Esprit ouvert et beaux arts

Avez-vous fait des études?

Daryuosh Yazdani (25 ans): Oui, l’électricité. Les études sont très importantes chez nous. Nous avons pléthore d’ingénieurs et de médecins qui, faute de travail en Iran, s’exilent. On en compte un million en Allemagne et trois millions rien qu’à Los Angeles.

Est-il difficile de s’intégrer en Belgique?

(En choeur) Non, pas quand on en a la volonté et le désir.

Comment avez-vous fait la connaissance de Negin?

En Belgique! Elle a vécu huit mois à Bruxelles avec sa famille. Nous nous sommes mariés en Iran six mois après. Il y aura deux ans en juin. Sa présence à mes côtés change tout! Pendant nos fiançailles, nous communiquions grâce à Internet mais surtout par téléphone. J’ai longtemps vécu seul, à Téhéran, pendant mon service militaire. Il dure deux ans et il est dur. Je faisais partie d’une des équipes militaires qui évoluent en D1 et nous avons obtenu de bons résultats. éa aide. Mais avant ça, il y a eu trois mois d’instruction… Ensuite, j’ai vécu un an et demi en Allemagne.

Vous parlez donc allemand, en plus d’un français impeccable?

Oui. La Belgique est plus accueillante. D’autre part, il y a beaucoup d’Iraniens en Allemagne: à chaque match, il y en avait mille, voire plus. éa vous insuffle confiance car ils sont là pour vous. Madahvikia est suivi par 4.000 compatriotes à chaque match de Hambourg. Au début, des Iraniens venaient en cars d’Allemagne, pour me voir à Charleroi…

Les bruits de bottes en Irak ne vous effraient-ils pas?

Si, bien sûr. Nous avons peur. L’Iran se trouve dans le voisinage immédiat des pays impliqués. Il a été cité par Bush dans son fameux axe du mal, avec l’Irak et la Corée du Nord. (Il observe une pause, ému). Je me souviens de la guerre Iran-Irak. J’étais tout petit mais j’entends encore les alertes, la précipitation avec laquelle nous nous réfugions dans les caves, les jouets perdus. L’Iran a mis dix ans à se remettre de la guerre. Nous voulons la paix. (Nouveau silence). Beaucoup d’Iraniens sont actuellement emprisonnés en Amérique.

Qu’est-ce qui vous attire le plus en Negin?

J’aime tout en elle. Elle est gentille, sérieuse… économe. Elle pense beaucoup à moi.

Quelles sont vos distractions?

La télévision lorsque je suis seul. Je ne rate pas les informations, en allemand et en français et je lis les journaux iraniens sur Internet. Negin et moi aimons lire. De la poésie, des thrillers, des livres historiques, comme cet ouvrage sur le premier roi de Perse qui s’appelait aussi Darius comme on l’écrit en français. Je m’intéresse beaucoup à la psychologie. Je lis Football et motivation. J’y trouve des trucs intéressants. Je suis d’un naturel calme, du moins je l’espère, mais la psychologie n’y est pas étrangère. Nous allons également au cinéma. Notre dernier film, c’est « Chicago », une comédie musicale, mais nous apprécions tous les genres. De temps en temps, nous allons dans un restaurant iranien à Bruxelles.

Aimez-vous la musique aussi?

Oui. Negin a une préférence pour la chanson française et Helène Segara, notamment. J’ai des CD de musique allemande aussi.

Avez-vous visité la Belgique?

Pas beaucoup. Nous aimons Bruxelles, où Negin a de la famille. Mais je dois avouer que je n’aime pas sortir avant un match. Si nous jouons le dimanche et que nous sommes invités le samedi, Negin y va seule. Nous aimons les parcs. Le shopping avenue Louise? Ce n’est pas notre truc. Par contre, nous aimons les objets d’art: classiques ou modernes. Les poteries de Negin sont classiques, comme ces portraits. Ils représentent des femmes de l’Antiquité. Ils ont l’air modernes mais ils reproduisent fidèlement l’apparence des femmes d’alors, avec les sourcils qui se rejoignent. Il y a aussi des ajouts de bois gravé et peint. Cette statuette égyptienne est d’inspiration moderne. Lorsque nous découvrons un objet qui nous plaît, nous l’achetons, même si la décoration est l’affaire de Negin.

Aimez-vous les animaux?

Angelo partage notre vie depuis un mois. Notre petit chien a deux mois et il nous donne du fil à retordre: il sait très bien ce qui est interdit mais il ne peut s’empêcher de l’enfreindre. Il met de l’animation dans notre vie!

