Explosif number one

Une carrière de 21 ans au but à Anderlecht, au FC Liégeois et au Standard ne pouvait pas se dérouler sans coups durs.

Jacky Munaron (45 ans) ne se sent pas la vocation de ces ex-portiers devenus entraîneurs en chef tels Jacky Mathijssen et Gilbert Bodart ou les célèbres RaymondGoethals et DinoZoff. De récents exemples ( Jean-MariePfaff à Ostende, et MichelPreud’homme au Standard), n’y incitent, évidemment, pas.

Munaron: « Entraîneur principal, ça ne m’intéresse pas. J’ai le diplôme UEFA du Heysel, mais la question n’est pas là. Evidemment, il ne faut jurer de rien, mais je n’y crois pas. Je me connais très bien, je sais jusqu’où je peux aller. Je réagis au quart de tour, pas bon dans une situation épineuse avec un joueur. J’ai vu des entraîneurs pousser la diplomatie très loin, trop loin. Moi j’exploserais, même avec 30 ans d’expérience ».

Le Dinantais a toujours été plus soupe au lait liégeoise que confiture namuroise. Georges Leekens, entre autres, le sait. En 87, nouvel entraîneur d’Anderlecht, il avait énervé Jacky en alignant FilipDe Wilde, tout juste transféré, au match de gala contre l’Inter Milan. Tout le stade hurla longtemps : – Jacky number one, Jacky numberone

Munaron: « Lors des tests d’avant saison, il nous mettait à tour de rôle, mais à Heirnis Gand, il dérogea à la règle, et je le lui fis remarquer. Sa réplique assez ironique, m’a choqué, et je suis rentré chez moi. Une erreur: Leekens ne pouvait plus me retenir face aux Italiens. Huit jours plus tard, il me rappelait contre Charleroi, et j’ai réussi une très bonne saison ».

Les deux hommes signèrent la paix et, en décembre 98, Leekens, devenu entraîneur fédéral, engagea Jacky pour s’occuper de nos portiers internationaux. « Georges aime bien piquer les gens au vif. Du moment qu’on le sait…Avec De Wilde, tout est vite rentré dans l’ordre, ni lui ni moi on ne s’est pris pour dieu le père. Je savais que Filip me succéderait. En équipe nationale et actuellement à Anderlecht, je le dirige en toute complicité ».

La question que Munaron se pose aujourd’hui ne concerne pas son grade dans le métier: « Combien d’années est-ce que je tiendrai encore physiquement comme entraîneur spécifique des portiers. Dix ans ou plus? Je n’en sais rien. Le terrain c’est dur, très dur ».

A Anderlecht, il soumet au supplice quasi quotidien sept gardiens (deux A, trois B, et deux -18 déjà pros).

« Presque une école… Au Heysel, après Leekens et RobertWaseige, je sers Aimé Anthuenis qui fut déjà mon patron au Sporting. J’ai sous mes ordres les keepers A et visionne, aussi à l’étranger, ceux qui entrent en ligne de compte pour les Diables », remarque-t-il..

La compétence professionnelle de Jacky pour amener ses poulains au top physique et mental, et leur glisser quelques tuyaux, ne se discute pas. Il a lui-même défendu sa ligne blanche avec bec et ongles pendant 21 ans, de 74 à 95, en 391 matches en D1. 15 saisons à Anderlecht, trois au FC Liégeois et trois au Standard.

Il possède un remarquable palmarès: quatre titres avec Anderlecht, deux Coupes de Belgique (Anderlecht et Liège), une Coupe UEFA et une Supercoupe d’Europe avec Anderlecht. Et huit sélections internationales A: premier match contre l’URSS (0-1), au Mondial 82 et dernier au Luxembourg (0-6) en 86.

« Et une quarantaine de fois sur le banc; deux supers me barraient la route Pfaff d’abord, et puis Preud’homme. Je râlais, mais m’entraînais avec une énorme motivation, pour être le plus près possible. Dans l’ombre de Pfaff il fallait beaucoup se taire. Théo Custers n’y parvenait pas, et ça a éclaté entre eux ».

Jacky protégea ses premiers filets au FC Dinant à 12 ans, et à 16, titulaire de l’équipe Première en D3, tapait dans l’oeil d’un connaisseur, Fernand Boone, l’ex-portier international du Club Brugeois. Le Club fut le premier sur la balle, avant le Standard et Anderlecht, mais n’insista pas, estimant, sans doute, ses chances très minces de transférer un espoir wallon convoité aussi par Constant Vanden Stock et Roger Petit.

Son père n’était pas un maquignon

« Mon père suivait bien ma carrière, mais en eut vite marre de passer sa journée au téléphone à répondre aux uns et aux autres: -Tu choisis qui tu veux, je ne suis pas un marchand de vaches ! Je n’oublie pas ces mots-là, ils sonnent très vrais. En principe, c’était le Standard, dans la région c’est rouge et blanc à 85%, mais j’ai opté pour Anderlecht ».

