Eupen, un nouveau Beveren ?
Le club germanophone risque de devenir un nouveau Beveren grâce à l’ancien homme fort du Standard et des fonds qataris.
Que vient faire Luciano D’Onofrio à Eupen ? Telle fut la question que tout le monde s’est posée lorsque le club a annoncé que l’ancien homme fort du Standard avait bouché les dettes, permettant au KAS de rendre son dossier de licence. Sport/Foot Magazine a mené l’enquête et vous révèle la stratégie de D’Onofrio.
Comment Eupen en est arrivé là ?
Petit club de D2, Eupen intéresse au plus haut point une partie de la faune des managers qui possèdent une écurie de joueurs. Il est plus facile de » parquer » provisoirement des footballeurs en Belgique que dans les championnats en vue où les réglementations sont plus sévères pour les extra-communautaires. Sans oublier les conditions salariales, moins importantes en Belgique ou qui peuvent être prises en charge par deux clubs, le prêteur et l’emprunteur. C’était le secret de la méthode Antonio Imborgia qui a failli réussir en D1 la saison passée. S’il n’avait pas obligé Albert Cartier à modifier d’urgence son équipe avant des matches, les Pandas évolueraient peut-être encore en D1.
La suite s’est corsée pour le président Dieter Steffens. En été 2011 , Marc Grosjean et Roland Louf composent 90 % de l’effectif actuel. L’ancien directeur technique Imborgia remet la gestion sportive en fin juin à une étrange personnalité venue d’Allemagne : Ingo Klein qui débarque avec son staff, dont l’entraîneur allemand, Wolfgang Frank. Cette arrivée éloigne Grosjean et Louf, qui était chargé de réorganiser le club.
A Eupen, tout le monde se pose des questions à propos de l’origine des fonds de Klein : c’est plus que louche. Klein transportait aussi une réputation sulfureuse dans ses valises. Et il finit par être arrêté à Cologne où il a été emprisonné pour un investissement frauduleux de 100 millions d’euros dans une société new-yorkaise, Business Capitol Investors (BCY). Cette somme considérable provient de 4.000 clients escroqués dans le cadre d’une affaire qui n’a pas révélé tous ses secrets. C’est la panique à Eupen où les joueurs s’interrogent. Des seconds couteaux vont alors frapper à la porte du président Steffens (dont la société a modernisé le stade à une allure record la saison passée) : Roger Van Gool (ancien Diable Rouge à la base de la venue de Christoph Daum au Club Bruges), le papa de Pelé Mboyo qui fut un dirigeant en vue de l’AS Vita Club de Kinshasa, etc. C’est assez folklorique…
Même si son club gagne une tranche et signe un bon premier tour en championnat, le président Steffens constate que la pérennité du club est en grand danger. Eupen est dans le rouge. L’AS est totalement désorganisée et craint de ne pas obtenir la licence en mars. Il rappelle d’urgence Louf comme directeur sportif afin d’obtenir le précieux sésame. Il y a le feu : le spectre de la faillite pointe à l’horizon. Il faut trouver d’urgence 500.000 euros pour payer les salaires des joueurs qui s’impatientent, à l’image d’ Enes Saglik, approché par des clubs turcs.
C’est à ce moment-là, en février 2012, que Luciano D’Onofrio surgit au Kehrweg. Il signe une convention top secrète que les deux parties refusent de commenter. Malgré cela, il est acquis que D’Onofrio a bien avancé un premier chèque de 500.000 euros. Or, comme Klein s’était engagé à investir 100.000 euros par mois pour subvenir aux besoins de l’équipe première, LD devra encore dépenser 500.000 euros jusqu’à la fin de la saison pour rester maître du jeu. Désormais, c’est avec son conseiller et ami Maître Paul Delbouille, qu’il se déplace en terre germanophone. Tous deux étaient d’ailleurs présents lors du match Eupen-White Star.
