visé s’est tourné vers la piste indonésienne, sans grand succès, avant de passer sous pavillon anglais. Tubize vient de se lancer dans l’aventure sud-coréenne. Avant eux, le Lierse et Turnhout avaient exploré la piste égyptienne. Voilà pour les investisseurs les plus exotiques.

D’autres ont préféré trouver des synergies avec le marché le plus proche : la France. C’est le cas du RMP et de Seraing United, sous la coupe de Lille et de Metz. Les deux clubs belges ont-ils la même approche du problème ? Que cherchent les clubs français en investissant en Belgique ? Et le modèle peut-il être dupliqué à d’autres clubs ? Sport/Foot Magazine a mené l’enquête.

Mouscron, l’appel de la frontière

Le premier club à tenter l’expérience hexagonale se nomme Mouscron. Mis en faillite fin 2009, les Hurlus, tout en changeant de nom, étaient repartis de zéro en Promotion.  » Lors de ma première expérience comme président de Mouscron, j’étais déjà allé trouver les dirigeants du LOSC « , explique le président actuel du RMP, l’avocat Edward Van Daele.  » Ceux-ci avaient, à l’époque, fait un audit qui n’avait pas été concluant. L’endettement était tel que c’était trop cher payé et ils allaient continuer à perdre de l’argent pendant deux-trois ans avant d’atteindre le break-even. Il s’agissait d’un investissement trop lourd à supporter.  »

En 2010, Van Daele et ses amis, qui ont reconstruit un nouveau club, le RMP, sous les cendres du défunt Excelsior, se posent la question de l’objectif à long terme, sachant très bien qu’avec leurs seuls investissements, le club devrait se satisfaire de la D3 ou de la Promotion.  » Si nous voulions viser plus haut, il nous fallait un appui et un apport extérieur.  » C’est alors que la piste lilloise est ranimée.  » Les contacts d’avant-faillite avaient été chaleureux et cette solution nous paraissait naturelle, vu la proximité entre les deux villes.  »

Pourtant, le LOSC se fait quelque peu prier.  » Après des mois de discussions, Lille a fait une entrée conditionnelle et progressive dans le capital.  » Première condition : hausser le niveau sportif, Lille n’étant intéressé que par un club de D1 ou D2. Deuxième condition : uniformiser les pratiques et mutualiser afin de faire des économies d’échelle. Troisième condition : respecter scrupuleusement le budget.  » De notre côté, nous avons insisté pour conserver un ancrage mouscronnois. Nous voulions que le RMP évolue dans les installations mouscronnoises et que le Futurosport soit maintenu et développé.  »

Frédéric Paquet, directeur général du LOSC, à l’origine de l’accord, reconnaît que le LOSC n’était pas très chaud au départ, Mouscron évoluant encore trop bas.  » D’autres clubs belges nous avaient contactés et nous avions également pensé à Tournai mais cela n’a finalement pas abouti « , dit Paquet.  » C’est vrai que la 4e division dans laquelle le RMP évoluait, c’était insuffisant pour nous. Nous avons commencé à investir une fois que Mouscron est monté en D3 avec l’optique d’un jour évoluer en D1.  »

Car le but du LOSC est d’avoir une tête de pont belge au plus haut niveau.  » L’objectif principal est de s’appuyer sur un club possédant des infrastructures de qualité et pas trop éloigné de chez nous pour compléter notre politique de formation. Nous avions remarqué que l’écart entre l’équipe première et la réserve (évoluant en CFA) était trop important. On cherchait un niveau intermédiaire afin que nos jeunes puissent s’aguerrir. Chaque année, on faisait le bilan. Après avoir raté la montée en 2013, nous avons quand même décidé de repartir pour un an. Si nous n’étions pas montés cette année, le projet devenait plus compliqué car la D1 constitue vraiment le niveau intermédiaire que nous recherchons, et ce, même si la D2 belge vaut mieux qu’un match de Réserve. Si au début, on avait du mal à convaincre nos joueurs de partir en prêt à Mouscron, ce n’est désormais plus le cas.  »

Respecter l’âme d’un club

Alors que le projet a de quoi séduire, l’ancrage régional étant manifeste, il peine cependant à fédérer les anciens supporters de l’Excel autour de lui.  » Dans chaque club, il y a toujours une bande d’abrutis qui ne font rien pour leur club et qui critiquent « , lâche Paquet.  » Moi, je vois une parfaite osmose entre dirigeants et une vraie cohérence sur la durée.  »

Van Daele se veut plus nuancé.  » Il y a un réel traumatisme lié à la disparition de l’Excelsior. Certains se sont trouvés orphelins de leur équipe et de son fanion. Tous leurs rêves ont été brisés en 1.000 morceaux. On peut comprendre qu’après la disparition, certains aient été échaudés et aient craint que notre projet ne tienne pas la route. Mais quand on cherche un partenaire, cela me paraît plus sain, transparent et évident d’aller voir son voisin plutôt qu’un investisseur sud-africain ou kazakh. Pour comprendre ce qui peut unir Lille et Mouscron, il suffit de se pencher sur la géographie.