Diverses raisons poussèrent le gamin: le prestige du Sporting champion 74 et double vainqueur du Standard en finale de la Coupe (72 et 73), la position de force de la direction mauve auprès des dirigeants dinantais et aussi la réputation de son école des jeunes. Il était venu à l’oreille maternelle que deux garçons de la région, Thierry Vincent et Guy Dardenne, cédés au Standard et hébergés par un couple liégeois, menaient, paraît-il, la joyeuse vie. Elle supposait la discipline bruxelloise plus stricte.

« Le Sporting m’a mis en pension près du stade, et au terrain nous étions quatre Juniors UEFA en concurrence. Se battre donc, c’est dans mon tempérament. Au-dessus planaient deux Hollandais, Jan Ruiter et Leen Barth. Cette saison-là, 74-75, j’ai été élu gardien numéro un d’un tournoi UEFA au Portugal et Franky Vercauteren meilleur joueur. Et, après un match en Réserve, j’ai débuté, à 18 ans en D1 à l’Antwerp. Je suis monté en seconde mi-temps, à la place de Ruiter, blessé au visage. Dès ces premiers mois, je me suis aussi assis sur le banc européen profitant de la règle qui n’autorisait que trois étrangers sur la feuille d’arbitre. Urbain Braems, entraîneur à l’époque, préférait, logiquement, les utiliser dans le champ qu’au but, et me retenir comme réserve plutôt que Barth ».

Hans Croon, l’entraîneur hollandais aux allures d’intello, qui mena le Sporting à la conquête de sa première Coupe d’Europe en 76, le fit débuter dans le concert européen en septembre 75, Ruiter disputant la finale face à West Ham, au Heysel. « Pour le tour d’honneur, je me suis mêlé aux autres, mais une bouteille anglaise m’a atteint à la tête, sans gravité ».

La classe ne suffit pas pour s’imposer

Les années 77, 78 et 79 furent maigres, Goethals jugeait Jacky trop tendre, et écarta Ruiter pour Nico De Bree. Toujours un Hollandais dans les pieds. Lorsque De Bree, victime d’un accident de voiture, s’effaça, le Dinantais reprit la ligne, mais subit alors une double exclusion lors d’un match amical en Turquie et au Tournoi d’Amsterdam. Arriva l’international autrichien Friedrich Koncilia. « De Bree et Koncilia ne savaient pas se sentir. Je ne sais pas si l’Autrichien en souffrait mais, en tout cas, il échoua. La classe pourtant, il le prouva plus tard en Coupe du Monde. Braems est alors revenu et m’a relancé en fin de saison 79-80. Pour être européen le Sporting devait gagner l’ultime match à Lokeren. A 0-1, dans les dernières minutes, je sauve un ballon de Preben ElkjaerLarsen. Il ne restait plus qu’à convaincre Tomislav Ivic, le successeur de Braems qui hésitait entre René De Jongh et moi. Adepte du hors-jeu et du pressing, il voulait un gardien vif et nerveux, capable de se muer en libero, et me choisit. Dejongh, plus classique et très bon sur la ligne, lui parut trop lourd dans les sorties. J’ai disputé 33 matches avec le titre au bout, ma carrière était lancée. FootMag me mit en couverture avec le titre: – Ca plane pour moi« .

De 81 à 88, titulaire confirmé, international, victorieux en Coupe UEFA 83 à Benfica et encore finaliste en 84 face à Tottenham, Munaron vécut ses plus belles saisons, sous PaulVanHimst, ArieHaan, Leekens et Goethals: « A Tottenham, à cinq minutes près, nous tenions la Coupe de l’UEFA, mais une faute non sifflée contre WalterDeGreef, je suis formel, nous coûta l’égalisation. C’était 1-1 comme à l’aller et la loterie des tirs au but a tourné court. J’avais la rage. C’était une injustice, mais bon…Cette saison-là, au Racing Lens, un curieux incident, et un but stupide me clouèrent sur ma ligne. Récemment, un journal français fit allusion à cette histoire belge qui, à l’époque, fit le tour de l’Europe. A 0-1, l’ambiance chauffait avec des supporters très à cran et pendant que des CRS se placent dans mon dos, le ballon ricoche devant moi et roule bêtement dans le but sans que j’esquisse un geste efficace. Le ballon a été dévié par une pierre lancée par un supporter. Mais allez expliquer ça après le match qui s’est terminé par 1-1. Une histoire croustillante pour la presse, j’étais conscient que ma carrière se jouerait au retour. En cas d’élimination, j’aurais sûrement entendu la même question pendant des mois: – Et à Lens, Jacky?. Je me sentais plongé dans un fait divers. Je revois ce match retour: sur une pelouse à moitié gelée Franky rate un penalty, ça ne tourne pas, mais De Greef marque, à moi de jouer! Lens a mis le paquet, le tout pour le tout, homme contre homme, et nous a acculés. Je me sentais très fort. J’ai pris trois ballons qui auraient pu nous couler. En une demi-heure j’ai enterré 15 jours de frustration. Je suis complètement revenu à la surface; j’ose le dire ».