En attendant de développer son plan financier et administratif pour Eupen, il est évident que l’homme de l’ombre est à la man£uvre dans tout ce qui concerne les décisions sportives actuelles et à venir. D’Ono est la seule bouée de sauvetage d’Eupen qui, sans son injection récente, serait en faillite. Même si cela n’entre pas en ligne de compte pour l’obtention de la licence, il reste à payer de nombreuses factures aux fournisseurs du clubs : plusieurs centaines de milliers d’euros, dit-on, mais c’est un détail à ce niveau-là.
Que vient faire D’Onofrio ?
L’arrivée de D’Onofrio, annoncée comme celle d’un messie, n’est pourtant pas dénuée d’intérêt. Depuis son inculpation en juin dernier pour blanchiment d’argent, faux et usage de faux, et son départ du Standard, l’ancien vice-président exécutif du club liégeois est annoncé un peu partout mais évite toute publicité autour de ses projets. Sans doute pour ne pas attirer la justice dans la foulée des médias. A Eupen, officiellement, il ne fait office que de bailleur de fonds, une sorte de mécénat à l’ancienne.
» Grâce à l’aide financière de M. Luciano D’Onofrio, les obligations financières imposées par l’URBSFA seront respectées. Le conseil d’administration du club tient à remercier M. D’Onofrio « , expliquait le communiqué du club germanophone.
Cependant, l’arrivée de D’Onofrio fait partie d’une stratégie mûrement réfléchie qui trouve son origine au Qatar, et à l’Académie Aspire, plus précisément. Cette académie avait déjà intéressé Anderlecht, il y a un an. A l’époque, l’agent de joueurs, Nenad Petrovic, focalisé sur les pays du Golfe, avait voulu proposer aux dirigeants bruxellois un accord de collaboration avec cette Académie mais les Mauves avaient finalement reculé.
Aspire est un maillon essentiel dans la politique expansionniste du Qatar, qui, en vue de la Coupe du Monde 2022, cherche à se positionner dans le monde du football et, du même coup, à améliorer le niveau de son équipe nationale. Officiellement, comme le clament les statuts d’ Aspire, il s’agit d’un projet philanthropique et humanitaire : faire venir au Qatar les meilleurs jeunes du monde entier, les former (avec les meilleurs entraîneurs possibles dans un centre qui n’a rien à envier aux meilleurs centres sportifs du monde) et leur donner la chance de faire du football leur métier. Mais quel est le but ultime d’ Aspire ? Attirer les meilleurs spécialistes du sport au Qatar et tenter de naturaliser l’un ou l’autre joueur pour son équipe nationale.
Ce projet a des ramifications, au Sénégal, à Saly, dans une académie qui accueille les meilleurs Africains (630.000 gamins ont passé les tests pour intégrer le centre en 2009 !). Dire que ces jeunes, formés dans d’excellentes conditions, attirent l’attention est un doux euphémisme ! D’autant plus que, comme il s’agit d’un projet humanitaire et donc sans but lucratif, Aspire ne peut disposer d’une équipe première, et donc ne peut intégrer un championnat, ni transférer ces joueurs. Ces jeunes essaiment donc vers les tournois, Aspire avait notamment une équipe lors du tournoi de Viareggio, un des meilleurs tournois de jeunes, en février.
Barcelone fut le premier à croire au filon. Derrière le contrat publicitaire conclu avec Qatar foundation pour apparaître sur le maillot blaugrana, une clause stipule que les meilleurs joueurs d’ Aspire pouvaient intégrer La Masia. Les champions d’Europe ont donc la priorité. Mais que se passe-t-il avec les autres ? C’est là que D’Onofrio intervient…
Aspire cherche des débouchés pour ses joueurs. Le directeur général de l’Académie, Ivan Bravo, actif précédemment au Real Madrid comme directeur de la stratégie, Josep Colomer, ancien directeur du centre de formation de Barcelone et aujourd’hui responsable du centre de Saly et Andreas Bleicher, ancien directeur d’ Aspire actuel ambassadeur de cette Académie en Espagne et qui a négocié le contrat liant Barcelone à la Qatar Foundation, ont cherché des solutions et ont fini par évoquer le projet à D’Onofrio, via l’avocat Jean-Louis Dupont. Son amitié pour Luciano est de notoriété publique. Fin 2000, Dupont avait d’ailleurs intégré le conseil d’administration du Standard pour le quitter quelques années plus tard. Les deux hommes ont déjà travaillé ensemble, notamment sur le départ d’ Oguchi Onyewu à l’AC Milan (Dupont est l’avocat du joueur américain) mais également sur la vente inaboutie de Marseille à Jack Kachkar. Dans ce dossier, il avait été notamment question que l’homme d’affaires libano-canadien rachète également le Standard.
