» Et soudain, je me suis retrouvé au Japon « 

Ils n’ont jamais entendu parler du club, ne connaissent personne au sein du vestiaire et savent qu’ils n’auront pas droit à une deuxième session. C’est l’été et, partout, des joueurs tentent leur chance.  » Heureusement qu’il y a WhatsApp.  »

« On joue à Virton, on est mené et l’arbitre siffle tout contre nous. C’est ça la D2, les gars. Il faut se battre. Plus vite, Constant, plus vite !  » Il fait chaud au Cercle Bruges. Fred Vanderbiest, le nouvel entraîneur, ressemble à un taureau dans l’arène. Constant Zahui Ahipo se prend la tête entre les mains. Il nous fait penser à Habib Habibou : même regard, même morphologie. Il souffle ! Vanderbiest n’accorde pas une minute de répit à ses joueurs.

Le long de la ligne, les habitués sont là. Ils venaient déjà au stade avant de connaître leur femme.  » Le type aux long cheveux noirs, je ne sais pas qui c’est « , dit un homme appuyé sur la selle de son vélo.  » Comment ? Ahipo ? Quel joli nom !  » Vanderbiest siffle la fin de l’entraînement. Rudi Stroobants, qui s’occupe de Constant, part à la rencontre de son joueur :  » Ça va, mon ami ?  »

Chaque été, c’est pareil : les supporters voient arriver des joueurs qu’ils ne connaissent pas. Des gars aux noms étranges, venus de pays lointains. Comme Constant, qui débarque de Côte d’Ivoire et est en test au Cercle. Ils arrivent tout au long de l’année mais surtout en été, lorsque les clubs font leur marché. Ou alors, il s’agit de jeunes qui, avant de frapper à la porte de grands clubs, sont parfois obligés d’acquérir de l’expérience dans des championnats de moins grande envergure.

C’est ainsi qu’Ivan Perisic, rejeté par Anderlecht, a atterri à Roulers. Aujourd’hui, il joue à Wolfsburg. Mbark Boussoufa, Ahmed Hossam (Mido) et Moumouni Dagano ont connu la même aventure. Mais, la plupart du temps, les joueurs en test sont représentatifs du côté obscur du football. Derrière les EdenHazard et autres KevinDeBruyne, il y a tous ceux qui se battent pour se faire une place au sein d’un petit club en espérant tomber dans de bonnes mains. La vie d’un joueur en test est rude, imprévisible et pas du tout transparente.

De Saint-Etienne à Kobe

 » J’ai déjà beaucoup vécu « , raconte Constant, revigoré par une bonne douche. Il semble lucide.  » Petit, je jouais au Satellite Abidjan, en Côte d’Ivoire. C’est là que j’ai été repéré par les recruteurs de l’équipe nationale des jeunes. Un scout m’a alors amené en Europe et m’a proposé à Saint-Etienne. Evidemment, c’était un rêve. Des amis qui avaient plus de talent que moi n’avaient pas eu cette chance.

Mais soit… A Saint-Etienne, on n’a pas trouvé d’accord. Je suis alors passé par Châteauroux et Deauville avant de partir effectuer un nouveau test à l’autre bout du monde. Soudain, je me retrouvais au Japon, à Kobe. Tout cela à la demande de mon agent.  »

Constant y reste une semaine avant de terminer sa course en Thaïlande, où il joue pendant quatre ans.  » Après le Japon, je découvrais encore un vestiaire qui m’était totalement étranger. Je vois encore les Thaïs me regarder l’air de dire : C’est qui, ça ? Presque personne ne parlait anglais, français encore moins. L’intégration a été difficile mais, après un certain temps, les Thaïs m’emmenaient au restaurant et ils m’aidaient.  »

 » Qu’on soit en test ou qu’on soit tout simplement jeune, on risque toujours de tomber entre de mauvaises mains. On joue par passion mais, surtout, on joue pour son avenir. On a des objectifs en tête mais cela ne veut pas dire que l’agent a des intentions aussi louables.  »

L’histoire de Constant est celle de milliers d’autres joueurs : des années d’errance, toujours avec le sourire. Finalement, le voici au Cercle. Et on voit qu’une certaine pression repose sur ses épaules, pourtant solides. Il n’a pas de plan B. C’est le Cercle ou le désert. Et alors que la concurrence au sein même du noyau est déjà féroce, chacun se battant pour sa place, voilà qu’un étranger débarque. Essayez seulement !

