EXPÉDITION À POLTAVA

C’est le long de la Vorskla que les Liégeois ont bataillé ferme pour arracher un succès important en Europe League. Récit d’une longue aventure admirablement préparée.

José Riga ne ressemble pas à Tarass Boulba, ce terrible cosaque ukrainien qui anime les pages d’un des chefs-d’£uvre de Nicolas Gogol (1808-1852), immense écrivain né près de Poltava. Gogol a mangé de la vache enragée, connu l’exil avant de publier ses premiers romans. A l’image de Tarass Boulba, son héros, il a connu une fin tragique. Comme tout auteur d’aventures européennes qui se respecte, le Standard ne voulait pas revenir avec une feuille blanche au bout de son expédition à Poltava. Dès lors, les petits plats avaient été mis dans les grands pour que ce séjour au c£ur des plaines d’Ukraine se déroule dans les meilleures conditions.

Même si le Standard n’avait pas attendu ce long voyage pour vivre des soirées européennes importantes, inscrites dans son ADN et qui font partie intégrante de l’histoire du foot belge, il y a des voyages dans l’inconnu qui comptent double. Alors, comment leurs joueurs, dans le questionnement en championnat, ont-ils vécu ces quatre jours dans l’immense grenier à blé qu’est encore l’Ukraine ?

Mardi 1er novembre

Deux éclaireurs du Standard, Bob Claes et Sacha Feytong, ont précédé le gros de la troupe pour préparer ce voyage de l’autre côté de l’Europe. Une précaution utile pour trouver un bon hôtel pour les joueurs et un autre pour la presse. La direction liégeoise a choisi de tout organiser elle-même sans passer par une agence de voyage. Si le vol de Bierset à Dniepropetrovsk a été sans histoire, la suite a été plus éprouvante. Aux environs de 15 h 30, l’épouse de Pierre François cherche vainement sa valise, perdue dans la nature. Une heure est vite perdue et cela fatigue les joueurs. Plus tard, on apprend que l’affaire a été  » perpétrée  » à l’aéroport de Liège, où la valise a été oubliée et retrouvée, par un JamesBond de l’Est.

Trois joueurs ont le temps de discuter avec la presse qui boit leurs propos : Jelle Van Damme, Nacho Gonzalez et Sébastien Pocognoli. Le ton est décidé après le match nul enregistré à Saint-Trond. Cette nouvelle mission lointaine est visiblement au centre de leurs préoccupations : tous mesurent que le Standard va jouer gros après avoir raté le break lors de la première manche contre Poltava à Sclessin (0-0). Mais il faut se dépêcher : près de quatre heures de route à bord de deux autocars attendent les Liégeois. Le convoi est précédé par des voitures de la police qui se relaient sur des voies étroites, parfois garnies de nids de poules, souvent mal éclairées.

Mais pourquoi l’avion de Jet Air s’était-il posé à Dniepropetrovsk alors que l’aéroport de Kharkov est bien plus près de Poltava. Les documents de l’UEFA sont formels : l’aéroport de Kharkov est bien la  » base aérienne  » de Vorskla Poltava. Mais il y a un problème : Kharkov sera une des villes de l’Euro 2012 et des travaux sont nécessaires pour moderniser la piste d’atterrissage de son aérodrome. Pas question de s’y poser pour le moment : un cas de force majeure qui fait que le voyage est plus long de Dniepropetrovsk à Poltava que de la Belgique en Ukraine. La nuit tombe vite et dans l’autocar des journalistes, Thierry Luthers ( Vivacité) en profite pour lancer un de ces quiz sportifs dont il a le secret. Les questions fusent, les réponses aussi : on tue le temps comme on peut.