Tendon rotulien fichu: direction le parc

En septembre 88, à Metz, nouveau coup dur, plus grave, une rupture du tendon rotulien ce qui signifiait six mois d’inactivité.

« J’ai retardé l’opération jusqu’en février. C’était une erreur mais qui aime passer sur le billard? J’étais inquiet parce que mon contrat se terminait. J’ai travaillé à mon retour en forme avec Nico De Bree dans les parcs, mais c’était clair, Aad De Mos ne comptait pas sur moi. J’avais 32 ans. Robert Waseige m’a alors attiré au FC Liégeois pour trois saisons, et dès la première ce fut une réussite totale, un succès sur Ekeren en finale de la Coupe 90. Le club n’avait plus rien gagné depuis près de 50 ans. On avait aussi poussé jusqu’en quarts en Coupe de l’UEFA. Le foot européen, quel piment! J’y avais regoûté en stoppant deux penalties importants contre les Hibernians et le Rapid Vienne. Christian Piot m’entraînait, l’idole de ma jeunesse, je me serais jeté au feu pour lui. C’était bien à Liège, mais, avant la fin de ma troisième saison, Waseige a été remercié. On le cherchait sous prétexte de problèmes avec quelques joueurs, moi aussi je me suis parfois heurté à lui: normal entre gagneurs. En le défendant, j’ai vite compris que je me brûlais moi aussi. Très pénible, après le match du maintien à Waregem, j’ai renoncé aux trois derniers ».

Eric Gerets était annoncé avec Agu, un gardien nigérian de Maastricht.

« J’étais dans le trou. Les semaines défilaient et mon manager John Evers ne me présentait rien de concret. Au dernier jour des transferts, Arie Haan se pointa pour le Standard; il voulait un portier expérimenté pour doubler Gilbert Bodart. On était en 92, j’avais 35 ans. Jouer les doublures est ingrat, surtout derrière une pointure comme Gilbert Bodart. Au Tournoi de Liège, j’ai débuté avec son accord mais il n’admit pas le numéro un dans mon dos. J’aurais, sans doute, réagi de même.

En trois saisons, de 92 à 95, je ne suis apparu qu’une douzaine de fois en championnat. Fin 93, Gilbert, blessé, déclara forfait contre Arsenal, en huitièmes de la Coupe des Coupes. Très motivé et prêt, je retrouvais l’Europe. Ce fut un flop, les Anglais nous débordèrent dans chaque secteur: 3-0 à Highbury et 0-7 à Rocourt..A Londres, Haan aurait dit à la presse anglaise que j’avais joué comme une young woman, mais il me l’a démenti. Avant le retour, de gros problèmes le forcèrent à céder le relais à René Vandereycken. Après le 7-0, personne ne m’a attaqué, toute l’équipe avait failli. Lorsque Peter Kerremans a été blessé, Waseige m’a contacté pour Charleroi, mais le Standard s’y opposa. Peut-être une conséquence de l’affaire Régis Genaux, Charleroi ayant toujours prétendu que le Standard a kidnappé Régis. Deux opérations ont fichu ma dernière saison en l’air. J’ai bossé dur pour revenir, et même joué avec les Espoirs à 38 ans!. J’espérais une rallonge d’une saison. PatrickOrlans et JanCeulemans, à l’époque entraîneur à Alost, me proposèrent le rôle de troisième gardien et d’entraîneur pour les autres. J’ai accepté pour trois raisons: à 38 ans je restais dans le foot, j’apprenais le métier et je retrouvais ma maison à Buggenhout, à quelques kilomètres du stade. Je venais de vivre six ans à Tongres, mon épouse Linda est flamande et mes trois enfants y allaient à l’école. Alost était bien structuré mais vivait au-dessus de ses moyens. Comme portier j’ai dû vite renoncer, après une blessure au ménisque en match amical à l’Union Namur. Point final de ma carrière ».

Aimé Anthuenis appela Jacky au Sporting pour la saison 99-2000, un retour au bercail dix ans après, pour entraîner les gardiens: « Avant l’engagement d’Anthuenis à Anderlecht, nous avions lié connaissance au cours de Licence Pro de l’Ecole du Heysel ».

Henry Guldemont

Il choisit Anderlecht parce que Guy Dardenne rigolait trop au Standard

A Lens, une pierre lancée par un supporter dévie le ballon: but!

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