Etre Rouge

Pierre Bilic

Un peintre et plasticien liégeois est à la base de la rencontre de l’art et du football pour créer à Sclessin une ouvre monumentale unique au monde.

Etre Rouge : c’est le leitmotiv de l’action lancée par Vincent Solheid, un artiste qui fait un peu penser à Christo ou à Franco Dragone. Ils exposent leurs £uvres d’art dans la rue, emballent des monuments, inaugurent de grandes manifestations sportives par des spectacles hors du commun.

Vincent Solheid a déniché une toile exceptionnelle : le stade de Sclessin. Il a laissé courir son imagination, suscité la collaboration des supporters, séduit amateurs d’art, dirigeants, hommes d’affaires et politiciens afin que le chaudron liégeois suscite encore un peu plus l’étonnement.

Le football, il connaît. Vincent Solheid a joué au FC Xhoffraix, pas loin de Francorchamps..  » Chez nous, c’était carrément une religion « , avance-t-il.  » Mon frère a été gardien de but à Malmédy, en Promotion, et s’est même retrouvé entraîneur en 4e Provinciale, à Ster. Le dimanche, c’était comme une longue messe : je jouais le matin, toute la famille allait voir mon frangin l’après-midi. Puis, le soir, sur le coup de 17 h 45, nous écoutions, l’oreille attentivement collée à la radio, les résultats de tous les clubs de la région « .

Rien de plus beau que Sclessin

Médian, Vincent Solheid est retenu à 14 ans dans une sélection provinciale. Deux ans plus tard, à 16 ans, le jeune homme fête ses débuts au sein de l’équipe fanion de Xhoffraix. Son idole de l’époque n’est autre qu’ Asgeir Sigurvinsson.

 » Pour moi, il représentait le footballeur parfait « , dit-il.  » Un artiste. L’Islandais avait tout : physique, charisme, talent. Il l’a prouvé en Belgique mais aussi en Allemagne, à Stuttgart. Le Standard a toujours eu une attirance folle sur les jeunes de ma région natale. Liège, c’est loin de Malmédy et des environs, surtout quand on a 15 ans. Se rendre à Sclessin, c’était une expédition. Ce stade était devenu très important dans mon imaginaire. Je l’ai finalement découvert en 1978 : le Standard recevait la visite de Beveren. J’ai été carrément subjugué : cette pelouse était tellement belle, carrément fluo. Elle me semblait gigantesque. J’en ai pris plein les mirettes. Pour quelqu’un venant de la campagne, c’était tellement grand, tellement lumineux, tellement parfait par rapport à nos petits terrains régionaux. Rien n’était plus beau que Sclessin. A la maison, les murs de ma chambre étaient tapissés de posters et de photos des cracks de l’époque : Asgeir Sigurvinsson, bien sûr, Simon Tahamata, Eric Gerets, Michel Renquin, Philippe Garot, Théo Poel, Guy Vandersmissen, Eddy Voordeckers, Jos Daerden, Michel Preud’homme, Benny Wendt, Arie Haan, etc. Je ne jurais que par Robert Waseige, Ernst Happel, Raymond Goethals durant ma jeunesse « .

A ce moment-là, Vincent Solheid était à mille tableaux d’imaginer que le vieux club de Sclessin se transformerait un jour en une immense toile.  » Un jour, j’ai dessiné l’équipe du Standard et j’ai envoyé des portraits au coach, Robert Waseige, pour qu’il les remette à chaque joueur « , raconte-t-il.  » Un peu plus tard, je recevais des photos dédicacées de tous les joueurs et les compliments de Roger Petit. Je n’en revenais pas. J’avais trois rêves : devenir curé, footballeur professionnel ou artiste plasticien. J’ai opté pour la dernière solution. C’est aussi une vocation. Le tournant s’est produit à 17 ans. J’ai organisé une exposition dans un café de Malmédy. Le vernissage fut un beau succès. J’ai vendu tous mes dessins, tableaux et autres collages. Mes parents m’ont alors lâché à Liège afin que j’y fasse mes études artistiques à Saint-Luc « .