A 19 h, Poltava se dessine dans le lointain. Le Standard approche du but. Dix minutes plus tard, les joueurs – fatigués – envahissent le hall de leur hôtel. Les choses sérieuses commencent : on le devine en les voyant disparaître vers leurs chambres. La presse s’installe un peu plus loin et même si l’anglais n’a guère de succès à Poltava, l’accueil est sympa. Un maître d’hôtel fait ce qu’il peut pour servir à manger à des journalistes affamés : salade, poulet, côtelette de porc, pommes de terre rissolées. Mais attention : à 22 heures, on ferme la boutique. Pas loin de là, Riga et ses troupes ne pensent plus qu’à une seule chose…

Mercredi 2 novembre

A leur hôtel, les joueurs ont droit à une promenade matinale d’une bonne heure. Ils se reposent l’après-midi tandis que la délégation rejoint les journalistes pour le traditionnel dîner avec la presse. Pierre François a organisé avec soin la répartition de ses invités et place à dessein AlainRonse, du Laatste Nieuws. Les serveuses de ce restaurant typiquement ukrainien jonglent avec les assiettes de bortch (soupe) avant de remplir les verres. La plus belle se charge de la vodka. Le directeur du Standard s’intéresse alors au prochain Soulier d’Or, élection organisée depuis toujours par le… Laatste Nieuws. Pierre François rompt une lance en faveur de SinanBolat :  » Il est une de clefs du Standard depuis le mois de janvier dernier. Sinan a été décisif que ce soit dans la conquête de la Coupe ou tout au long des plays-offs de haut vol pour nous. Et cette saison, il continue sur sa lancée. A mon avis, vu son brio, il devrait cartonner au Soulier d’Or. Je ne vois pas qui, en Belgique, a été plus brillant que lui sur toute l’année qui se termine.  »

François profite de la présence de nombreux journalistes autour de lui et lance la campagne électorale de Bolat en estimant, par exemple, que les Anderlechtois les plus en vue cette saison ( Matias Suarez, Milan Jovanovic, Silvio Proto) se neutraliseront. François est très (trop ?) optimiste : un Soulier d’or ferait du bien au Standard et attirerait encore un peu plus les attentions sur Bolat. Ce dernier n’est pas pressé mais, après mûre réflexion, il vient quand même de déclarer :  » Ce sera ma dernière saison au Standard !  » Les choses bougent autour de lui et les rumeurs font même état d’un accord entre François et Bolat qui pourrait monnayer son talent en janvier ou à la fin du championnat. Le principal favori à la course au Soulier d’Or reste Axel Witsel qui doit avoir pris un maximum de suffrages au premier tour de scrutin (période qui s’étend de janvier à juin) avec ThibautCourtois dans sa roue. Sera-ce suffisant pour compenser leur handicap du second tour (juillet-décembre 2011) dû au fait qu’on ne peut pas voter pour des joueurs évoluant à l’étranger ? En tout cas si Witsel gagne, ce serait une première : jamais un joueur évoluant à l’étranger n’est revenu pour chausser un Soulier d’Or. Qui l’accompagnera alors au pied du podium ? François ou… Luciano D’Onofrio qui est si proche d’Axel ? Bigre, quelle affaire ce serait à Liège où l’on dit sous cape que l’étoile de Luciano a pâli à Benfica….

Encore un petit verre de vodka ? Non merci, il faut être attentif car des infos s’échangent dans le creux des oreilles. A propos de gros sous, que rapporte un match d’Europa League ? Les clubs connaissent les tarifs : 60.000 euros pour la participation à chaque match plus des primes : 140.000 euros pour une victoire, la moitié en cas de match nul. AB3 détient les droits de retransmission télévision. Les tractations pour un nouveau contrat de trois ans débuteront dans quelques mois. La chaîne de télévision a délégué trois personnes en Ukraine : Baudouin Peeters, le consultant Nordin Jbari et le producteur Vincent Bunel. Comme les clubs belges brillent plus en Europa League qu’en Champions League, on peut imaginer que d’autres chaînes qu’ AB3 tenteront de rafler le nouveau contrat. La RTBF serait, dit-on, prête à entrer dans la danse, ce qui lui permettrait de contrer RTL-TVI qui fera tout pour garder la Ligue des Champions.

D’autre part, dans la liste des Vips, on note la présence de Stéphane Moreau, bourgmestre d’Ans, patron de Tecteo, donc de VOO et de Be.Tv. A côté de Moreau, quelques autres sponsors et personnalités proche du Standard. Retenu par ses obligations, le président Roland Duchâtelet, n’a pas fait le déplacement.

Après un crochet à l’hôtel, la presse se rend au stade de Poltava afin d’assister vers 18 heures à la conférence de presse de Riga et de Van Damme. Le coach liégeois fait preuve de confiance :  » Notre adversaire ukrainien tentera de décrocher un premier succès dans notre groupe d’Europa League. Ce sera à nous d’en profiter, d’être malins. « 

Riga évite le thème du 4-4-2 ou des deux attaquants de pointe :  » Je suis certain de nos intentions, de notre motivation, la vérité passera plus par 11 joueurs qui remplissent tous leurs missions offensives et défensives que par la présence d’un ou deux attaquants de pointe. En Europa League, il est évident que nos adversaires s’adaptent moins à notre jeu qu’en championnat : ils cherchent plus à imposer leurs propres atouts.  » Van Damme abonde dans le même sens que son coach, souligne les fatigues du long voyage. La presse assiste durant une demi-heure à l’entraînement du Standard avant qu’un Vasily Alexeev local la prie de se retirer comme c’est prévu par l’UEFA. Impossible de deviner quelle équipe Riga a en tête. PeterBalette dirige énergiquement le groupe sous ses ordres.

Dans le hall du stade, des hôtesses de Poltava proposent des biscuits, de la charcuterie, du thé et du café à la délégation belge : c’est le sens de l’hospitalité à l’ukrainienne. Au loin, le team-manager, Pierre Locht surveille, du haut de sa jeunesse, tout du coin de l’£il. Ce licencié en droit, passé par l’Université de Namur et de Leuven, parfait bilingue, en est à son troisième déplacement européen aves les Rouches après Helsingborg et Hanovre.  » Je n’ai aucun problème : personne ne joue à la star. Quand je dois faire quelque chose pour eux, ils me le demandent poliment.  »

Le Standard a pris ses précautions avec la présence d’un cuisinier ( Philippe Simon) qui veille à la préparation des repas. La gastronomie ukrainienne n’est pas spécialement réservée à des sportifs de haut niveau avec ses plats mijotés et parfois assez gras. Il s’agit d’être prudent et le cuisinier a amené quelques produits de Belgique : épices, lait de soja, biscuits secs, etc. Après la rencontre, les joueurs auront droit à leur cornet de pâtes ou à un plat froid. AlexandreMozgovoi est un des Standardman qui a le plus de travail. Ce Belge d’origine biélorusse coache les U13 liégeois et s’occupe de l’internat à l’Académie Robert Louis-Dreyfus. Mais il a aussi évolué en D1 en Biélorussie, en Russie, en Ukraine et en Pologne. Quand Mozgovoi évoluait à Zaria Lougansk, il a joué contre Poltava. Et vu qu’il parle russe, il est l’homme à tout faire, celui qui doit résoudre les inévitables petits problèmes qui surgissent lors d’un tel voyage : le vestiaire des entraîneurs est-il prêt avant l’entraînement ? La note de l’hôtel a-t-elle déjà été payée ? Que veut dire le maître d’hôtel ? L’Ukraine n’est pas bien riche et la situation politique est difficile mais Mozgovoi est certain que l’Euro 2012 boostera l’économie locale et il ajoute avoir été  » touché par la gentillesse des gens qui, dans la mesure de leurs possibilités, ont tout fait pour nous aider.  »

Jeudi 3 novembre

Il n’est pas loin de 19 h et du coup d’envoi de Poltava-Standard, peut-être l’une des rencontres les plus importantes de la saison pour les Rouches. Le délégué Christian Teuls s’active le long de la ligne de touche. On remarque Jean-François de Sart, le directeur technique du Standard qui a l’habitude de ce genre de rendez-vous avec son passé de joueur (FC Liège, Anderlecht), de coach des Espoirs belges (Jeux Olympiques, etc.) et de T2 du Standard en 2009-2010 quand, après le limogeage de Laszlo Bölöni, Sclessin vécut quelques belles soirées internationales en Europa League. A l’époque, de Sart ne roula pas des mécaniques mais son apport dans la gestion tactique de ces rendez-vous européens fut très important. C’est déjà loin tout cela. Les équipes montent sur le terrain : dans son rôle de DT, de Sart a certainement longuement échangé ses idées à propos des Ukrainiens avec Riga et Balette.

