» Et moi, j’existe ? »

Icône à Saint-Pétersbourg, le Diable Rouge déplore le manque de médiatisation du championnat russe.

« S pasiba «  (merci en russe) répond Nicolas Lombaerts à des fans qui le félicitent pour le récent titre de champion obtenu par le club-phare de Saint-Pétersbourg.  » Ils sont toujours chaleureux mais jamais envahissants « , dit le joueur, tandis que nous sillonnons en sa compagnie les artères de l’ancienne capitale de la Russie.

Des bords de la Neva à la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé en passant par le réputé musée de l’Hermitage, aucune des curiosités de la mégapole de 4,5 millions d’habitants n’a de secret pour lui après cinq ans sur place. Pas plus que le branché Singer, sur la Nevskyi Prospekt, où il nous offre le café. Nazdarovié : santé !

Votre contrat court jusqu’en 2014. Serez-vous toujours au Zenit à ce moment ?

Nicolas Lombaerts : D’un côté, je me sens bien ici. J’ai mes aises et mon épouse a trouvé sa voie également. D’autre part, j’ai 27 ans et je vais aborder mes plus belles années. Si je dois encore vivre une expérience à l’étranger, il faut que je me décide maintenant ou l’année prochaine. Après, il sera trop tard.

Anderlecht est à la recherche d’un défenseur central gaucher…

Je ne crois pas que le Sporting pourrait s’aligner sur les chiffres demandés par le club en échange de ma liberté. Et, pour les mêmes raisons financières, je ne me vois pas revenir en Belgique. A choisir, je préférerais une compétition de renom style Angleterre, Italie, Espagne ou Allemagne avant de rentrer au pays.

Ces championnats sont toujours surexposés contrairement au russe ?

Je remarque une évolution, malgré tout. Quand je suis parti durant l’été 2007, bon nombre de gens soutenaient que j’avais été séduit par l’argent et non par le niveau. Un an après mon arrivée, suite à la victoire du Zenit en C2, les commentaires avaient changé. Et les derniers sceptiques ont vraisemblablement été convaincus suite aux deux succès mérités de l’équipe face à Anderlecht : 1-3 au Parc Astrid et 3-1 chez nous. A l’époque, il fallait compter sur internet pour me voir à l’£uvre. A présent, Sporting Telenet diffuse les rencontres de la D1 russe. Dans l’ensemble, vous avez toutefois raison : de tous les internationaux belges, c’est sans doute moi le moins médiatisé. Ex-aequo avec Kevin Mirallas, qui évolue à l’Olympiacos. Pour lui, comme pour moi, c’est la même rengaine : loin des yeux, loin du c£ur.

 » Si je réussissais un hat-trick, on n’en parlerait pas ! « 

Est-ce difficile à vivre ?

Je savais à quoi m’attendre. J’avais le choix entre le Hertha Berlin et le Zenit. Avec le recul, j’ai eu le nez creux en optant pour les Russes, où j’ai notamment contribué à la conquête de trois titres, une Coupe d’Europe et une Supercoupe. Mais, parfois, je me demande si je compte encore. Après la victoire de Thibaut Courtois en Europa League, j’ai lu sur le télétexte une déclaration de Marc Wilmots, qui disait : – J’espère qu’il ne faudra plus attendre 15 ans avant de voir un Belge remporter un trophée européen. Allusion à la Coupe de l’UEFA, qu’il avait gagnée en 1997 avec Schalke, et au succès du gardien limbourgeois cette année avec l’Atletico Madrid. Je me suis dit : -Et moi, alors, je n’existe pas ? Blessé, je n’étais peut-être pas sur le terrain pour la finale mais je faisais partie de l’effectif et j’ai reçu ma prime comme tout le monde. Alors, où est la différence ?

Comme vous dites : loin des yeux, loin du c£ur.

