Etranger au Brésil

Encensé à Barcelone mais critiqué chez lui, l’attaquant a encore manqué un rendez-vous important avec la Seleçao contre l’Uruguay.

Le maillot de la Seleçao, il l’aime. « J’ai toujours envie de le porter. Je l’ai dans mon coeur. Jamais je ne refuserai de jouer pour le Brésil. Pourtant, parfois… »

Le cri s’est mué en une sourde plainte et le regard de Rivaldo a sombré dans le vague. Comme souvent lorsqu’il évoque ses relations avec ce qui le rattache à son pays natal. Des relations tumultueuses, violentes, nouées depuis tant de temps que ce joueur, si souvent décisif et brillant en blaugrana, n’était plus que l’ombre de lui-même sous la tunique auriverde à l’occasion de ses ultimes apparitions. Après la défaite il y a dix jours contre l’Uruguay en qualifications pour le Mondial 2002, le Brésil était en quatrième position dans son groupe. Match vérité le 14 août contre le Paraguay, deuxième du groupe, et immédiatement après contre l’Argentine, le leader…

En dépit de son statut au Barça, Rivaldo glisse dans la conversation: « Je ne suis originaire ni de Rio ni de Sao Paulo mais de Recife, et ce fut longtemps mon plus gros handicap ». Selon lui, il a trop rarement reçu les éloges médiatiques et le soutien populaire qu’il méritait, essuyant plus souvent qu’à son tour les critiques sournoises ou brutales d’une presse féroce et prompte à dresser le public contre lui. Un public ingrat et vulgaire comme celui du Morumbi qui, au bout d’une pénible victoire sur la Colombie en novembre dernier (1-0), le conspua et l’injuria bassement.

« Oui, parfois, tout cela m’a dégoûté. Mais, vous le voyez, j’ai toujours repris le dessus », murmure Rivaldo.

Trop vite décrit comme un type fade et lisse, Rivaldo est d’abord un homme sensible, en quête de considération. Il n’est pas non plus dépourvu de courage. Quand d’autres de ses compatriotes préfèrent prudemment s’abstenir de tout commentaire sur ce chapitre, lui, dans un petit sourire contrit, démarre l’entretien par ces mots: « Je suis prêt à répondre à toutes les questions, mais la Seleçao est un sujet sensible. Mes propos sont décortiqués. Il faut que je fasse attention ».

Tellement brocardé, victime des coups les plus bas, il se méfie. « Mais je suis libre ». Sûr de son immense talent et animé d’une volonté farouche d’être le plus fort, il croit surtout que rien ni personne ne pourra l’abattre. Il est blindé.

« Vous ne pouvez pas savoir ce que j’ai déjà subi. Ce que j’ai dû endurer ». Il se souvient. Les premiers quolibets et le début du malentendu datent des JO d’Atlanta, en 1996, où il fut tenu comme l’unique responsable de l’élimination en demi-finales face au Nigeria. « Pour une balle perdue au milieu du terrain, qui nous a valu d’encaisser un but, alors qu’à cet instant du match on menait 3-1. J’ai payé la note tout seul. Pour tout le monde, j’étais le coupable. Pour un petit ballon perdu, vous vous rendez compte! Et dire qu’après ça Zagallo m’a exclu pendant toute une année… J’étais carrément oublié ».

Cinq années ont passé, mais le traitement qu’on lui inflige régulièrement n’a pas varié. En l’absence de Ronaldo, sur le flanc, il est de fait l’expatrié le plus exposé, davantage que Cafu, Roberto Carlos, Emerson ou n’importe quel autre véritable international brésilien. « La pression ne me dérange pas, on ne m’a pas fait de cadeau et j’y suis habitué depuis ma jeunesse. Je préfère cependant quand je ne suis pas le seul dans l’équipe à la supporter. Oui, c’est mieux si elle est divisée ». Et si, au travers d’une Coupe du monde 98 plutôt réussie au plan personnel, il avait enfin réussi à calmer le courroux des supporters, Rivaldo est redevenu la cible idéale depuis le calamiteux début de la campagne des éliminatoires pour 2002, qui a fini par plonger le Brésil dans le doute. Et ce désamour qui n’en finit par le rend malheureux. Pourtant, il est en pleine forme et il le clame.

