Equipe B, comme Battue d’avance

Preud’homme, Meeuws, Vandersmissen, Daerden, Plessers, Tahamata et aussi Goethals : tous suspendus pour affronter La Gantoise.

Tristesse, désolation, scandale, tricherie, honte, jeunots : la finale perdue en 1984 contre La Gantoise, c’est un peu de tout cela. En début de saison 83-84, le Standard est la référence du foot belge : victoire en Coupe en 81, le titre en 82 et 83.

 » C’était peut-être la plus belle équipe de l’histoire du club « , dit aujourd’hui Léon Semmeling, coach des Rouches lors de cette finale. Mais, fin février 84, il y a le crash historique.

 » Le groupe mangeait au Bois d’Avroy, le restaurant situé au pied du stade « , se souvient Guy Vandersmissen.  » Les Diables Rouges préparaient à Bruxelles un match contre l’Allemagne. J’étais international à l’époque mais pas repris pour cette ren-contre-là. Tout à coup, nous avons tendu l’oreille vers la radio du resto : on parlait d’une grosse affaire, d’un scandale dans le football, du Standard, de Waterschei, d’ EricGerets. Nous avions compris.  »

Intercepté à l’entraînement par la BSR, Gerets craque et confirme ce que Roger Petit (patron du Standard) et Raymond Goethals ont reconnu quelques jours plus tôt aux enquêteurs : les Standardmen ont laissé leur prime de victoire aux joueurs de Waterschei pour que ceux-ci lèvent le pied lors du dernier match de la saison 81-82, ce qui garantissait le titre aux Rouches. Le juge d’instruction Guy Bellemans lance ainsi sa grande enquête sur l’argent noir dans le football belge. Conséquence directe : les suspensions pleuvent. Petit et Goethals sont mis hors d’état de nuire, ainsi que plusieurs cadres de l’équipe : Michel Preud’homme, Walter Meeuws, Theo Poel, Vandersmissen, Jos Daerden, Gérard Plessers, Simon Tahamata. Gerets et Arie Haan aussi, mais ils ont entre-temps été transférés à l’AC Milan et au PSV.

Cette finale (atteinte après les éliminations de Wuustwezel, Seraing, le RJ Bruxelles, l’Antwerp et Beveren), il va donc falloir la disputer avec quelques gamins qui ont encore tout à découvrir : Gilbert Bodart, Michel Collard, Patrick Aussems, ThierrySolheid, Pascal Delbrouck, Lionel Roger. Et aux commandes, Semmeling qui est passé d’adjoint à T1 quand Goethals a dû décamper.

 » C’était un match tronqué « , se souvient Michel Wintacq, qui en était à sa première saison à Sclessin.  » Tout donner pour arriver en finale, puis devoir la jouer avec une demi-équipe, c’était terriblement frustrant. Les dés étaient pipés, le Standard avait peu de chances de gagner. Tu te retrouves dans un stade où il y a plus de 35.000 personnes, ça doit être la fête, un grand jour dans ta carrière. Mais nous n’avions pas les cartes en mains. Avec les jeunes, nous avons réussi un bel exploit en tenant le 0-0 jusqu’à la 90e minute. Puis, nous avons craqué dans les prolongations. Les jeunes étaient cuits. Quand Cees Schapendonck a marqué pour Gand tout en début de première prolongation, j’ai pété un câble. J’ai pris le ballon et, de rage, je l’ai expédié vers la tribune d’honneur où se trouvaient les gens qui avaient pris la décision de suspendre nos stars. J’ai poursuivi en les applaudissant de façon cynique. Mais il n’y a pas eu de réaction. Pour moi, cette journée est un bon souvenir dans le sens où c’était ma toute première finale de Coupe de Belgique. Mais aussi un souvenir douloureux, amer, à cause des circonstances extra-sportives.  »

Dans le livre édité à l’occasion du centenaire du Standard, Thierry Solheid (qui n’aura finalement joué que quatre matches de D1 dans sa vie !) confirme le sentiment de Wintacq :  » Ce fut à la fois un rêve et un cauchemar. Les jeunes ont donné tout ce qu’ils avaient dans les tripes pour que le Standard soit fier d’eux. Personne n’a été ridicule, et pour le même prix, nous aurions même pu gagner. « 