De l’action d’éclat d’Eden Hazard au brio de Vincent Kompany en passant par le refroidissement de Moussa Dembélé, je sais tout, chaque semaine, sur mes coéquipiers en équipe nationale. Alors que moi, j’aurais beau inscrire un hat-trick, il n’y aurait pas une ligne. Je ne jalouse pas les potes : ils ont ce qu’ils méritent. Je regrette simplement de ne pas susciter un peu plus d’attention. Attention, je ne vais pas me plaindre, je suis repris régulièrement chez les Diables.

Beaucoup disent que les backs y posent problème. Vous vous sentez visé ?

Visé, non, en ce sens que je joue au stoppeur au Zenit et que c’est à cette place que j’évoluais en Espoirs. Concerné, oui, car j’ai dû glisser à plusieurs reprises au back gauche faute de titulaire incontournable. A cette place, je ne suis jamais qu’une solution de rechange. Je suis prêt à me sacrifier mais ce n’est pas ma tasse de thé. Ma préférence va à l’axe. Je me rends toutefois compte que la concurrence y est féroce avec des garçons comme Kompany, Thomas Vermaelen et Daniel Van Buyten, pour ne mentionner qu’eux. Il y a des choix à faire et je comprends que j’ai déjà été décalé à l’une ou l’autre reprise, tout comme l’arrière central des Gunners ou Jan Vertonghen.

L’EURO 2012, un énorme gâchis

Lors du match amical entre la France et la Belgique, Arsène Wenger, entraîneur d’Arsenal et consultant sur TF1 avait dit que Vermaelen avait horreur de jouer au back. A la télé néerlandaise, l’ancien Anderlechtois Jan Mulder affirme la même chose concernant Vertonghen. Il n’y a hélas personne pour prendre votre défense ?

J’aurais peut-être pu avoir un allié en la personne de Dick Advocaat, s’il était resté à la tête des Diables ( il rit). Et je ne dois plus compter sur Georges Leekens non plus.

C’est lui qui vous y avait mis, non ?

Exact. L’épisode remonte à notre période commune à Gand. Il estimait que j’étais taillé pour ce rôle. Et, sur l’autre flanc, il était du même avis en ce qui concerne Guillaume Gillet ( il rit).

Résultat : vous vous êtes affirmé comme défenseur central et votre ex-coéquipier chez les Buffalos fait office d’infiltreur à Anderlecht. Bien vu, Leekens !

Un coach a ses vues et un joueur ses préférences. Les deux ne concordent pas toujours. Mais ni Guillaume ni moi n’avons perdu notre temps en jouant dans un autre registre, nous avons gagné en polyvalence. Même si nos qualités respectives s’exprimeront toujours mieux ailleurs qu’à l’arrière latéral.

Vous avez fait vos débuts chez les Diables en 2007 contre l’Arabie Saoudite, au back. Cinq ans plus tard, que pensez-vous du chemin parcouru ?

Honnêtement, je m’attendais à ce que nous nous qualifiions pour l’EURO 2012. Les Diablotins, demi-finalistes aux Jeux Olympiques en 2008, constituaient la base idéale pour les A. Je me doutais que la Coupe du Monde en Afrique du Sud arriverait trop tôt pour une génération qui n’était alors qu’en tout début de vingtaine. Mais cette année, on aurait dû être paré. Malheureusement, nous avons perdu trop de points surtout dans les petits matches. Si la grande Allemagne était au-dessus du lot, nous aurions dû terminer derrière elle à tous les coups et disputer les barrages à la place de la Turquie. Toute cette campagne aura été un énorme gâchis.

Vous repensez parfois à votre but au Heysel contre l’Autriche ?

Oui, souvent. J’étais franchement passé par tous les états d’âme. Je m’attendais à jouer car j’avais fait un bon match au Kazakhstan mais le coach avait préféré Daniel Van Buyten. Lors de l’échauffement, Big Dan s’était blessé et j’avais été repêché in extremis. Ce but, en toute fin de match, je le percevais déjà comme une mise au point. Je voulais prouver que Leekens avait eu tort de me snober. Et puis, trente secondes plus tard, patatras : on encaisse un quatrième but et c’est la désolation.