Le football s’éloigne un peu mais il signe des portraits d’ Henk Vos et de BernardBeuken. Sa cote grimpe à l’étranger, notamment en Allemagne, Hollande, Espagne et Angleterre. Il constate que beaucoup de visiteurs s’ennuient dans les musées. Vincent Solheid entend surprendre les gens dans la rue, les étonner, retenir leur attention, les faire réfléchir.

 » Que ce soit dans les musées ou les expositions, le visiteur va à la rencontre de l’art « , dit-il.  » Je suis de ceux qui estiment que l’art peut et doit aller serrer la main de tout le monde. Cela provoque des chocs très intéressants « .

Le stade est un point de repère

En 1999, Pierre Fontaine, le président du quartier de Pierreuse, à Liège, lui demande d’imaginer une fresque monumentale. Ce sera une belle réussite suivie par d’autres £uvres monumentales : les écritures à Malmédy, le  » quartier abattoir  » à Verviers,  » l’air  » à Liège,  » un c£ur pour l’Europe  » à Bruxelles, etc. Il prépare aussi un grand projet qui unira non moins de quinze capitales européennes. Tout est placé sous le signe de la chaleur et il invite même des fanfares lors de certains vernissages. L’art et la fête populaire : tout cela est finalement très proche du football. Rien n’est plus populaire que le ballon rond. Les footballeurs ne sont-ils pas, eux aussi, des artistes même si leurs créations sont éphémères ? Vincent Solheid a souvent imaginé de les rejoindre afin de ne pas être seul dans son atelier. Son flash, c’est de transformer tout le stade de Sclessin en £uvre d’art mais de là à obtenir la collaboration des supporters, les joueurs, des dirigeants et toutes les forces vives de la région, la marge est grande.

Il planche, rêve, invente, innove mais encore faut-il convaincre les pontes du Standard. Pas facile de les approcher quand on n’est pas un habitué des grands cénacles du football. L’épouse de Vincent Solheid est une amie de la compagne de Frédéric Waseige, lui-même très sensible à de multiples formes d’art, qui en parle à son papa. Lors d’un voyage, Robert Waseige remet le dossier à Luciano D’Onofrio. Ce dernier l’examine d’un £il intéressé. L’art est une de ses passions. N’a-t-il pas des £uvres de très grands maîtres chez lui ? Luciano D’Onofrio ne classe pas verticalement le projet de Vincent Solheid. Le Standard a cependant d’autres soucis et se réorganise. L’artiste passe quelques coups de fil à Alphonse Costantin mais, pour ce dernier, le stade n’est pas une priorité. La donne change quand Pierre François prend la direction du Standard. Il devine tout de suite que l’idée de Vincent Solheid cache de nombreuses potentialités. C’est, certes, une façon d’embellir le stade de façon originale et unique mais aussi de donner une image de marque unique et dynamique à toute une région.

Le stade de Sclessin est un point de repère, le long d’une voie d’eau, près d’un aéroport et de routes qui mènent vers le centre de la Cité Ardente : autant que ce soit beau. Tous les quinze jours, ce stade envahit tous les petits écrans en Belgique. En cas de qualification pour une Coupe d’Europe, Sclessin sera régulièrement vu dans le monde entier. C’est à l’échelle d’une ville, qui perd petit à petit sa sidérurgie, un intéressant mélange d’art, de sport et de marketing moderne. Liège tourne la page, regarde avec confiance vers l’avenir. Le Standard y participe à sa façon. Trois tribunes vont être relookées à partir du mois de mai.