Hrubesch-le-magnifique

La vedette dans l’équipe de départ, c’est l’attaquant allemand Horst Hrubesch, champion d’Europe quatre ans plus tôt.  » Bodart, Guy Hellers et HeinzGründel avaient de la personnalité, mais Hrubesch, c’était un grand nom du foot international « , dit Semmeling.  » Il a emmené cette jeune équipe à la manière d’un grand patron. C’est lui qui nous avait qualifiés pour le Heysel. Au moment des demi-finales contre Beveren, j’avais déjà pris la place de Goethals. C’était un tout grand Beveren, qui allait être sacré champion quelques semaines plus tard. Nous nous sommes qualifiés facilement, 5-2 sur l’ensemble des deux matches : et quatre buts de Hrubesch. Vraiment un tout grand monsieur. Prendre les jeunes sous son aile dès que les suspensions ont été annoncées, c’était magnifique. Avec son expérience, sa carrière, ses grands succès, il aurait pu se désintéresser du Standard. Mais ce fut l’inverse.  »

Semmeling ne conteste pas la victoire des Buffalos.  » C’était déjà un Standard traumatisé qui arrivait à Bruxelles. L’ambiance était pesante, jour après jour. Malgré cela, nous avons terminé le championnat à la quatrième place, ce qui limitait la casse car ça assurait au Standard une nouvelle campagne européenne. Avec tout mon respect pour les joueurs de La Gantoise, notre équipe au complet n’en aurait probablement fait qu’une bouchée. Le manque d’expérience a évidemment joué un rôle important. En plus de l’aspect physique. La pelouse du Heysel avait à l’époque les dimensions maximales, ce qui n’était pas le cas du terrain du Standard. Plusieurs joueurs n’avaient jamais évolué sur une surface aussi longue et large. Cela s’est payé. Le match a été assez équilibré pendant un bon moment, puis vers la fin, la fatigue a commencé à se faire sentir. Je savais que si nous ne faisions pas la différence avant la 90e minute, ce serait très compliqué. Dans les prolongations, nous avons seulement essayé de temporiser, en espérant que ça se déciderait aux tirs au but. Mais ce n’était même plus possible : les jeunes étaient morts et Gand en a profité. Mes joueurs n’étaient même pas trop déçus sur la route du retour : ils étaient conscients d’avoir tout donné, ils n’avaient rien à se reprocher. « 

Dégoût et frustration

Vandersmissen, un des suspendus, était au stade :  » Dégoûté, comme tous les autres. Tout ça à cause des couillonnades de Goethals. Après le déclenchement de l’affaire, il a encore eu le cran de nous rassurer : -Ne vous en faites pas, vous allez seulement recevoir un blâme. On a bien vu la suite ! Le ciel nous est tombé sur la tête. Les sanctions n’avaient pas encore été prononcées quand le Standard a écrabouillé Beveren en demi-finale. Nous estimions que nous méritions vraiment d’être sur la pelouse du Heysel. Cette apothéose, nous l’avions forcée. Et puis, d’un coup, il y a cette terrible frustration, ce sentiment d’injustice, cette impression de payer alors qu’on n’a rien fait de mal. Avec le Standard au complet, je vois mal comment La Gantoise aurait pu nous contrarier. Avec tout mon respect, c’est une demi-équipe que Gand a affrontée ce jour-là. Il y avait sur la pelouse des coéquipiers que je connaissais à peine quelques semaines plus tôt. Les suspendus ont vécu en retrait la préparation de la finale : nous ne voulions pas les perturber, il fallait que toute l’attention aille vers ceux qui allaient jouer. Pour moi, c’est un souvenir tellement triste que ma mémoire a zappé plusieurs trucs. Je ne me souviens pas bien du déroulement du match. Quand tu es blessé, tu parviens à relativiser, à te dire qu’il n’y a de toute façon rien à faire, que tu es incapable de jouer. Quand tu es suspendu, tu ne raisonnes pas de la même façon. Tu te dis que tu aurais dû être sur le terrain et participer à la fête.  »

Les Liégeois qui avaient offert leur prime aux joueurs de Waterschei ont écopé d’une suspension d’un an, ensuite ramenée à neuf mois.  » Je suis resté au Standard, comme Preud’homme et Poel. J’ai raté un bon transfert à Düsseldorf, qui était à l’époque un bon club de Bundesliga. Je roulais vers l’Allemagne pour aller signer mon contrat quand j’ai entendu à la radio que notre suspension ne se limitait plus à la Belgique mais à tous les pays du monde. Et j’ai aussi raté l’EURO 84 en France. Oui, à cause des couillonnades de l’autre…  »

PAR PIERRE DANVOYE

 » Quand Gand a marqué, j’ai pété un câble et shooté le ballon vers la tribune d’honneur où se trouvaient ceux qui avaient suspendu nos stars.  » (Michel Wintacq)  » Tout ça à cause des couillonnades de Goethals !  » (Guy Vandersmissen)

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