ETOILE DU NORD

Il n’y a pas que des nouvelles de dopage, ou les bienfaits d’un vent frais.

Le 800 mètres vient de s’achever, ultime et redoutée épreuve de l’heptathlon. Carolina Klüft (23 ans) est choquée, comme si elle n’imaginait pas avoir triomphé aux championnats d’Europe de Göteborg, sa ville natale. Puis elle laisse éclater sa joie. Extravertie, la blonde au visage d’ange fait signe à ses concurrentes pour l’accompagner dans son tour d’honneur. Image étonnante, malgré la collégialité des épreuves multiples. Mais Carro, comme la surnomment affectueusement ses compatriotes, est ainsi faite. Elle laisse libre cours à ses émotions et là, sur sa piste, elle baigne dans un bonheur qu’elle n’imagine pas solitaire. Drapée dans un immense drapeau jaune et bleu, elle interrompt sans cesse son tour d’honneur pour embrasser des connaissances dans les tribunes.

Carro était la grandissime favorite de l’heptathlon et n’a pas trébuché une seule fois, malgré la pression qui pesait sur ses épaules et quelques soucis aux ischio-jambiers, la semaine ayant précédé le concours. Si elle n’a pas honte de ses émotions, jamais elle n’a laissé percer le moindre doute durant ses sept travaux, remarquable de régularité. Fraîche comme une rose, elle a également participé au saut en longueur, sa discipline de base, et s’est placée à la disposition de l’équipe de relais 4×100 m !

Sans cette touche d’incrédulité à l’arrivée, on eût cru que ce championnat d’Europe ne constituait qu’une excursion pour celle qui, gamine, malmenait les attractions du parc voisin de Lisberg. Klüft dit ce qu’elle pense, elle est spontanée, ne craint pas la presse à sensation :  » Je ne suis pas assez célèbre pour l’intéresser. D’ailleurs, je ne veux pas être une star, ce n’est pas cool « . Elle assortit ses autographes soigneusement calligraphiés d’un c£ur et a posé, l’année dernière, pour le célèbre photographe britannique Jason Bell, qui a réalisé des clichés plutôt sexy et a dit :  » Elle est tout sauf une diva. Elle est elle-même. Naturelle « . Mais pas jouette comme on pourrait le croire.

Elle est un des produits d’un programme de formation lancé en 1995 dans la foulée du championnat du monde de Göteborg. Elle émarge à l’élite mondiale en longueur comme en épreuves multiples et n’a besoin de personne pour la motiver :  » Ma retraite n’est vraiment pas pour tout de suite. Aussi longtemps que j’éprouverai du plaisir, que j’apprendrai et que je progresserai, je continuerai. Si un de ces éléments venait à faire défaut, la pyramide pourrait s’écrouler. Je n’y pense pas, pas plus qu’à ce fameux trou noir de la reconversion, tant les événements se bousculent : le Mondial dans un an puis les Jeux…  »

Fondamentalement suédoise

Faussement décontractée, la Suédoise a renoncé à sa saison en salle, si importante pour les Suédois, compte tenu de la rigueur des longs hivers, afin de ne pas risquer de blessure. Lors du Mondial d’Helsinki en 2005, qu’elle a remporté malgré une blessure au pied, occasionnée la veille de l’heptathlon, elle a appris à gérer un concours dans les pires conditions. Elle s’est imposée d’une courte tête devant la Française Eunice Barber, la seule qui semblait à même de la menacer cet été mais qui a abandonné, blessée, à la deuxième épreuve suédoise. A Göteborg, Klüft espérait aussi battre le record d’Europe de la Russe Larissa Nikitina, qui a réalisé 7.007 points il y a 17 ans. En 2003, Carro est arrivée à 7.001 points, devenant la troisième femme à passer le cap des 7.000 unités, après la Russe et Jackie Joyner-Kersee…  » Je détiens la forme des 7.000 unités. Je dois pouvoir battre ce record « , avait-elle déclaré avant l’ouverture de l’EURO. En revanche, ne lui parlez pas du record du monde, propriété de l’Américaine Joyner-Kersee depuis 1998 aux JO de Séoul (7.291 points). Le thème agace la jeune femme :  » Cette performance est trop bonne « . Elle ne trahira pas davantage le fond de sa pensée.

En se drapant dans un immense drapeau suédois, elle n’a pas simplement sacrifié à la coutume. Elle est profondément patriote et les Suédois ne s’y trompent pas : s’ils encouragent tous leurs compatriotes, ils ont un faible manifeste pour Carro, idole nationale, quoi qu’elle en dise. Contrairement à ses collègues le triple sauteur ChristianOlsson ou la sauteuse en hauteur KajsaBergqvist, elle n’a pas l’intention de s’établir à Monaco :  » Dans mon village, tout le monde me connaît depuis longtemps, je mène une vie normale. J’ai besoin de ma famille, de mes amis, j’aime vivre dans mon pays « . Avant l’EURO, elle a renoncé au saut en longueur du meeting plantureux de la Golden League à Rome pour un simple concours à Sollentuna, non loin de Stockholm.  » Pour faire plaisir à mes compatriotes « . Néanmoins, son père Johnny, qui est son manager, veille à ses intérêts financiers… Au quotidien, elle partage la vie de Patrick Kristiansson, un sauteur à la perche auquel elle est fiancée.

Klüft a toujours baigné dans un milieu sportif. Sa mère était sauteuse en longueur et son père footballeur. Ses trois s£urs sont également sportives. Longtemps, dans un pays où le football féminin compte énormément d’adeptes, elle a pensé s’orienter vers cette discipline :  » L’athlétisme me rebutait. Il me paraissait trop dur. Puis ma s£ur m’a emmenée à un entraînement et j’ai réalisé que je pouvais aussi m’y amuser en athlétisme. J’avais 11 ans. Aujourd’hui, je suis meilleure dans les sauts, longueur et hauteur, que les lancers, c’est clair. Ce qui m’attire en heptathlon, c’est la variété et l’ambiance familiale qui règnent durant les concours. Evidemment, je veux gagner mais je voudrais que tout le monde soit content… Je peux aussi vivre avec une défaite, à condition d’avoir livré le meilleur de moi-même « .

Elle est cependant invaincue depuis 18 championnats internationaux et sa médaille de bronze en pentathlon, aux championnats en salle de 2002.

Elle fait penser à Clijsters

Quelque part, elle rappelle Kim Clijsters : comme elle, elle continue à mener une existence normale ; peut-être même davantage, l’athlétisme ne bénéficiant pas de la popularité du tennis. Elle continue à fréquenter ses amis et à sortir -modérément. Elle n’a d’ailleurs pas adapté son régime alimentaire à la compétition : elle mange ce qu’elle aime. Avant une compétition, pour se décontracter, elle avoue écouter de la musique. Elle soutient financièrement un enfant au Kenya depuis l’âge de seize ans. Si elle partage la philosophie de Clijsters, la Suédoise présente un palmarès plus étoffé et a les dents plus longues, sous ses dehors décontractés .  » Je n’ai pas d’idole mais je m’inspire de tas de gens, comme ma mère. J’aimerais rencontrer Denise Lewis (ex-championne olympique anglaise de l’heptathlon et ex-épouse de Patrick Stevens). Plus âgée que moi, elle a davantage d’expérience et pourrait m’apprendre beaucoup « .

Agne Bergvall, son entraîneur, précise :  » On n’atteint sa maturité que vers 28 ans, en heptathlon « . En pleine crise suite à plusieurs scandales de dopage, l’athlétisme s’est trouvé une étoile joliment pure.

PASCALE PIÉRARD

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