L’équipe la plus russe du championnat

Que vous inspire ce 3e titre en 5 ans ?

Il est d’autant plus beau que la majorité des observateurs ne donnaient plus cher de nos chances au moment où le CSKA comptait 7 points d’avance sur nous. Le tournant du championnat, ce fut notre succès 0-2 là-bas. Un résultat qui nous a boostés en coupant bras et jambes à tous les autres candidats à la première place. Au final, nous l’avons emporté avec 87 points : 12 longueurs d’avance sur le club de l’armée, 13 sur le Spartak, 14 sur le Dinamo et 19 sur le Lokomotiv.

Comment expliquer l’hégémonie du Zenit par rapport aux clubs de la capitale ?

Depuis mon arrivée, le Zenit a invariablement tablé sur les meilleurs du pays. Cette année encore, pas moins de 7 joueurs feront partie de la sélection nationale à l’EURO : le gardien Vyacheslav Malafeev, le défenseur Alexander Anyukov, les médians Roman Shirokov, Igor Denisov et Konstantin Zyryanov ainsi que les attaquants Andreï Arshavin et Alexander Kerzhakov. Et, ce qui ne gâte rien, la plupart seront assurés d’une place de titulaire. Dans la mesure où cinq Russes doivent être obligatoirement alignés en compétition, nous disposons des meilleurs. Chez nous, l’équipe est articulée autour de la fine fleur russe, complétée par des étrangers. Ailleurs, le onze de base est formé d’éléments venus d’horizons lointains, assortis de joueurs du cru qui ne sont pas tous internationaux.

Les Russes font la différence ?

Le CSKA a brillé, en début de saison, à l’époque où son buteur Seydou Doumbia pétait le feu. Au moment où Anderlecht a rencontré le Lokomotiv en Europa League, c’était le Dinamo qui offrait le meilleur football. Le Spartak, aussi, a connu une bonne période. Mais, en matière de régularité, le Zenit a été le plus constant d’un bout à l’autre de la saison. Et, surtout, nous avons signé quelques prestations exceptionnelles en déplacement. En plus du 0-2 au CSKA, nous nous sommes également imposés 1-5 au Dinamo. Ce qui n’est pas à la portée du premier venu.

Comment le Zenit est-il perçu ?

Pour les clubs de la capitale, nous sommes l’ennemi juré. Et vice-versa car les Moscovites sont toujours reçus chaudement chez nous, au stade Petrovski. Et en particulier le Spartak, qui fait depuis toujours figure d’équipe à battre. Dans les autres villes, comme Kazan ou Samara, nous pouvons compter sur pas mal de sympathie. C’est normal, les gens y préfèrent généralement les provinciaux que nous sommes aux capitalistes. Mais ce qui joue par-dessus tout en notre faveur, c’est la présence chez nous de la crème de la crème du football du pays. Nous sommes l’équipe la plus russe du championnat et cela suscite l’admiration parce que les étrangers n’ont pas forcément la cote.

Pourquoi, êtes-vous le seul non-Russe à avoir tenu 5 ans au Zenit ?