 » Dès que le Standard nous donna son feu vert, nous avons consulté les supporters durant quatre mois « , affirme Vincent Solheid.  » Nous avons été soutenus activement par la Famille des Rouches, présidée par Louis Smal, et qui regroupe les clubs de supporters. C’était une démarche indispensable. Sclessin ne serait rien sans eux. Nous sommes dans l’émotion. Ce stade, c’est l’âme du club, l’endroit où l’on rêve, le QG, le port d’où partent les équipes pour conquérir des victoires. On y fait la fête, on boude, on chante mais c’est là que ça se passe, près de chez nous, comme dirait mon ami Benoît Poelvoorde. Tout le monde se régénère à Sclessin, d’abord les supporters. Je leur ai exposé mon projet et j’ai tenu compte de leurs remarques avant de faire le point dans mon atelier. En tant qu’artiste, je ne suis évidemment pas leur exécutant mais tout le monde doit se retrouver dans cette £uvre. Sclessin a toujours été chaud. Il faut renforcer cette image et le sentiment qu’il fait bon s’y rendre. Je vois déjà de plus en plus de parents avec leurs enfants à Sclessin : cela me réjouit et notre initiative renforcera, je crois, cette fierté, cette chaleur, cette émotion. Ce sera la rencontre de l’art et du football. Nous allons embellir trois tribunes « .

Roger Claessen, la légende du Standard

Cette £uvre monumentale sera réalisée à l’extérieur sur huit colonnes en béton qui cachent en fait des cages d’escalier. Cela fera en tout plus de 2.000 mètres carrés qui seront transformés en la plus grande £uvre monumentale à caractère permanent en Belgique. Des techniques et des matériaux de pointe en assumeront la pérennité. En ce qui concerne la tribune 3, côté terril, la priorité sera donnée à l’art urbain du graff’.

 » A mon avis, cela colle parfaitement à l’ambiance fantastique qui règne dans cette partie du stade « , dit Vincent Solheid.  » C’est là que brûlent les plus belles flammes de l’enfer de Sclessin. Je sais ce que les gens y ressentent. Nous avons demandé à des rois du graff’, Jaba, Recto et Nino, de rendre cette ambiance très particulière « .

Quatre grosses colonnes de béton divisent la tribune 1. L’une d’elle, à côté de l’entrée principale, sera consacrée à Roger Claessen. Il a marqué plus que personne l’histoire du club et les supporters l’ont élu afin qu’il devienne l’icône du Standard. A la gauche de Roger Claessen, la légende du Standard, une colonne sera réservée à l’âme du Standard. Les supporters auront le loisir d’acheter des carrelages de 20 cm de côté, qu’ils décoreront eux-mêmes (signatures, poèmes, dessins…) et serviront de fond à une silhouette en néon lumineux symbolisant l’âme du Standard. La troisième colonne, toujours aussi rouge, est une étude anatomique d’un supporter. Elle prouve que tout, chez le fan du Standard, est rouge : son c£ur, ses artères, son cerveau, tout, absolument tout. Cette tribune 1 s’achèvera par une colonne rouge, garnie uniquement de catadioptres. Quand le soleil se mirera sur cette tour, ce sera infernal « .

La tribune 4 sera consacrée au fair-play. Les deux colonnes nécessiteront non moins de 6.000 carrelages marqués d’empreintes de mains des supporters. Le mot fair-play sera écrit en grand et en blanc sur une des colonnes. Sur l’autre, il y aura la définition du mot selon le dico. Le budget de cette £uvre monumentale a été fixé à 500.000 euros et sera financé par l’achat des carrelages (supporters, firmes et autres), des actions de sponsoring plus élargies. Le monde des affaires liégeois réagit très bien et entretient déjà de nombreux contacts avec l’asbl Utopies Pragmatiques de Damien Breucker, Pierre Fontaine et Nicolas Wollseifen qui soutiennent l’artiste. Les premiers travaux commenceront durant le prochain été et se termineront un an plus tard.

 » Certains stades comptent parfois une fresque mais l’£uvre monumentale que nous entamons au Standard est unique au monde « , conclut Vincent Solheid.

Pierre Bilic

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