Exil jurassien

L’Ardennais débarque en D1 suisse dans un environnement modeste.

En 85, Robert Waseige nous confiait à propos de Michel Renquin, alors actif au Servette de Genève: « Il nous reviendra bientôt. Je ne le vois pas vendre des coucous jusqu’à la fin de ses jours! ».. Pour une rare fois, Bob-ze-Coach avait tout faux. 17 ans plus tard, après un intermède au Standard de 86 à 88, le Luxembourgeois est toujours en Helvétie. Et qui plus est en qualité de grand horloger du SR Delémont qu’il vient de propulser en Ligue A, l’équivalent de notre Division 1.

La carrière suisse de Renquin est digne d’intérêt. Après avoir verrouillé les défenses de Genève puis de Sion, il endosse la casaque d’entraîneur en 91 pour diriger le Servette jusqu’en 93. Il passe ensuite deux saisons à Renens, en D3, le temps de décrocher son diplôme d’entraîneur. Une fois ce précieux document en poche, il s’occupe de l’équipe nationale suisse des -16 ans. En 96, il est chargé de former les -21 ans, les futurs internationaux.

En 97, répondant à l’appel de Milan Mandaric, il met le cap sur le sud de la France pour présider aux destinées de Nice, alors en D2. La saison suivante le ramène au pays du fromage, à Chênois, un club de D3. En 99, il change de continent mais pas d’idiome et échoue -c’est le cas de le dire!- au Mouloudia d’Alger. « Une expérience à oublier au plus vite », avoue-t-il sans grand désir de s’étendre sur le sujet. « Ce que j’ai vécu là dépasse la raison. C’est surtout la violence qui m’a interloqué ». Il y restera six petits mois avant de rejoindre les rangs du club Sports Réunis de Delémont en janvier 2001 pour succéder à l’ancien international suisse Heinz Hermann à la tête du club. A cette époque, le SRD est en bien mauvaise posture puisqu’il fait partie de la poule des éliminés du tour final, donc des candidats à la descente. Comme le diraient les Genevois, il y avait le feu au lac. Michel va jouer les pompiers de service…

La Ligue A a explosé

Le début du championnat est programmé pour le 7 juillet. Mis à part quelques petits kilos supplémentaires, le Beb’s comme on le surnommait au Standard, n’a pas changé. Le cheveu est toujours noir, l’oeil pétillant et le sourire malicieux. Le caractère trempé de l’Ardennais pure souche est lui aussi bien là, traduit par les bons mots. « Hier, Philippe Rossinelli, notre directeur technique, était tout fier de ramener une trentaine de paires de chaussures offertes par un de nos sponsors.. Quand il m’a demandé ce que j’en pensais, je lui ai dit que c’était bien d’avoir des godasses mais que ce serait mieux d’avoir des joueurs pour mettre dedans! »

Une remarque qui résume à elle seule la situation du club qui ne compte que 17 joueurs. « J’ai perdu sept joueurs de mon noyau de la saison dernière qui en comptait 20 », explique Renquin. « Nous devons absolument engager des joueurs car quantitativement et qualitativement, nous ne faisons pas le poids. Nous pouvons d’ores et déjà dire que nous sommes des candidats à… la descente, surtout que dès la saison 2003-2004, le nombre de clubs en Ligue A sera réduit de 12 à 10. Cela ne me dérange pas mais il est hors de question d’être ridicule. Je ne pourrais pas le supporter. Je l’explique tous les jours au président et j’insiste pour qu’il attire des renforts mais nous sommes début juillet et je n’ai rien vu venir. Et pourtant, je ne demande pas le Pérou. Je pense qu’une augmentation du budget de l’ordre de 10% devrait suffire à notre bonheur. Je connais quelques joueurs intéressants qui accepteraient de rejoindre nos rangs pour un salaire de 4.000 francs suisses (2.500 euros) qui n’a vraiment rien d’extravagant ».

Pierre Willemin, le président, ne panique pas: « Nous avons jusqu’à la fin du mois d’août pour acquérir des joueurs. Mais quoi qu’il advienne, je ne tiens pas à mettre en péril le budget et donc l’existence du club. Notre accession à la Ligue A n’était pas notre vocation. Nous y avions déjà goûté au terme de la saison 1999-2000 mais sans vraiment y prendre goût. C’est un petit cadeau ».