Tout d’abord, j’ai eu de la malchance, sous la forme de blessures qui m’ont tenu écarté des terrains à des moments-clés. Et notamment lors de la victoire en finale de la Coupe de l’UEFA contre les Glasgow Rangers, en 2008. Je n’ai pas eu l’occasion de me mettre en valeur ce soir-là, à l’inverse de mes partenaires Arshavin, Anatoliy Tymoshchuk ou Pavel Pogrebnyak qui ont profité de l’événement pour réaliser un transfert juteux. Et puis, je suis un transfert rentable pour le Zenit. Durant mon indisponibilité, les dirigeants ont engagé les Portugais Fernando Meira et Bruno Alves pour l’équivalent de 7 et 22 millions. Le premier est au Real Saragosse et l’autre doit se contenter d’une place sur le banc. Les 5 millions dépensés pour moi auront été un bon investissement ( il rit). Idem pour le Slovaque Tomas Hubocan qui joue le plus souvent à côté de moi en défense centrale, acheté à Zilina pour 3 millions à peine. Ce n’est rien par rapport aux 30 millions pour déloger Danny du Torpedo Moscou.

Tolérance zéro au volant

Comment l’équipe a-t-elle évolué ?

Du 4-3-3 de Dick Advocaat, elle est passée aujourd’hui au 4-2-3-1 de Luciano Spalletti, avec Zyryanov et Denisov devant la défense. Un exemple vaut probablement mieux qu’un long discours pour expliquer la différence entre un coach néerlandais et un italien : avec le premier, lors de simulations avec 4 avants et 3 arrières ou 5 contre 4, le mot de la fin revenait sans cesse aux attaquants. Avec le deuxième, ce sont les défenseurs qui se mettent en valeur. Pour moi, c’est du pain béni.

Comme stoppeur, vous avez donc progressé ?

A mes débuts ici, j’avais encore tout à découvrir. Dans l’intervalle, j’ai pris des planches. Et je me suis bonifié, ces deux dernières années, grâce aux entraîneurs spécifiques Daniele Baldini et Marco Domenichini. Tous deux savent s’y prendre pour organiser une défense. L’un travaille de manière globale, tandis que l’autre dispense des conseils individuels. Avec lui, j’ai appris à mieux me positionner dans les duels. Avant, en un contre un, je faisais écran devant mon adversaire en véritable face à face. A présent, je l’affronte toujours de biais, prêt à prendre appui sur mon bon pied. Et je gagne une fraction de seconde.

Vous maîtrisez le russe aussi, à présent !

J’ai déjà joué au côté d’une demi-douzaine d’étrangers. La plupart du temps, la langue véhiculaire entre nous est l’anglais. Mais je ne suis pas fâché de posséder la langue locale. Durant mes premières années, je ne pigeais strictement rien. Maintenant, je savoure les blagues et je ris quand elles sont bonnes. Avant, je riais parce que tout le monde se marrait… Je me sens parfaitement intégré. Tant au sein du club que dans la vie courante.

Comment fête-t-on un titre en Russie ?

Sagement. Si les Russes se laissent parfois aller, en vacances, ils sont très sobres au pays. C’est dû à la tolérance zéro au volant. En cas de fête arrosée, les gens font automatiquement appel à un taxi. Ou bien, ils ont tout simplement recours à l’auto-stop. Pour une poignée de roubles, il y a moyen de trouver une bonne âme qui vous mènera à destination. C’est intéressant pour ceux qui abusent de la vodka ( il rit).

Vos coéquipiers ne font pas partie du lot ?

S’ils ne crachent pas sur un verre ou deux, je n’ai encore jamais vu une fête, ici, où le champagne coulait à flots, par exemple. Il y a beaucoup de retenue à tout niveau d’ailleurs. La plupart des joueurs se font généralement prier pour passer à l’interview. Les trois quarts du temps, je suis la bonne poire ! Et si j’ai la cote auprès de tout le monde, c’est parce que je ne refuse jamais les sollicitations, que ce soit des médias ou de simples quidams.

PAR BRUNO GOVERS, À SAINT-PÉTERSBOURG – PHOTO: IMAGEGLOBE/SHAMUKOV

 » J’ai coûté 5 millions et je suis titulaire. C’est plus rentable que les 22 dépensés pour le réserviste Bruno Alves. « 

 » On ne crache pas sur un verre de vodka. Mais je n’ai encore jamais vu le champagne couler à flots. « 

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