Dupont, qui a ses bureaux à Barcelone, connaît très bien Colomer et est un des meilleurs amis de Bravo. Les discussions entre ces hommes portent principalement sur la possibilité de trouver un club capable de servir de tête de pont et d’accueillir ces joueurs africains afin de les faire progresser. La réglementation belge sans limite sur le nombre d’étrangers était toute indiquée mais encore fallait-il que les dirigeants en place acceptent la tutelle d’ Aspire. C’est pour cette raison que le club ciblé devait être à la recherche de fonds financiers, ce qui le rend naturellement plus à l’écoute de potentiels partenaires à la condition que ces derniers allongent l’argent nécessaire. Plusieurs clubs de D1 ont été envisagés et sondés, avant que D’Onofrio ne se tourne finalement vers Eupen.
Quelle sera la suite de l’histoire ?
D’Onofrio a conclu un accord avec les Qataris qui rembourseraient la mise de départ en cas de montée des Pandas en D1. Si Eupen reste en D2, il n’est pas certain que le deal soit maintenu (ni qu’il devienne caduc). En cas de poursuite de la collaboration, D’Ono s’installera à Eupen qui accueillera dès le mois de juillet, les meilleurs joueurs africains d’ Aspire, nés en 1994, comme le Sud-Africain Ndumiso Mngadi ou le Sénégalais Mbaye Mbengue, qui se sont illustrés au tournoi de Viareggio. Certains disent qu’une dizaine de joueurs pourraient ainsi débarquer dans les Cantons de l’Est pour faire d’Eupen un nouveau Beveren.
Mais pourquoi ne pas expliquer le projet face aux médias ? Parce que, si la machine s’est mise en route, elle n’est pas encore totalement effective. La montée en D1 pourrait la gripper, comme certaines tracasseries administratives. Comme Aspire n’a pas de licence de club, il faut que tous les joueurs africains de la classe 94, qui ont été mis sous mandat par l’agent sénégalais Lamine Savane avec lequel D’Onofrio collabore, retournent dans leur pays pour s’affilier à un club avant de pouvoir les envoyer à Eupen. C’est dans cette optique que Jean-Louis Dupont, – Sport/Foot Magazine a cherché à le joindre à plusieurs reprises sans succès -, s’est rendu à Saly début mars. Il a réuni tous les parents des joueurs et leur a expliqué le projet (il a évoqué un club de D1 ou de D2 belge). L’obtention de l’affiliation permettra, en effet, à ces joueurs d’obtenir plus rapidement un passeport sportif, nécessaire à tout transfert. Autre avantage de cette affiliation : permettre à tous ces clubs africains, liés à Aspire par un accord de collaboration, de bénéficier d’indemnités de formation.
Si D’Onofrio reste à Eupen, le club sera certainement restructuré en société anonyme, les hommes comme lui n’aiment pas les ASBL dans lesquelles les décisions sont prises par plusieurs personnes. Différents scénarios restent possibles et Eupen qui a des arguments (stade coquet, bonne situation géographique, proximité de la Bundesliga) se méfie car d’autres clubs aimeraient bénéficier du projet de D’Ono. Rusé comme un singe, il a probablement prévu des issues de secours si les Pandas ne montent pas (et même en cas de promotion !) : revendre la fameuse convention secrète à bon prix, par exemple.
PAR PIERRE BILIC ET STÉPHANE VANDE VELDE
» Eupen devrait accueillir dès juillet une dizaine d’Africains, issus de l’Académie Aspire de Saly, au Sénégal «
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