Il est vrai que Delémont est monté en division d’honneur par défaut. Et ce n’est pas faire déshonneur à Michel Renquin que d’affirmer cela. Que du contraire! Notre compatriote a remarquablement redressé le club au cours de la seconde moitié de la saison 200-2001 avant de confirmer 12 mois plus tard en qualifiant l’équipe pour le tour final à huit équipes qu’elle a terminé en sixième position. Elle doit sa promotion à l’explosion(c’est le terme qu’utilisent nos amis suisses pour exprimer la faillite financière) de trois clubs classés devant elle et non des moindres: Sion, Lausanne et Lugano. Le championnat 2002-2003 présente un visage entièrement neuf avec pas moins de sept promus. Outre Delémont, on recense Neufchâtel Xamax, St-Gall, Will, Aarau, Thoune et Lucerne.

La vocation de la formation

Delémont, c’est un peu un vairon au milieu des baleines bleues. Avec un budget annuel de 1,2 million d’euros, le club fait figure de parent pauvre face aux 11 autres équipes qui brassent des sommes folles, diamétralement opposées à la taille du pays. C’est ainsi que le budget de Bâle est 12 fois plus important que celui de Delémont, celui des Grasshoppers de Zurich est dix fois supérieur, Servette de Genève sept, St-Gall six, Young Boys de Berne et le FC Zurich quatre…

Et le président d’embrayer… « Avec 12.000 habitants, Delémont est de fait une toute petite ville qui joue dans la cour des grands. Par rapport à la grande majorité des autres clubs qui possèdent, eux, le statut professionnel, nous ne faisons pas le poids -même sur papier- puisque nous n’avons même pas le statut de semi-pro mais bien celui de club promotionnel dont la vocation est de former les jeunes. Et là on peut dire que nous remplissons bien notre rôle puisque si l’on exclut Alain Vernier, notre capitaine (34 ans), notre moyenne d’âge est inférieure à 23 ans. Qui plus est, quatre de nos joueurs sont des Jurassiens. Notez aussi que nous offrons l’entrée gratuite à tous les matches aux jeunes de moins de 15 ans. Nous n’usurpons pas les subsides que nous accorde la fédération suisse. La ville reconnaît également notre rôle social, elle qui met gracieusement à notre disposition le stade polyvalent de La Blancherie (6.650 places). Elle pourrait faire encore plus mais ça, c’est une autre histoire ».

La communauté soutient bien son équipe représentative. Avec un peu moins de 1.600 spectateurs par rencontre la saison dernière, Delémont a signé la meilleure moyenne de toutes les équipes du championnat de D2. Outre les entrées, le SRD peut compter sur un fidèle sponsor de plus de 25 ans, Cerjo, un fabricant de lunettes, épaulé par quelques autres. Mais aussi appétissant que soit l’appât, il est difficile, dans un si petit marché, d’attirer un gros poisson.

Des contacts avec Mouscron

Même si la situation n’est pas des plus reluisantes, Renquin garde le moral sans pour cela verser dans l’optimisme béat. »Il sait ce qu’il veut », nous confie très diplomatiquement AndréChavanne, un dirigeant rencontré au secrétariat. Tout qui connaît la mentalité ardennaise sait exactement ce qu’il veut dire…

« 11 ans après mes débuts d’entraîneur, l’enthousiasme est toujours présent. On doit passer outre les petites déceptions. Qu’on le veuille ou non, il faut composer avec le contingent mis à notre disposition », ajoute Renquin.

Quelle tactique va-t-il adopter? « Pour moi, le meilleur système reste la zone, soit le 3-4-3. Trois attaquants pour ennuyer l’adversaire ».

Comment se définit-il? « Je pense que je réalise le bon équilibre entre autorité, tolérance et compréhension. Mais ce n’est pas facile. On peut retourner le problème dans tous les sens. Pour moi, le succès en football, c’est 50% de travail et 50% de psychologie. Tout à l’heure, par exemple, j’ai dû expliquer à Samuel Ojong, mon jeune attaquant camerounais (22 ans), que mes remarques n’avaient d’autre but que de le faire progresser et évidemment pas de le casser. Le dialogue, la mise en confiance, c’est primordial ».

Sa prestigieuse carrière lui sert-elle à la fois pour dégager le respect et pour inculquer les notions qu’il juge importantes? « Mon passé de joueur me permet de mieux comprendre mes gars et ce qu’ils ressentent. Disons que la notoriété aide au début mais ça ne dure que quelques jours. Le respect n’est pas acquis d’avance, il se mérite ».

Le reverra-t-on un jour en Belgique? La réponse fuse: « Le seul club qui m’intéresserait en Belgique est Mouscron. Cela date d’un contact déjà ancien que j’ai eu avec Jean-Pierre Detremmerie, dont le discours et la philosophie m’ont plu.. D’aucuns me verraient mieux au Standard où je suis régulièrement cité. Sachez que je n’ai eu aucun contact officiel avec le club de mes débuts professionnels. Je suis bien ici et je ne fais aucune fixation sur un retour au pays » .

Bernard Geenen, envoyé spécial à Delemont,

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