Après la Thaïlande, il n’a pas trouvé de club. Finalement, le colosse d’Abidjan s’est retrouvé à Sassport Boezinge, en Promotion. Pour obtenir sa licence, ce défenseur a accepté de jouer en pointe.  » Tu es grand, tu feras l’affaire devant.  »

 » Après la Thaïlande, j’ai voulu tenter une nouvelle fois ma chance en Europe. La réussite de Yaya Soumahoro, un Ivoirien de mon âge, à Gand, me rassurait. Maintenant qu’un grand club comme le Cercle m’offre une opportunité, je dois rester calme, ne pas stresser inutilement à l’entraînement. Et montrer ce que je vaux.  »

C’est Rudi Stroobants, de l’agence de management Sports2, qui s’occupe de Constant. Il écoute la conversation et dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas.  » Il a fallu négocier pour obtenir ce test. Il n’a pas été facile de convaincre le Cercle. Si Constant s’était présenté seul, il y a très peu de chances qu’on l’aurait autorisé à s’entraîner. On ne te connaît pas, tu es noir, tu viens d’où ? C’est un cliché mais c’est souvent comme ça que ça se passe.  »

Question de réseau

Le plus important, quand on veut passer un test, c’est d’avoir un bon réseau ou d’avoir un agent qui en a un. C’est ainsi qu’au Lierse, nous tombons sur Fernando Miranda, un Français d’origine angolaise. Ses parents sont réfugiés politiques en France et c’est donc là que Fernando a grandi et qu’il a joué toute sa carrière : à Nevers, à Reims, à Sedan, à Imphy-Decize, à l’AS Béziers, à Cannes, à Pau et à Bourges.

 » Vous voulez savoir comment je suis arrivé au Lierse ? Je m’entends bien avec un ami du coach, Younes Zedouk, avec qui j’ai travaillé dans un autre club. Il a dit au Lierse que je pouvais leur apporter quelque chose. C’est comme ça que ça marche : il faut des recommandations. Par la suite, on envoie des vidéos et on croise les doigts pour que ça marche.

Je ne peux pas dire que je me sente vraiment seul. Bien sûr, le soir, je me retrouve dans une ville où je ne connais personne mais c’est ça aussi, le football. Il faut serrer les dents. Heureusement, il y a WhatsApp. Honnêtement, je n’avais jamais entendu parler du Lierse mais cela ne m’empêche pas de me donner à fond. Bien sûr, je connais Anderlecht et Bruges. Il y a quelques années, j’aurais pu signer à Mouscron mais, dans ce monde, il faut se méfier des apparences.  »

Trois jeunes sont attablés à l’hôtel Lepelbed de Melle : Jamal Terbidze et Georgi Beridze ont 17 ans, ils viennent de Géorgie ; Yusuf Sa’deeq Ahmat en a 18, il est Nigérian. Par la fenêtre, les trois jeunes observent le trafic sur la chaussée de Bruxelles. Comparativement à l’Angolais Miranda ou à l’Ivoirien Ahipo, on peut dire qu’ils sont dans de l’ouate. Ici, ce n’est pas l’agent qui a payé leur billet d’avion, leur hôtel et leur repas : c’est Gand. Ils ont été repérés par le club champion et on sait que celui-ci teste ses joueurs de façon intensive.

A Gand, les joueurs qui ont déjà une longue carrière derrière eux ne peuvent pas s’entraîner avec l’équipe première. Miranda et Ahipo n’auraient donc aucune chance. Il faut dire que la direction reçoit jusqu’à 15 demandes d’agent par jour. Elle lit les mails mais y donne rarement suite.