« Il a inscrit trente-six buts toutes compétitions confondues la saison passée », s’enthousiasme son ami Manuel Auset. « Ni Zidane, ni Figo, ni Beckham, ni aucun numéro 10 n’a marqué autant cette saison! Presque à lui tout seul, il a qualifié le Barça pour la Ligue des Champions, lors de dernière journée de la Liga, inscrivant les trois buts de son équipe, dont un fabuleux retourné à la dernière minute ».

Une fois de plus, il a démontré sa classe exceptionnelle et son aptitude à répondre présent dans les moments décisifs. De quoi éclairer son visage, qui paraît souvent sombre, d’un sourire lumineux et plein de satisfaction.

Voici dix jours, l’équipe du Brésil avait mis le cap sur Montevideo où l’attendait une confrontation avec la Celeste, qui s’annonçait chaude. Luis Felipe Scolari, le nouveau sélectionneur, le quatrième en quatre ans après Zagallo, Luxemburgo et Leao, l’avait sélectionné, comme il a battu le rappel des principales vedettes qui évoluent sur le continent européen puisqu’il ne manque à l’appel que les Lyonnais ( Edmilson, Anderson, Caçapa) et quelques autres dont les Parisiens Vampeta et Ronaldinho Gaucho.

« Je ne crois pas que c’était une partie décisive car il reste encore cinq matches, mais elle était évidemment très importante. En perdant, nous risquions de nous retrouver cinquièmes ou sixièmes, et là, oui, ça devenait carrément gênant », avouait Rivaldo. Au classement, le Brésil occupe toujours la quatrième et dernière place qualificative mais à égalité de points avec l’Uruguay dont la suite du programme est nettement moins ardue.

Titulaire quasi inamovible pour les rencontres officielles sous les ordres de Wanderley Luxemburgo comme sous ceux d’Emerson Leao, Rivaldo a été écarté depuis la honteuse défaite subie en Equateur (1-0) le 28 mars dernier. Absent, notamment, à l’occasion de la rencontre suivante face au Pérou, synonyme de nul (1-1), il se désole des piètres résultats obtenus par une sélection fantomatique, indigne de son histoire.

« Pourquoi, comment en est-on arrivé là? C’est dur à dire. Je ne suis qu’un joueur. Mon opinion, c’est que ce n’est plus du tout la même équipe que celle qui a disputé la finale de 1998. Il y a eu beaucoup trop de changements. Quatre, cinq joueurs ne sont plus là, c’est beaucoup ».

Il compare la situation avec celle des équipes européennes et constate que, dans les grandes sélections comme la France, l’Italie, l’Argentine, l’Espagne ou la Hollande, ce sont les mêmes ou pratiquement qui vont jouer la prochaine Coupe du monde : « C’est un avantage important ».

Le grand brassage permanent auquel se livrent les sélectionneurs qui défilent n’est sans doute pas le meilleur moyen pour garantir un véritable fonds de jeu. « Les grands joueurs ne suffisent pas. Il faut se connaître, travailler ensemble plus souvent. On ne fait pas une équipe comme ça ».

Septante joueurs, dont quelques illustres inconnus qui le demeureront probablement, ont ainsi défendu l’honneur du Brésil sur la planète depuis le 12 juillet 1998, pour des matches farfelus ou plus sérieux.

« Au Brésil, tous les jours ou presque il y a des matches et des joueurs qui se font remarquer. Le sélectionneur regarde les matches de Sao Paulo, de Cruzeiro, des Corinthians, de Flamengo, de Vasco, de Fluminense, et quand un joueur sort trois ou quatre bons matches, la presse carioca ou paulista dit qu’il faut le convoquer ».

Sans rire, le Ballon d’Or 1999 s’excuse alors: « A certains rendez-vous de la Seleçao, il m’est arrivé de ne pas savoir comment s’appelait tel joueur. Je vous le jure, ce n’était pas de la mauvaise volonté de ma part. Ça va tellement vite…On éprouve des difficultés dans ces éliminatoires parce qu’on n’a pas voulu faire appel aux Européens. C’est tout ».