Que signifie votre prénom?

Negin Badrian (23 ans): Pierre précieuse. Quant à Daryuosh, il porte le nom du premier roi des Perses. Notre civilisation a 7.000 ans. Daryuosh signifie intelligent et sage.

Vous avez fait des études et vous continuez?

J’ai étudié les arts en Iran, et plus particulièrement les tapis: leurs dessins, leur élaboration, l’histoire de l’art. Chaque ville a un dessin différent. Chaque maison est ornée de nombreux tapis, depuis des millénaires. Je ne souhaite pas travailler dans ce secteur car c’est très dur. En Belgique, j’étudie le français: je termine fin juin. Les cours ont lieu de 9 heures à 15 h et le soir, je fréquente les Beaux-Arts. Ces études durent quatre ans. J’ai commencé la poterie mais j’étudie le travail de la céramique à l’Académie. Notre vie est donc bien remplie.

Avez-vous été surprise par certaines choses, en Belgique?

Non. Bien que les Belges vivent un peu comme des machines: ils travaillent et rentrent chez eux. En Iran, le soir, les familles se réunissent, mangent, jouent aux cartes…

Quelle est la condition de la femme en Iran, actuellement?

Mes copines sont surprises quand je leur parle de mon pays. Le port du foulard est obligatoire, y compris pour les étrangères, mais nous pouvons nous maquiller, les pantalons et les pulls ne couvrent pas obligatoirement la totalité des bras et jambes. L’Iran a été moderne et stable jusqu’à la Révolution. Après dix ans, il l’est redevenu. Je pense que le Maroc, la Turquie, l’Arabie sont plus sévères. Les Iraniennes étudient, travaillent, conduisent. D’ailleurs, le Coran ne l’interdit pas. De toute façon, quand il a été écrit, il n’y avait pas de voitures!

Vivez-vous votre foi avec plus d’intensité que les Belges?

Ici, certains vont à l’église le dimanche. Chez nous, des gens vont à la mosquée le vendredi mais ce n’est pas obligatoire ni systématique. Nous ne nous rendons pas à la mosquée régulièrement. Pendant le Ramadan, il y a une période de trois jours durant lesquels il est bien de s’y rendre.

Aimeriez-vous rester en Belgique?

Oui mais Daryuosh est plus hésitant. Je me sens bien ici. Nos familles nous manquent mais c’est la vie.

Qu’aimez-vous en Daryuosh?

Chaque jour qui passe, je l’aime davantage car je découvre quelque chose de nouveau en lui. J’apprécie sa gentillesse, son esprit positif, ses attentions et son sérieux au travail.

Avez-vous le temps d’avoir d’autres distractions?

Oui. J’aime la décoration. Les meubles appartiennent à Charleroi mais j’y ai ajouté des touches personnelles, bien que nous ayons dû rassembler beaucoup d’objets dans une pièce, faute de place. Je fais des montages de fleurs. Je les adore. Il y a beaucoup de parcs en Iran. Ils sont magnifiques au printemps et Chiraz, la ville de mon mari, est la plus belle du monde. On sent partout le parfum des fleurs. C’est très romantique, avec les monuments. Chiraz est l’ancienne Persépolis, une ville de poètes où l’eau est omniprésente. Le Louvre expose beaucoup d’objets de Persépolis.

Téhéran est-elle très différente?

Comme toutes les capitales. Elle compte 15 millions d’habitants. C’est une ville très moderne, qui regorge de distractions, même si les autres villes n’en manquent pas. Chacune a son accent et des coutumes particulières.

Daryuosh vous aide-il dans le ménage?

Beaucoup. Il le fait spontanément: la vaisselle, le balayage -impeccable-, et parfois la cuisine. Je prépare des plats iraniens mais aussi étrangers. Daryuosh aime tout mais il a une prédilection pour un met à base de riz et de poulet.

Souhaitez-vous des enfants?

Pas maintenant, mais j’en voudrais cinq ou six. J’aime les grandes familles. Pas Daryuosh. On verra…

Cette semaine, vous fêtez le Nouvel An iranien. Comment?

Nous allons certainement sortir à Bruxelles. Nous avons fait le grand nettoyage et préparé des mets de fête. La table est décorée avec sept choses dont l’initiale est S. Sept est un chiffre magique, comme chez vous et en Chine: sabze, un verre d’eau, senged, un livre de poèmes, samano, un plat typique, somaq, un sorbier, seqe, une pièce de monnaie, sib, la pomme, serge, le vinaigre.

Pascale Piérard

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire