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Entretien avec Thomas de Gendt: « Dans le peloton, je m’ennuie »

Il parcourt chaque année des milliers de kilomètres devant le peloton et a toujours une idée derrière la tête. Thomas De Gendt est le roi des échappées.

En onze ans de professionnalisme, Thomas De Gendt a remporté quatorze courses. Il ne trouve pas cela exceptionnel mais il a opté pour la qualité plutôt que pour la quantité. En 2011, pour sa première victoire en WorldTour, la première étape de Paris Nice, il a lâché Jens Voigt et Jérémy Roy après une échappée de 40 km et a résisté au retour du peloton. Au cours des années qui ont suivi, il s’est imposé avec plusieurs minutes d’avance ou a laissé sur place des compagnons d’échappée comme Andy Schleck ou Axel Domont.

Il a également remporté des étapes dans les trois grands tours, triomphant au sommet du Stelvio ou l’emportant au sprint au Mont Ventoux. Au printemps dernier, il a remporté sa troisième victoire d’étape au Tour de Catalogne et, si tout va bien, il fera encore parler de lui au Tour. Car rien n’est dû au hasard.

THOMAS DE GENDT : Attaquer, c’est avant tout une question de volonté. Tout le monde n’est pas prêt à le faire. Mais, pour moi, il est plus facile de devancer un petit groupe que tout le peloton. Je ne suis pas un sprinteur, je ne suis pas assez bon grimpeur et je n’ai pas le punch d’un Tim Wellens. En peloton, je n’ai pratiquement aucune chance. De plus, je trouve que c’est beau. Avant, j’admirais les attaquants : Jens Voigt, Jacky Durand, Ludo Dierckxsens. Se battre contre un peloton, c’est chouette. J’ai besoin de cette tension. Dans le peloton, je m’ennuie.

Jacky Durand dit que beaucoup de coureurs se comportent comme des moutons qui suivent le troupeau et qu’il préfère terminer dernier et épuisé que 25e dans l’anonymat.

DE GENDT : Il a raison. La plupart des coureurs sont des suiveurs. Certains n’écoutent que leur oreillette et, si on ne leur dit rien, ils restent dans le peloton. Beaucoup n’ont pas d’avis, ils ne réfléchissent pas à la façon de gagner une course. Quand on les laisse libres, ils ne savent pas quoi faire. Dans les échappées, je retrouve souvent les mêmes coureurs et ils pensent différemment. Ils anticipent. Comme quand ils roulent pour leur leader.

Vous consultez aussi le roadbook avant la course. Qu’est-ce qui vous excite ?

DE GENDT : Les petites ascensions de cinq, six kilomètres. Elles sont suffisamment dures pour faire mal à tout le monde mais pas trop longues. Six kilomètres, c’est une bonne douzaine de minutes d’effort. Je m’y entraîne spécifiquement. Les côtes de plus de 20 km, c’est difficile pour moi. Le dénivelé doit tourner autour des six, sept pour cent. Au-dessus de huit, c’est trop. En dessous de six, tout le monde peut le faire. L’idéal, c’est une côte à 25 km de l’arrivée car là, je peux partir tout seul. Je sais donc à l’avance dans quelle étape j’ai une chance mais je ne suis évidemment pas le seul. Au Tour, nous sommes quarante ou cinquante à nous dire la même chose.

Le plus beau, c’est de résister au retour du peloton à l’arrivée.  » Thomas de Gendt

 » S’échapper n’est jamais facile  »

Pouvez-vous expliquer la difficulté de s’échapper du peloton ?

DE GENDT : Non, car celui qui n’a jamais couru pense que les échappés du jour sont désignés à l’avance. Ça n’arrive que dans les étapes de plaine et celles-ci ne m’intéressent pas. Il faut parfois pousser deux ou trois homme à y aller. Ces échappées ont peu de chances d’aboutir, surtout au Tour, où douze équipes ont un sprinteur et finissent toujours par boucher le trou. On lit parfois que la première heure de course a été facile parce qu’il n’y a pas eu d’échappée. Or, c’est justement là que des coureurs tentent leur chance toutes les dix secondes sans y arriver parce ça roule. S’échapper n’est jamais facile, il faut y mettre tout son coeur et ne jamais penser qu’on va vous laisser faire. C’est le problème de beaucoup de coureurs : ils sautent dans la roue puis regardent autour d’eux parce qu’ils veulent être peinards.

Quelle puissance déployez-vous lorsque vous sortez du peloton ?

DE GENDT : Pour moi, les vingt premières minutes de course sont souvent les plus difficiles. C’est là que j’utilise le plus de watts, c’est un peu l’équivalent de ce dont les grimpeurs ont besoin au cours des cinq dernières minutes. Si le départ est en côte, je suis au-dessus des 400 watts pendant 20 à 30 minutes. Démarrer en côte n’est pas une question de chance : ceux qui sont prêts à pédaler fort dès le départ s’échappent. Parfois, je me mets devant et j’accélère un peu après chaque virage. Je suis à la limite, je peux tenir dix minutes, le temps que ceux qui roulent pour le classement lâchent prise.

Entretien avec Thomas de Gendt:
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Et quand vous êtes repris, votre journée est finie ?

DE GENDT : Je lâche prise. Il m’est déjà arrivé de tenter de m’échapper pendant 20 ou 30 minutes puis de rester derrière toute la journée. C’est pourquoi je fais tout pour partir.

Jens Voigt dit qu’il y a toujours un moment où le peloton lâche prise. Comment savez-vous qu’il est arrivé ?

DE GENDT : Je le sens avant tout à mes jambes. Si c’est dur pour moi, c’est dur pour tout le monde. Si je parviens encore à tenir deux minutes, c’est là que le peloton lâche prise. Parfois, ça se passe assez tôt au cours de l’étape mais, en fonction du parcours, ça peut durer 110 km.

 » Les suceurs de roue, j’essaye de les lâcher  »

Les fuyards ne sont pas très appréciés au sein du peloton.

DE GENDT : En effet. Personne n’aime être lâché dans une côte de deux kilomètres.

Qui aimez-vous avoir à vos côtés dans une échappée ?

DE GENDT : Des coureurs à peu près aussi forts que moi sur le plat. Des gars qui passent devant, remettent une dent et tirent. Pas trop forts au sprint et du même niveau en côte car s’ils sont plus faibles, je les lâche sans le vouloir et ils ne sont plus là sur le plat. J’aime bien Alessandro De Marchi ou Luis Ángel Maté, ce ne sont pas des suceurs de roue. Ils ont le même objectif que moi, sont honnêtes et respectueux. Ce n’est pas une garantie de victoire mais avec des gars comme ça, on va plus loin.

Que faites-vous quand les autres échappés ne veulent pas collaborer ?

DE GENDT : Je leur demande pourquoi ils ne relayent pas. Parfois, ils ont un sprinteur dans le peloton et ne sont là que pour gêner ou pour servir de rampe de lancement. Ce sont de bonnes raisons. Mais certains tentent juste de se faire tirer jusqu’à l’arrivée alors, j’essaye de les lâcher. Je ne relaye pas et je pars de derrière. Ou je les laisse s’épuiser en m’écartant dans les virages, ce qui les oblige à accélérer.

C’est le peloton qui contrôle les échappés ou l’inverse ?

DE GENDT : Les deux. J’ai deux fonctions : parfois, je suis le chasseur ; d’autres fois, je suis le gibier. Quand je chasse, je n’essaye jamais de revenir avant les 25 derniers kilomètres car les chances de nouveau démarrage avec des hommes frais sont trop élevées. Je sais donc aussi que, quand je suis devant, ils ne tenteront pas de revenir avant les 25 derniers kilomètres et j’économise mes forces. Souvent, le peloton ne veut pas laisser plus de cinq minutes d’avance aux échappés. Donc, quand j’ai cinq minutes, je ralentis. Et si le peloton accélère, j’accélère aussi. C’est un jeu. Parfois, j’accélère plus tôt ou quand ils ralentissent. Ça les oblige à se fatiguer. S’il y a des sprinteurs dans le peloton, j’accélère quand ça monte. Ils pensent qu’ils contrôlent mais les échappés peuvent aussi contrôler.

Quand on attaque, il faut y mettre tout son coeur.  » Thomas de Gendt

 » A 30 km de la ligne, je donne tout  »

En fait, vous passez votre temps à compter.

DE GENDT : Je demande l’écart tous les cinq kilomètres. S’il diminue, je veux savoir quelle équipe roule en tête et combien ils sont. Si c’est Sky, c’est juste pour limiter l’écart, pas pour boucher le trou. Si c’est une équipe de sprinteurs, je dois accélérer. Je me fixe toujours un objectif : je sais l’avance que je dois compter à 30 km de la ligne pour avoir une chance de m’imposer. Après, je donne tout. Finalement, rouler seul, c’est le plus simple : on ne doit tenir compte de personne. Je sais quelle puissance je peux développer pendant une demi-heure ou une heure et j’essaye d’y arriver. Je roule à la limite, sans me tuer.

Vous vous imposez souvent en solitaire. C’est ce qu’il y a de mieux ?

DE GENDT : Le mieux, c’est de résister au retour du peloton, comme à Paris-Nice. C’est aussi le plus poignant pour le public et le plus difficile à faire car le timing doit être parfait. Avec le stress provoqué par la présence du peloton juste derrière, l’euphorie est énorme. Quand on fait cinquante kilomètres avec trois minutes d’avance, la tension chute. Pendant 20 km, on pense au geste qu’on fera à l’arrivée. Lever les bras en l’air, ce n’est pas très naturel. C’est plus chouette de gagner au sprint. On implique les soigneurs, on les embrasse. Après une victoire en solitaire, on vous dit : Bien joué, tu veux un Coca ou un Fanta ?

Quand êtes-vous le plus satisfait ?

DE GENDT : Quand je suis tout seul sous la douche et que la saleté disparaît. Mais je retire la même satisfaction de neuf heures d’entraînement à Calpe.

Vous revoyez toujours vos courses. Pourquoi ?