Pour lui, une évidence s’impose. Au complet, avec toutes ses stars, celles dont il décline les noms sans effort, de Dida à Romario, en passant par Antonio Carlos (dit Zago à l’AS Roma), Lucio, Roberto Carlos, Mauro Silva, Emerson, Juninho Paulista ou Elber, la Seleçao aurait dû offrir une image bien différente. Une Seleçao où seul Ronaldo fera encore défaut : « Notre dernier coup de fil remonte à un mois. Il va de mieux en mieux et ne doit pas se presser pour revenir. L’objectif, c’est la Coupe du Monde, c’est dans un an ».

La parenthèse refermée, il balance presque d’un trait : « Si on retrouvait la majorité des mondialistes de 1998, avec le concours de quelques nouveaux, le Brésil redeviendrait vite une équipe de premier plan. Pour se qualifier, il faut des joueurs qui ont joué des rencontres importantes ou qui ont l’habitude d’en jouer. Actuellement, le Brésil n’inspire plus le respect. Il ne fait plus peur car les joueurs ne sont pas réputés. L’Argentine? On connaît tous ses joueurs. C’est pareil pour la France, les Pays-Bas,l’Italie, l’Espagne. Le Brésil a besoin de ses joueurs importants, connus ».

Devant un tableau aussi triste, Rivaldo ne jette la pierre à personne. Il se refuse à incriminer Ricardo Teixeira, le président de la CBF. « Il a toujours été correct avec moi. Des problèmes, n’importe quel homme peut en avoir ».

Il repousse l’idée que le pouvoir économique de Nike, l’écrasant sponsor, puisse avoir des conséquences néfastes sur la préparation : « Je suis sous contrat avec Mizuno, mais Nike n’a jamais exercé la moindre pression sur moi. Maintenant, des accords ont été signés il y a quelques années par la CBF et il existe des obligations à remplir. Le public se déplace pour voir les meilleurs joueurs et c’est pourquoi la présence des vedettes est indispensable. C’est vrai que certaines rencontres parfois lointaines, ne présentent aucun intérêt pour une sélection de la catégorie du Brésil. Oui, je sais que notre football n’est pas organisé. Ça serait bien qu’on progresse à ce niveau, mais qu’est-ce-que j’y peux, moi? Je ne peux rien changer, et si on me demande de jouer, je joue! »

A ses yeux, tous les sélectionneurs sont de bonnes personnes. Scolari? Les deux hommes ont longuement discuté à Palmeiras il y a quelques mois. « J’avais de bons rapports avec Luxemburgo, comme avec Leao. Ils font tout leur possible dans un contexte difficile. Quand ils sélectionnent les joueurs d’Europe et que les résultats ne sont pas bons, c’est parce que nous n’avons pas l’amour du maillot, qu’on s’en fiche, qu’on est trop payés, et plein de trucs comme ça. Mais quand ce sont les joueurs du pays qui concèdent le nul contre le Pérou, ils disent le contraire, que les Européens sont indispensables. On n’y comprend rien. Mais il y a de très fortes pressions dans le pays, qui placent l’entraîneur dans une position délicate. Chez nous, la presse est très puissante. En Europe, je ne vois pas les mêmes critiques sur les autres sélections. Je crois que tous les médias doivent aider, appuyer leur sélection. Quand on joue mal, la presse doit le dire, mais la critique doit être constructive. Au Brésil, elle est négative.

On nous appelle les étrangers, on est pourtant des Brésiliens! C’est grave. Comment voulez-vous évoluer en confiance quand on ne vous laisse pas tranquille. Ce n’est pas parce que j’ai été sacré meilleur joueur du monde, que j’ai eu le Ballon d’Or et que je gagne beaucoup d’argent qu’on doit tout me mettre dessus. Les jeunes qui débarquent et qui n’ont qu’un ou deux matches derrière eux ne peuvent être tenus pour responsables, mais ce n’est pas une raison pour taper systématiquement sur les mêmes. Et puis, qu’on gagne ou qu’on perde, c’est toujours à onze, il me semble. Moi, je donne toujours le maximum, en sélection comme avec le Barça. Mais ce n’est pas toujours facile, à cause des douze heures de voyage, du décalage horaire, de l’alimentation. Nous ne sommes pas des machines ».

Vincent Machenaud, ESM

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