A Poltava, c’est le moment ou jamais de transformer les doutes en succès, les espoirs en certitudes. Riga change son fusil d’épaule et aligne enfin deux vrais attaquants de pointe, Tchité et Cyriac. Il veut jouer haut, imposer une présence dans le camp adverse pour éviter les encombrements toujours dangereux devant son grand rectangle. Poltava ouvre la marque dès là 4e minute et le Standard procède à un réglage pour neutraliser Jovan Markovski qui se promène entre les lignes. Les Rouches égalisent puis émergent avant le repos (1-1 par Seijas, 1-2 grâce à Kanu) : Poltava baisse la tête et le Standard gère calmement les événements en deuxième mi-temps. A la 70e minute de jeu, Riga procède à un changement tactique décisif : Cyriac cède sa place à Buyens qui s’installe dans la ligne médiane. Trois minutes plus tard, Van Damme déborde à gauche et centre pour la tête de Tchité, c’est 1-3. Le 4-4-2 du départ a constitué un tournant important mais il faut ajouter que le changement de cap de Riga revenu à son 4-5-1 est intervenu au bon moment.  » Nous avons fait preuve de maturité « , souligne Réginal Goreux.

En deuxième mi-temps, Poltava ne s’est guère forgé d’occasions. Riga est ravi :  » Nous savions qu’il était nécessaire de réaliser une bonne performance à Poltava. Cette victoire ne se discute pas alors que le début du scénario fut épouvantable : 1-0 après 4 minutes. L’équipe ne s’est pas désunie car elle voulait ce succès. Le Standard a grandi au fil du temps pour ne rien céder après la pause. Mes joueurs ont progressivement pris le dessus sur une bonne équipe de Poltava. Oui, c’est une référence et même une de plus. J’ajoute tout de suite que ces avancées s’obtiennent dans des épreuves où mon équipe n’a pas de temps à perdre : la Coupe de Belgique et l’Europa League. Là, elle est au pied du mur, les échéances sont immédiates. Il faudra confirmer tout cela mais on est dans les temps, plus en Coupe et en Europa League qu’en championnat où la finalité est plus éloignée. « 

A Poltava, Kanu, Vainqueur, Seijas et Van Damme sont sortis du lot. Le grand Jelle et Kanu ont bien tenu la baraque. Van Damme y a mis du sien durant 90 minutes : une vieille habitude, bien sûr. Il a bien mérité les applaudissements des 130 supporters qui ont fait le déplacement qui n’ont posé aucun problème à ChristianHanon, responsable de la sécurité au Standard. Van Damme est le dernier à quitter le stade après avoir été retenu pour le contrôle antidopage. Il est près de minuit quand Olivier Smeets (Communauty Manager du Standard) demande au chauffeur de l’autocar de la presse de déposer les journalistes à leur hôtel.

Vendredi 4 novembre

Une longue journée s’annonce : réveil à 6 h 30, petit déjeuner à 7 h, départ pour Dniepropetrovsk à 8 h, vol vers la Belgique à 13 h 30, arrivée à Bierset à 15 h (une heure de décalage avec l’Ukraine). Toutes les conversations tournent autour des chances de qualification. Le Standard doit encore recevoir Hanovre, qui a aussi huit points, et se rendre à Copenhague. Les Rouches détiennent de bonnes cartes mais Riga précise :  » Nous sommes en tête de notre groupe avec Hanovre qui reste le favori. Il faut vivre cela comme nous l’avons toujours fait : match après match, confirmation après confirmation. « 

A Bierset, on ne voit que des visages fatigués mais tellement heureux. Le 8 juillet 1709, Pierre Ier de Russie avait battu l’armée royale de Suède à Poltava. Le Standard y a gagné une autre bataille très importante. Ukraine, cela signifie  » frontières  » : le Standard y a peut-être conquis de nouveaux horizons…

PAR PIERRE BILIC, PHOTOS : IMAGES GLOBE- JULIEN WARNAND

 » Il faut vivre cela comme nous l’avons toujours fait : match après match, confirmation après confirmation.  » José Riga Ukraine, cela signifie  » frontières  » : le Standard y a peut-être conquis de nouveaux horizons…

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