DE GENDT : Pour écouter les commentaires ( il rit). Quand je dois faire une longue séance de rouleaux, pour me motiver, je me repasse une belle victoire. Ou je regarde les courses des autres, comme la victoire de Frank Vandenbroucke à Liège.

 » Qui se souvient du nom du 12e du Tour ?  »

Vous êtes mieux considéré qu’avant ?

DE GENDT : Oui, parce qu’on connaît mon profil. Chez Vacansoleil, la presse me considérait comme un coureur de tours. Après trois jours à la Grande Boucle, j’étais à une demi-heure, ça passait mal. Et quand j’attaquais, on trouvait ça stupide. Maintenant, on me considère comme un attaquant.

Vous avez déjà cru pouvoir courir pour le classement final ?

DE GENDT : Oui, pendant deux ans. Au Tour 2011, je me remettais d’une fêlure à la clavicule et j’ai donc dû me tenir tranquille pendant deux semaines. Alors, j’étais frais sur la fin. J’ai terminé sixième à l’Alpe d’Huez et quatrième au contre-la-montre. On en a conclu que je pouvais viser le classement final. L’année suivante, on a tenté le coup au Giro et je n’ai jamais eu plus de cinq minutes de retard, alors on s’est dit que je devais terminer dans le top 10 du Tour. Moi, je n’y croyais pas. Et après trois jours, j’étais à une demi-heure.

On a dit que vous ne viviez pas assez pour le cyclisme.

DE GENDT : Et c’est sans doute vrai, même si j’ai progressé. À la fin de la saison 2012, nous sommes partis en voyage de noces et j’ai pris 10 kilos. Je ne les ai jamais perdus, même si une partie s’est transformée en muscles. Du coup, j’ai souffert des genoux. Fin 2013, on a diminué mon contrat. Je me suis dit que si on me payait comme un équipier, j’allais rouler comme un équipier. Si je faisais vraiment tout, je terminerais entre la 10e et la 20e place au Tour mais qui se souvient du nom du 12e de l’an dernier ?

Vous préférez rouler devant le peloton que dedans ?

DE GENDT : Si ça monte, oui. Dans le peloton, ça va trop vite pour moi. Et sur le plat, ça va trop lentement. Quand je roule devant, je choisis mon rythme et mes trajectoires en descente. Si le leader du classement est un bon dévaleur, les descentes en peloton sont dangereuses. Les Astana volent, les Movistar suivent, ils prennent des risques dans les virages et les autres doivent suivre. Ça fait peur.

 » J’ai déjà assisté à trop d’enterrements de coureurs  »

Comment appréhendez-vous le danger en course ?

DE GENDT : J’essaye de l’éviter ( il touche du bois). Je chute peu car je suis prudent. Ça m’a déjà fait perdre des courses mais je préfère ça que passer trois ou quatre semaines par an à la maison à cause d’une blessure. J’en ai eu peu et je ne veux pas que ça change. L’équipe me paye pour être sur le vélo, pas par terre. Et puis, je pense à mes enfants. J’ai déjà assisté à trop d’enterrements de coureurs.

Tim Wellens n’est pas allé voir Stig Broeckx à l’hôpital. Il avait peur d’être confronté à la réalité.

DE GENDT : Je n’y suis pas allé non plus et je n’ai pas rendu visite à Kris Boeckmans. J’étais à ses côtés quand il est tombé à la Vuelta et je n’oublierai jamais cette image. Je ne voulais pas voir les conséquences. Je le lui ai expliqué et il ne m’en a pas voulu. Je ne voulais pas me dire que je pourrais être à sa place, avec ma famille autour de moi. Je ne veux pas penser à cela.

Entretien avec Thomas de Gendt:
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Il rêve du maillot à pois

De Paris-Nice à au Tour de Catalogne en passant pour le Tour Down Under, le Tour de Romandie, ou la Vuelta, Thomas De Gendt possède déjà une belle collection de maillots de meilleur grimpeur.  » J’aime ce classement « , dit-il.  » Il faut se battre pour les points, compter, c’est un hobby…  »

Le coureur Lotto-Soudal peut-il revenir du Tour avec le maillot à pois ? C’est son rêve.  » Je le poursuis chaque année. J’ai déjà terminé deuxième mais, pour le gagner, il faudrait que je remporte une ou deux étapes de montagne. En 2016, j’ai gagné au Ventoux mais c’est la seule fois où j’ai pris des points. Dans les échappées, il y a souvent des grimpeurs de second rang : Rafal Majka, Warren Barguil, Julian Alaphilippe. Dans les petites côtes, je peux les devancer mais pas dans les cols. Le Ventoux rapporte cinquante points, une côte de quatrième catégorie en vaut un. On ne peut pas compenser. À la Vuelta, la répartition des points convient mieux aux attaquants.  »

C’est pourquoi il y a remporté le prix l’an dernier, avec l’aide de Kevin De Weert.  » Il m’avait dit au début de la Vuelta que je n’irais pas au championnat du monde. J’étais déçu mais je ne devais plus en garder sous la pédale. S’il m’avait appelé une semaine plus tard, je n’aurais pas décroché ce maillot.  »

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