EUROMILLIONS do Portugal

Un malin outsider portugais s’est faufilé entre les gouttes de pluie pour remporter le gros lot. Impressions depuis Florence, aux championnats du monde de cyclisme.

Le bourgmestre de Florence, Matteo Renzi, en quête d’un mandat national, n’a pas lésiné sur les moyens : des centaines de panneaux arc-en-ciel, des affiches, 120 kilomètres fraîchement recouverts d’asphalte (coût : 30 millions), des dizaines d’activités et d’expositions…

En vain ? Il n’y a pas foule. Petit tour d’horizon. Fil rouge des réponses : le scepticisme.  » Une ville aussi célèbre a-t-elle vraiment besoin d’une publicité aussi chère ?  » Les personnes interrogées ne sont pas fans de cyclisme. Certes, elles connaissent Vincenzo Nibali mais quand on les invite à citer d’autres noms, elles en reviennent à Marco Pantani et à Mario Cipollini, les flamboyantes stars du passé, que l’Italien moyen connaît mieux que la masse actuelle de coureurs dénués de charisme.

Le football est bien plus populaire. Il occupe des dizaines de pages dans les journaux, qui n’en consacrent que deux à Nibali et à Filippo Pozzato. Rien sur FabianCancellara, PhilippeGilbert ou PeterSagan

Entre chrono et reconnaissance

L’épreuve contre le chrono s’annonce comme un thriller mais en fait, TonyMartin inflige un uppercut à ses deux principaux rivaux, Fabian Cancellara et BradleyWiggins. A l’arrivée, il s’effondre au sol, de bonheur plutôt que d’épuisement.

Les participants à la course sur route s’empressent de reconnaître le parcours, flanqués de cyclotouristes. Fabian Cancellara impressionne des espoirs américains tant il est rapide au Fiesole.  » C’est un extraterrestre !  » Philippe Gilbert est plus calme mais il est optimiste.  » Le parcours me convient.  »

Il se présente à la presse avec un quart d’heure de retard, suite à un contrôle inopiné. Le contrôleur UCI barre l’entrée de la salle. Il nous foudroie du regard quand nous avons l’audace de jeter un coup d’oeil à l’intérieur. Philippe Gilbert est le premier à sortir. La salle n’est qu’à moitié remplie mais c’est bien différent quand Fabian Cancellara arrive : la presse internationale afflue.

Le Suisse se demande pourquoi tout le monde le pointe comme favori mais dans la salle, le chauffeur de bus belge de RadioShack, Danny In’t Ven, trahit l’arme secrète de Spartacus.  » Sa femme et sa fille sont ici et dorment dans la chambre à côté. C’est rare. La dernière fois remonte à la semaine du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix. Et qui a gagné ?…  »

En fait, un Belge a du succès. Il est le plus grand de tous les temps et même quelques journalistes lui demandent un autographe. La foule se presse, se bouscule. Nous confirmons son identité à un Français :  » Oui, c’est bien EddyMerckx.  » L’homme fait un bon d’un mètre, comme s’il avait vu Dieu le Père.

Exit Pat McQuaid

Pendant ce temps-là, au Palazzo Vecchio de Florence, Pat McQuaid et Brian Cookson se disputent la présidence de l’UCI. Le vote tourne à une longue et scandaleuse bataille procédurière, à laquelle les délégués d’Algérie, de Barbade et de Colombie mettent fin en demandant qu’on passe au vote. Ont-ils faim, veulent-ils suivre la suite des épreuves ? Quoi qu’il en soit, Cookson s’impose et McQuaid s’en va, la queue entre les jambes.

Les campeurs hollandais sont partout. Parmi eux, les parents de Marianne Vos, qui va bientôt remporter son troisième sacre d’affilée. Ils la suivent partout. Henk, le père, explique :  » Nous parcourons 50.000 kilomètres par an. Nous menons une vie de nomades mais cela nous plaît. Nous sommes pensionnés et nous n’avons donc rien d’autre à faire. Quand Marianne en a le temps, elle passe nous voir et joue avec le chat. C’est son talisman.  »

En a-t-elle besoin ? Elle s’impose sans problème. Elle n’a pas le glamour de Leontien van Moorsel : elle a plutôt le profil d’une brave fille de la campagne, qui puise sa motivation dans des choses simples, comme son chat, sa famille, sa passion du cyclisme. Après sa victoire, elle part pour Paris, où elle va rencontrer Christian Prudhomme, le patron du Tour, pour discuter d’un nouveau Tour féminin.

