ÊTRE OFFENSIF ?

Bernard Jeunejean

Il me semble entendre souvent que le Barça est favori de cette Ligue des Champions et que sa victoire (souhaitée) serait celle du football offensif. Sous-entendu : le Barça privilégierait l’attaque davantage qu’Arsenal ou Milan, serait pour cela garant du vrai football vivant, et sa victoire aurait quelque chose d’éminemment moral. Franchement, quitte à m’afficher gros benêt, tout cela m’échappe : plus je vois jouer entre elles toutes ces grosses cylindrées friquées du G14 et environs, plus les spécialistes de studio se bousculent sur toutes les chaînes pour m’expliquer comment elles jouent… et moins je vois de différences entre leurs options de jeu respectives !

Seuls les moments diffèrent, selon que c’est l’adversaire qui possède le ballon ou selon que c’est toi qui parviens à le posséder. Et à ces deux moments résumant tout le foot, il n’y a pas 36 options : tu défends dare-dare parce que tu dois et en t’efforçant de réduire les espaces, tandis que ton opposant attaque dès qu’il peut et en s’efforçant de trouver des espaces ! Et tout le monde est redoutable en contre, précisément parce que le contre est synonyme de grand espace. Et tout le monde s’efforce d’obtenir des fautes lors des moments de siège, pour tenter ensuite d’exploiter des phases arrêtées. Et tout le reste est littérature.

Cela fait un bout de temps que je récolte dans mon calepin footeux, à chaque fois que quelqu’un s’exprime sur le concept, des définitions de ce que serait le football offensif : il y en a pour tous les goûts, voyez voir, je vous les soumets ! Etre offensif, ce serait…

… presser l’adversaire le plus haut possible dans son camp ( Marc Degryse), défendre devant pour récupérer le ballon le plus haut possible ( JanOlde Riekerink), jouer haut, oser laisser de l’espace dans le dos de sa défense ( Ariel Jacobs).

… avoir pour soi la possession de ballon, se créer un grand nombre d’occasions de but réelles ( Aimé Anthuenis).

… sélectionner suffisamment de joueurs offensifs, capables de mettre un but au fond ( Emilio Ferrera).

… prendre des risques, laisser de nombreux joueurs devant le ballon au moment où celui-ci est perdu ( Franz Masson).

… avoir de vrais ailiers, garder en permanence le long de la touche des gars qui déborderont quand le ballon leur sera transmis ( Pierre Antoine).

… et bien d’autres définitions encore, dont je n’ai pas noté les auteurs. Etre offensif, ce serait défier l’adversaire direct et oser le dribble, parce que celui-ci crée juste ensuite la supériorité numérique… Jouer la zone derrière pour ne priver personne de participation à la construction… Etre créatif et prendre l’initiative en agissant avec ballon, au lieu de seulement réagir en perte de balle…

Tout cela est vrai dans l’intention, tout cela n’est pas en même temps réalisable dans les faits : face à un adversaire de force équivalente, une équipe qui ambitionnerait d’appliquer l’ensemble de ces paramètres se ramasserait à mon avis une dégelée d’anthologie ! Je me rappelle une réflexion de René Vandereycken disant qu’aucune définition du football offensif n’était à ses yeux convaincante, et qu’il y avait en fait confusion entre foot offensif et foot spectaculaire. Un match à buts nombreux donnera toujours davantage de spectacle, fût-ce le spectacle de bévues monumentales. Mais les buts nombreux ne découlent pas forcément d’intentions offensives nombreuses ! Ou encore, tu peux entrer sur le terrain bourré d’intentions offensives… et être contraint par l’adversaire à défendre 90 minutes ! Ou tu peux jouer haut sans créer nul danger… ou jouer bas en semant une panique continuelle et jolie dans le camp adverse !

Il n’existe pas d’équipe à la fois offensive au détriment de la prudence ou de la discipline, et victorieuse plus souvent qu’à son tour. Et pas plus le Barça que n’importe quel top team, vu qu’au Barça comme partout, 5 ou 6 des 10 joueurs de champ ne sont quasi jamais concernés par la participation offensive en zone de finition : une équipe résolument offensive serait une équipe résolument mal équilibrée ! Etre offensif ne se conjugue en fait qu’au passé composé. Avoir été offensif, c’est constater après coup qu’on a réussi à l’être : ce n’est souvent qu’avoir réussi à marquer plus d’un but… et davantage que l’adversaire ! La seule différence au Barça, celle qui donne l’illusion d’un foot plus offensif qu’ailleurs, c’est la présence d’un virtuose exceptionnel car Ronaldinho, plus que Thierry Henry ou Andriy Shevchenko, quel que soit son rendement, est un… spectacle à lui tout seul !

bernard jeunejean

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire