Etat de choc

Il y a les chagrins ordinaires et périssables. Et puis, il y a les bouleversements tragiques, inattendus, dont on craint de ne jamais se relever. Lundi dernier, la Suisse s’est réveillée en état de choc. Oui, contre toute attente (nourrie surtout par les prédictions totalement erronées des sondages), le parti de droite, l’Union démocratique du centre, et le parti évangélique conservateur, l’Union démocratique fédérale, l’ont emporté. Leur initiative anti-minarets a convaincu pas moins de 57,5 % des participants à la votation de ce 29 novembre, un véritable plébiscite pour les partis populistes. Tous pris de court ! A commencer par l’establishment (partis politiques traditionnels, milieux d’affaires, Eglises catholique et protestante), qui avait vainement tenté de mobiliser les électeurs en faveur du non. Mais le peuple n’a rien entendu. Du moins celui qui s’est levé pour aller voter. Car, rappelons-le, en Suisse, le vote n’est pas obligatoire. Seul un Suisse sur deux (53 % de taux de participation) s’est donc rendu aux urnes (au fait, où étaient donc les autres, ceux qui aujourd’hui ont honte ?). Une majorité silencieuse, certes, mais très motivée. N’avait-elle pas le sentiment jusqu’ici de ne pas avoir été entendue ? L’opportunité, entre autres, pour une vieille droite d’anti-immigrés de se lâcher. Une droite profondément ancrée dans le paysage politique (et qui s’était fait notamment remarquer en 1971 quand, à l’initiative de l’Action nationale de James Schwarzenbach, elle tentait d’expulser pas moins de la moitié de la population étrangère installée au pays de Guillaume Tell).

Derrière l’acte politique, cherchez les peurs ! Amplifiées par la crise, notamment bancaire, qui sévit aussi sur les terres de la multinationale Nestlé. Peur du radicalisme religieux. Peur de l’étranger, quel qu’il soit, à Heidiland on est tellement mieux entre soi. Même si la communauté musulmane compte, en Suisse, à peine 400 000 personnes, dont 75 % de moins de 25 ans et une grande majorité de non-pratiquants. Pour la minorité de fidèles, pas de souci toutefois, si la construction de minarets est désormais interdite, il n’en est rien de celle des mosquées. Tout comme est toujours autorisé, bien sûr, l’exercice du culte musulman.

Aujourd’hui, les Helvètes doivent trouver le chemin de la réparation. Du dialogue, de la main tendue, de la sérénité. Pas facile. Tous nos Etats occidentaux démocratiques ne sont-ils pas, en effet, ébranlés par la délicate incursion du religieux dans la sphère publique ? Comment légiférer correctement face à ces questions sensibles, comment trouver de nouveaux équilibres dans la confrontation entre autochtones, attachés à une culture de sécularisation, et allochtones imbibés de proximité avec le religieux ? Quelles nouvelles règles pour qu’une partie de la population ne se sente pas menacée et l’autre discriminée ? Avec pour seule certitude, pour les partis démocratiques, que s’ils refusent d’aborder les sujets qui fâchent, ils font le lit de l’extrême droite. Et c’est bien la leçon que nous donne la calamiteuse votation suisse. Nulle trace de débat de fond sur toutes ces questions à l’initiative des élus helvétiques ces dernières années qui ont préféré la politique de l’autruche. Or, plus que jamais, en Suisse, en Belgique, partout en Europe, le débat s’impose, sans tabou. Tout doit être dit et mis sur la table. La seule voie pour éviter que les extrémistes de tous bords se recroquevillent dans leurs tranchées. Car, comme le souligne avec pertinence le politologue français Olivier Roy,  » lorsque le peuple n’est pas écouté, il finit par se tromper de colère « .

l’éditorial de christine laurent

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