La course-reine

5.30 heures. On avait annoncé de la pluie et de fait, elle s’abat sur la Toscane. Ces trombes d’eau incitent les coureurs à rester le plus longtemps possible à l’abri dans leur car, à Luca, le lieu de départ. Andy Rihs, le richissime propriétaire de BMC, pénètre sans hésiter dans le bus belge pour saluer Philippe Gilbert. C’est un peu comme si Roman Abramovitch entrait dans le vestiaire des Diables Rouges pour dire bonjour à Eden Hazard.  » Ce que j’ai dit à Philippe ? Que c’était un temps typiquement belge « , rigole-t-il à sa sortie.

En fait, ni son poulain ni Peter Sagan ni Fabian Cancellara n’attirent vraiment l’attention : tous les regards sont rivés sur Fernando Alonso. Le double champion du monde de F1, qui veut lancer sa première équipe cycliste en 2015, est entouré comme s’il était une pop star mais il parvient à se frayer un chemin vers le bus de Peter Sagan.  » Je lui ai dit que je reviendrais le saluer sur le podium de Florence. Et qu’à ses côtés, sur la plus haute marche, il y aurait mon ami Samuel Sanchez, même si en fait, Joaquim Rodriguez et Alejandro Valverde ont plus de chances de s’imposer.  » Sur ce, ses gardes du corps nous repoussent sans ménagements et le pilote se dirige vers le bus espagnol, où il est à nouveau assailli par des fans en délire.

Fernando Alonso s’y connaît

Sur les 272 kilomètres du parcours dessiné autour de Florence, les coureurs pédalent, assaillis par la pluie battante.  » Pourtant, ça peut encore aller car il fait assez chaud « , nuance le soigneur belge Dirk Leenaert.  » C’était bien pire à Milan-Sanremo, sous la neige et le gel.  » De fait, car les Espagnols Joaquim Rodriguez et Alejandro Valverde – Alonso s’y connaît – dominent la finale. Certes, ils n’enlèvent pas le maillot tant convoité. Pas parce que Peter Sagan est plus malin qu’eux mais parce que le Portugais Rui Costa profite d’une erreur tactique d’Alejandro Valverde pour s’échapper.

La Belgique doit se contenter de la neuvième place de Gilbert. Nous filons donc vers la ligne d’arrivée, dans le sillage du champion et des Espagnols. Nous assistons à des échanges qui passent inaperçus à la télévision : Alejandro Valverde fonce vers Joaquim Rodriguez, lui ôte ses lunettes, le fixe du regard et fait non de la tête. Après la conférence de presse, loin des regards de la plupart des journalistes, ils poursuivent leur discussion, épicée d’insultes.

L’autre Rui Costa

Rui Costa s’en moque. Ses joues ruissellent de larmes tandis qu’il répond aux questions des journalistes. Sa joie forme un contraste saisissant avec le regard fixe d’Andrea Tafi. C’est lui qui a dessiné le parcours mais il n’y a pas d’Italien sur le podium. La déception est rude, pour lui comme pour les tifosi, qui rentrent chez eux sans plus jeter un regard sur le podium et les festivités. D’ailleurs, la cérémonie est froide, dépourvue d’ambiance. Évidemment, comme toute la semaine, les organisateurs ont commis l’erreur d’autoriser trop tard les supporters étrangers, restés dans les parages, à rejoindre la zone d’arrivée.

Carla, la superbe amie portugaise de Costa, s’en moque. Dans un anglais laborieux, elle explique que son Rui, qui ne maîtrise que le portugais, ne s’attendait pas à être sacré champion du monde.  » He say, world championships is Euromillions : big lottery, little chance to win. But he wanted do his best. And now : victory ! « Joao Correira, le manager de Costa, est plus polyglotte. Pendant que Carla distribue des photos du champion du monde à une vingtaine de personnes, Correira parle de la motivation tranquille de son poulain et de l’espoir auquel il est raccroché.

 » Connaissez-vous Rui Costa ? Je ne parle pas du coureur mais de l’ancien footballeur, de la génération de Luis Figo ? C’était l’idole de Rui, qui a d’ailleurs fait sa connaissance depuis. Où le joueur a-t-il disputé la majeure partie de sa carrière et acquis sa renommée ? A la Fiorentina, dont il est toujours un monument. Et dans quelle ville nous trouvons-nous ?  » Il nous adresse un clin d’oeil avant de suivre son poulain, un bras protecteur passé sur ses épaules.

PAR JONAS CRÉTEUR

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