Les jeunes, eux, se voient accorder une chance. Ils ont l’avenir devant eux et peuvent apporter une plus-value sur le plan sportif. Mais, surtout, ils représentent un capital économique potentiel.

La lutte pour attirer ces jeunes talents est rude et pas toujours amicale. Au niveau mondial, de grands clubs comme Barcelone et Manchester sont au sommet de la pyramide des transferts. Ils ont le plus d’atouts pour attirer les joueurs. Si le Cercle voulait faire passer un test à un jeune Tchèque talentueux qui intéresse également une puissance du football mondial, il n’aurait pratiquement aucune chance.

20 ans, c’est trop tard

 » Il est déjà pratiquement impossible de transférer un joueur de 20 ans « , dit Luc Dhaenens, recruteur et responsable de la cellule sociale des Buffalos.  » Entre 16 et 18 ans, c’est encore jouable et c’est pourquoi nous en invitons régulièrement à venir passer un test.  »

Ici aussi, l’importance d’un réseau est capitale. Si elle ne déniche pas ces joueurs elle-même, Gand doit pouvoir compter sur des scouts. C’est ainsi que les Géorgiens sont arrivés à Gand, après un travail de scouting intensif des équipes nationales de jeunes de ce pays. Quant à Sa’deeq, il a suivi Moses Simon.

 » Chaque année, nous accueillons quinze à vingt joueurs en test « , dit Dhaenens.  » Des gens dont nous pensons qu’ils peuvent immédiatement jouer en Espoirs. Les ressortissants de l’Union européenne peuvent signer un premier contrat professionnel à 16 ans. Les autres doivent avoir 18 ans. Si nous remarquons qu’un Africain est très talentueux mais n’a que 16 ans, nous l’invitons à plusieurs reprises, histoire de pouvoir travailler son attitude et de lui permettre de s’adapter au club, à la ville, aux entraîneurs.

Et en espérant qu’à 18 ans, il signe chez nous. Vu l’énorme concurrence des grands clubs, nous sommes pour ainsi dire obligés d’aller chercher ces joueurs dans la brousse. Lors des tournois internationaux, nous n’avons aucune chance car tous les grands clubs sont présents. Mais des clubs formateurs de Côte d’Ivoire, par exemple, sont toujours accessibles.  »

Il arrive évidemment, en cas de test négatif, qu’un joueur se retrouve dans la situation d’Ahipo : emmené à Saint-Etienne sans contrat puis parti à l’aventure.  » Lorsqu’un joueur arrive, nous l’interrogeons toujours sur sa famille, sa religion et sa situation sportive « , dit Dhaenens.  » Cela nous permet d’anticiper. Ces joueurs portent souvent une responsabilité énorme sur leurs épaules : ils ont la chance de partir travailler en Europe occidentale et on attend d’eux qu’ils nourrissent toute la famille. Si ça ne marche pas, il leur sera plus difficile de rentrer au pays. C’est pourquoi nous leur offrons toujours le billet de retour. Même s’il arrive que certains disparaissent à l’aurore.  »

Cet été, La Gantoise chasse plus que jamais le jeune talent. Son titre va lui permettre de disputer non seulement la Ligue des Champions mais aussi la Youth League, compétition européenne réservée aux U19.  » Nous cherchons donc des joueurs nés en 1997 ou 1998 qui entrent en ligne de compte pour celle-ci.  » Comme Georgi et Jamal :  » Oui, oui, nous allons jouer la Ligue des Champions « , disent-ils, radieux. En espérant que, dans quelques mois, ils n’arrivent pas au Japon ou ne reviennent pas à Boezinge en disant :  » Je suis passé par Gand, un grand club.  »

PAR MATTHIAS DECLERCQ

 » Nous sommes quasi obligés d’aller chercher les jeunes talents africains dans la brousse.  » Luc Dhaenens

Après avoir été mis à l’essai au Japon et en Thaïlande, l’Ivoirien Constant Zahui Ahipo s’est retrouvé chez nous, en promotion A, au Sassport Boezinge.

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