Dans la région, beaucoup d’habitants ont leur porte d’entrée en Belgique et leur jardin en France. 20 % de la population mouscronnoise vient de France et de la région lilloise. Les capitaux qui ont permis à Mouscron de prospérer dans l’industrie textile venaient principalement de France. Il y a donc un lien très étroit entre Mouscron et Lille, tant au niveau social, géographique, économique et culturel.

Quand je demande aux gens ce qu’est l’âme, je ne reçois que des silences. Posons-nous la question ! Qu’est-ce que l’âme d’un club ? Le lieu où l’on preste ? Dans ce cas-ci, on joue à Mouscron. L’âme est donc respectée. La nationalité des membres du conseil d’administration ? Dans le nôtre, il y a six personnes qui viennent de Mouscron et deux de Lille. La fonction des administrateurs ? Le président et vice-président viennent de Mouscron. Le centre de formation ? Il est à Mouscron. L’esprit est donc respecté. La nationalité des joueurs ? Citez-moi un club qui tient compte de ce critère pour respecter son identité !

Ce critère ne tient pas la route, du moins à partir du moment où on quitte le monde du football amateur. Quand on opte pour le professionnalisme, il faut choisir les meilleurs joueurs qui rentrent dans un budget fixé. Je comprends que cette professionnalisation ne se fasse pas sans grincements de dents mais on doit s’imposer un fil rouge, un fil conducteur et cela implique de faire des choix.  »

Certains fidèles pointent du doigt l’omniprésence lilloise et la digèrent mal. Pourtant, il s’agit bien d’un partenariat.  » On ne peut pas demander à un partenaire de risquer son portefeuille sans accepter sa présence. Cela fait partie du jeu. Cependant, la partie décisionnelle est du ressort du conseil d’administration dans lequel il y a six Mouscronnois « , conclut Van Daele.

 » Moi, je suis militant d’une mutualisation des moyens. Nous sommes plus intelligents et efficaces en nous regroupant « , ajoute Paquet.  » Nous avons remarqué un déficit et nous avons voulu apporter au RMP notre expérience de la gestion d’un groupe pro. Mouscron avait de belles infrastructures mais, sans doute pour des raisons économiques, il n’y avait pas cette organisation humaine pour bien profiter de celles-ci. Le LOSC lui a fourni cela.  »

Serin, serein à Seraing

Le jeu de mot est trop évident et facile. Pourtant, désormais le patronyme du président du FC Metz, et très connu dans la cité liégeoise puisqu’il est propriétaire de Cockerill Maintenance et Ingénierie, entreprise qui rythme la vie du bassin sidérurgique de Seraing, colle davantage à Seraing et à son club de foot puisqu’il y est désormais l’actionnaire majoritaire.

La réflexion qui l’a guidé à investir ses propres deniers (et pas ceux de son club, le FC Metz, contrairement à ce qui s’est passé à Lille) à Seraing est similaire à celle du LOSC à Mouscron.  » Nous possédons le 5e meilleur centre de formation de France (…). Si notre réservoir est très important, l’entonnoir était un peu étroit « , reconnaissait Bernard Serin dans Sud Presse, le 22 juillet.  » On sait par expérience que c’est déjà très compliqué de faire rentrer chaque année dans l’effectif pro du FC Metz ne fût-ce que deux ou trois éléments issus de la formation.(…) Seraing doit permettre à nos jeunes de progresser.  »

Metz trouve ainsi un débouché supplémentaire pour ses jeunes (et une équipe capable de les aguerrir au sein d’une équipe première) et ce, dans un club avec lequel des liens étroits avaient été noués dans les années 80 (et qui avaient notamment abouti au transfert de Jules Bocandé). Ces liens historiques ainsi que l’attachement qui lie le président de Metz à la ville de Seraing et aux personnages qui gravitent autour, l’ont donc tout naturellement poussé à accepter la demande d’investissement de Mario Franchi, désormais président du nouveau Seraing United,qu’il côtoie depuis de nombreuses années.

Pourtant, pas question pour le nouveau club de D2 d’afficher trop clairement ce partenariat, afin d’éviter de se mettre d’emblée le public à dos. Seraing n’a accepté que trois joueurs de Metz dans son effectif 2014-2015 et Franchi insiste pour dire qu’il a le dernier mot en matière de politique sportive, même si Serin détient la majorité des parts.  » Pas question d’avoir un Metz bis à Seraing « , se défend Franchi.  » Nous ne sommes pas une filiale. Metz ne détient pas toutes les billes et ne décide pas de tout. Si Metz nous propose des bons joueurs, pourquoi pas, mais nous avons un droit de regard. Et si nos joueurs sont meilleurs que les recrues messines, ces dernières ne joueront pas.  »

Pourtant, sans l’apport sportif de Metz et financier de Serin, le projet Seraing United serait tombé à l’eau. Une présence en D2 était également quasiment obligatoire (d’où la nécessité de racheter le matricule de Boussu-Dour) même si une année en D3 (en rachetant le matricule de Verviers) n’aurait pas signifié la fin du partenariat. ?

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Quand je demande aux gens ce qu’est l’âme d’un club, je ne reçois que des silences.  » Edward Van Daele, président du RMP

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